Des palmiers en Antarctique et des océans à 36 °C. Voilà les conditions qui régnaient sur Terre il y a 56 millions d’années au moment de ce qui est certainement le pire épisode de réchauffement climatique de la Terre. Si le volcanisme semble mis en cause, une nouvelle étude apporte des précisions sur les phénomènes ayant entraîné cette perturbation majeure du climat.


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    Il y a 56 millions d'années, la Terre connaissait une période de réchauffement dramatique. Connu sous le nom de maximum thermique du Paléocène-Éocène (PETM), cet événement a été marqué par une augmentation globale et soudaine des températures de 5 à 6 °C, sur une période relativement courte de quelques dizaines de milliers d'années. Parmi tous les événements hyperthermiques que la Terre a connus à ce jour, celui-ci pourrait bien être le plus important.

    D'énormes quantités de méthane auraient été relâchés directement dans l'atmosphère via des évents hydrothermaux il y a 56 millions d'années. © Bora, Adobe Stock
    D'énormes quantités de méthane auraient été relâchés directement dans l'atmosphère via des évents hydrothermaux il y a 56 millions d'années. © Bora, Adobe Stock

    Des palmiers en Antarctique

    Une telle évolution des conditions environnementales a, bien sûr, impacté la vie terrestre, notamment dans les océans. Le maximum thermique du Paléocène-Éocène s'est ainsi accompagné d'une extinction de masse. Hausse de la température, acidification et anoxieanoxie des océans auraient en effet causé la disparition de près de la moitié de la population des foraminifères benthiquesbenthiques, des micro-organismesmicro-organismes dont la coquille carbonatée est très sensible à une baisse du pH de l'eau. Un problème qui est également d'actualité. À terre, l'évolution de la température et des conditions d'humidité ont entraîné un important changement de végétation. Sous cette pressionpression environnementale, de nombreuses espècesespèces ont entamé une migration vers le nord. L’Arctique était ainsi peuplé d’alligators et des palmiers poussaient en Antarctique !

    Évolution des températures du Paléocène à nos jours. Le maximum thermique (PETM) est visible comme un pic très abrupt à la limite Paléocène-Éocène. © Robert A. Rohde, <em>Wikimedia Commons</em>, CC by-sa 3.0
    Évolution des températures du Paléocène à nos jours. Le maximum thermique (PETM) est visible comme un pic très abrupt à la limite Paléocène-Éocène. © Robert A. Rohde, Wikimedia Commons, CC by-sa 3.0

    12 000 gigatonnes de carbone libérées très rapidement dans l’atmosphère

    Bien que cet événement soit survenu dans une période de réchauffement globalréchauffement global s'étageant sur une vaste échelle de temps, sa soudaineté interroge les scientifiques. Elle nécessite en effet la survenue d'événements particuliers et de grande ampleur. De multiples études ont montré que l'initiation du PETM serait liée à une injection massive de dioxyde de carbone (CO2) ou de méthane (CH4) dans l'atmosphèreatmosphère. Plus de 12 000 gigatonnes de carbonecarbone auraient ainsi été libérées dans l'atmosphère en un temps relativement court, entraînant une déstabilisation majeure du climatclimat terrestre. Mais la source de ce carbone reste controversée. Un événement volcanique de grande ampleur est bien sûr le suspect numéro 1, et un coupable semble aujourd'hui tout désigné.

    Naissance de l’Atlantique Nord et intense activité magmatique

    À cette époque se produit en effet un épisode majeur en tectonique des plaquestectonique des plaques : le début de l'ouverture de l'Atlantique Nord. Lentement, les continents Amérique du Nord et Europe entament leur séparationséparation. Un déchirement continental qui s'accompagne d'une intense activité magmatique. D'énormes volumesvolumes de lavelave vont ainsi venir combler l'espace qui se creuse entre ce qui deviendra le Groenland et la Norvège pour former ce que l'on appelle aujourd'hui la Province ignée de l'Atlantique Nord. Il y a 56 millions d'années, d'importantes quantités de magmamagma sont ainsi injectées dans les sédimentssédiments qui remplissent progressivement ce bassin en formation. Au contact de la roche en fusionfusion, la matièrematière organique présente dans les sédiments se volatilise, libérant d'énormes quantités de CH4 et de CO2, évacués vers la surface par des évents hydrothermaux.

    À gauche, une carte de la région où ont eu lieu les forages. En vert, les bassins sédimentaires Crétacé. Les points noirs représentent les évents hydrothermaux associés à la formation de la Province ignée de l’Atlantique Nord. À droite, un bloc sismique 3D où l'on voit une coupe au niveau d'un paléo-fond océanique (en couleur). Les trous représentent les évents hydrothermaux par où se sont échappés les gaz à effet de serre et notamment le méthane. Les réflecteurs sismiques épais annotés « <em>sills</em> » représentent les injections de magma dans les sédiments. © Berndt et al. 2023, Nature Geoscience, CC by 4.0
    À gauche, une carte de la région où ont eu lieu les forages. En vert, les bassins sédimentaires Crétacé. Les points noirs représentent les évents hydrothermaux associés à la formation de la Province ignée de l’Atlantique Nord. À droite, un bloc sismique 3D où l'on voit une coupe au niveau d'un paléo-fond océanique (en couleur). Les trous représentent les évents hydrothermaux par où se sont échappés les gaz à effet de serre et notamment le méthane. Les réflecteurs sismiques épais annotés « sills » représentent les injections de magma dans les sédiments. © Berndt et al. 2023, Nature Geoscience, CC by 4.0

    Des bouches qui crachent du méthane directement dans l’atmosphère

    Une nouvelle étude, publiée dans Nature Geoscience, révèle d'ailleurs que ce phénomène aurait été bien plus important qu'on ne le pensait et aurait été l'un des facteurs principaux du déclenchement du maximum thermique du Paléocène-Éocène. Une campagne de forage IODP réalisée au large des côtes norvégiennes sur le plateau de Vøring a en effet permis de mieux comprendre le fonctionnement de ces évents hydrothermaux. L'étude montre que ces bouches ouvertes sur le fond océanique étaient bien actives juste avant le déclenchement de la crise climatique et n'ont fonctionné que durant un court laps de temps. Les chercheurs ont également découvert que cette activité s'est faite sous une très faible profondeur d'eau, de moins de 100 mètres. Il pourrait s'agir là d'une donnée essentielle qui permettrait d'expliquer l'impact de ce phénomène sur le climat.

    Habituellement, le méthane émis au niveau des évents hydrothermaux va en effet réagir avec l'eau de mer pour former du CO2 (réaction d'oxydationoxydation), un gazgaz dont le potentiel à effet de serreeffet de serre est bien moins important. Plus la colonne d'eau traversée est importante et plus la quantité de méthane arrivant en surface est donc moindre. À l'inverse, plus elle est faible, et plus la quantité de méthane atteignant l'atmosphère est importante. La faible profondeur des évents il y a 56 millions d'années, voire leur émersion totale pour certains, aurait donc permis à d'importantes quantités de méthane de rejoindre directement l'atmosphère, perturbant ainsi très rapidement le cycle du carbone et le climat terrestre.