L’avenir s’éclaircit pour la morue ! Après vingt ans de stagnation à des niveaux dramatiquement bas, les stocks semblent enfin remonter dans tout l’Atlantique Nord. Un exemple globalement rassurant pour les autres espèces en danger, mais qui, dans le détail, montre que les ravages causés aux écosystèmes laissent de lourdes séquelles.

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    Cette morue (Gadus morrhua) a l’air sceptique sur l’avenir de son espèce… Pourtant, de bonnes nouvelles semblent venir de l’Atlantique Nord. © Joachim S. Müller, Flickr, CC by-nc-sa 2.0

    Cette morue (Gadus morrhua) a l’air sceptique sur l’avenir de son espèce… Pourtant, de bonnes nouvelles semblent venir de l’Atlantique Nord. © Joachim S. Müller, Flickr, CC by-nc-sa 2.0

    À l'est, sur les côtes nord de la mer de Norvège, les captures de morues (Gadus morrhua) sont à nouveau abondantes. Les observations au printemps ont mesuré un nombre record d'œufs de cabillaud (autre nom de la morue) présents dans l'eau. Le professeur Svein Sundby, océanographe à l'Institut de recherche marine de Bergen (IMR), voit transparaître dans les variations de ces populations l'influence des cycles naturels de l'Atlantique Nord : environ tous les quarante ans, les eaux de la mer de Barents se réchauffent. Ce fut le cas entre 1920 et 1940, puis de la fin des années 1980 à 2006 quand les températures ont de nouveau commencé à baisser.

    Lors de ces périodes plus chaudes qui durent une vingtaine d'années, les morues migrent vers le nord à la recherche de températures plus basses. La pêche est donc moins abondante et les stocks se reconstitueraient plus au nord, hors d'atteinte des chaluts. Aucun rapport avec le réchauffement climatique moyen : ces variations son locales, intrinsèques à la dynamique de cette portion d'océan. En revanche une augmentation globale des températures, entraînant par exemple la disparition de la banquise arctique en été, pourrait perturber ces cycles.

    Une pêche irréaliste et destructrice

    Toutefois, la quasi-disparition de l'espèce observée au début des années 1990 a bien été causée par la surpêche. Les prélèvements, irréalistes par rapport à ce que pouvait fournir le milieu, ont conduit à un effondrementeffondrement des populations jusqu'à à peine 5 % des stocks naturels. Un moratoire sur la pêche au cabillaud le long de la côte est du Canada est entré en vigueur en 1993. Depuis, la morue est sous surveillance.

    L'étude publiée le 27 juillet dans le journal Nature par une équipe de l'Institut océanographique de Bedford, Canada, est instructive pour les gestionnaires de la pêche mondiale. Elle montre comment, sur la plateforme continentale de Nouvelle-Écosse, l'écosystème marin ravagé s'est transformé et vient d'entamer un retour incertain et lent vers l'équilibre.

    L’Homme face à la morue, ici pacifiquement dans un aquarium en Norvège. Ce poisson a permis de faire vivre des populations entières, mais les Hommes sauront-ils organiser la pêche de manière à assurer son avenir ? © Joachim S. Müller, Flickr, CC by-nc-sa 2.0

    L’Homme face à la morue, ici pacifiquement dans un aquarium en Norvège. Ce poisson a permis de faire vivre des populations entières, mais les Hommes sauront-ils organiser la pêche de manière à assurer son avenir ? © Joachim S. Müller, Flickr, CC by-nc-sa 2.0

    Sous la mer comme à terreterre, chaque espèce est liée aux autres par la façon dont elle mange et se fait manger. Les populations se régulent au travers de relations proie-prédateur complexes. On parle de chaînes alimentaireschaînes alimentaires interconnectées dans des réseaux trophiques, au sein d'un écosystème. Le cabillaud et le haddock se nourrissent de poissonspoissons plus petits, comme le hareng et le capelan. La disparition des deux grands prédateurs, en délivrant les proies de toute contrainte, a entraîné une explosion des populations de ces deux espèces. Leurs stocks ont augmenté de 900 % par rapport à leur niveau en présence de prédateurs !

    Réactions en chaîne vers un nouvel équilibre

    Évidemment une telle prolifération n'est pas saine. Les rôles se sont inversés et les proies sont devenues prédateurs, en s'attaquant aux œufs et aux stades juvéniles de leurs anciens bourreaux. C'est ce qui a empêché les effectifs de morues de quitter les très faibles valeurs où ils étaient tombés. Mais, trop déséquilibrée, cette situation ne s'est pas maintenue. Les besoins en nourriture de cette surpopulation de petits poissons ont dépassé allègrement ce que pouvait leur fournir le milieu. À leur tour, leur nombre a chuté.

    Alors les jeunes morues et haddocks ont pu grandir, se reproduire et retrouver très lentement leur rang, haut dans la chaîne alimentaire. Avec un changement toutefois : les haddocks, plus petits que les morues, ont récupéré bien plus vite qu'elles et ont volé leur place de prédateurs dominants. Si retour à l'équilibre il y a, l'état final n'est (pour l'instant ?) pas le même que l'état initial. Kenneth Frank, coauteur de l'étude, souligne ce constat qui montre à quel point il est difficile de réparer les dégâts causés à une machinerie aussi complexe. En d'autres termes (ceux de Pierre Dac en l'occurrence), il est beaucoup plus facile de faire sortir le dentifrice du tube que de l'y faire rentrer...

    D'un certain point de vue, ces constatations rassurent sur l'avenir des autres populations menacées de poissons. Leur résiliencerésilience semble forte. Mais en décortiquant les mécanismes de convalescence des écosystèmes marins, les biologistes découvrent aussi la lenteur et la complexité d'un retour (incertain) à l'état initial. Ils ont également un exemple de la sensibilité du milieu à toute modification des conditions climatiques. La morue de Nouvelle-Écosse est donc un cas à méditer, pour mettre en place une gestion durable des ressources halieutiques dans un contexte de réchauffement globalréchauffement global.