Si la réalité du réchauffement climatique est désormais une évidence pour la grande majorité des Français, la sphère des réseaux sociaux affiche une image différente : attaques, insultes, sexisme, harcèlement et parfois menaces. Deux scientifiques ont accepté de livrer leur expérience et leurs sentiments face à ce déchaînement récent.


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    En quelques mois, plusieurs climatologuesclimatologues et météorologuesmétéorologues de référence en France, ont décidé de quitter X (anciennement Twitter), voire carrément de supprimer l'intégralité de leur présence publique sur les réseaux sociauxréseaux sociauxDavide Faranda, climatologue au CNRS et à l'Institut Pierre-Simon LaplacePierre-Simon Laplace (IPSL), et Magali Reghezza, géographe et maître de conférencemaître de conférence à l'École Normale Supérieure (ENS), communiquent quotidiennement sur X sur les sujets liés au changement climatiquechangement climatique.

    Avez-vous déjà été victimes d'attaques publiques sur les réseaux sociaux après des propos scientifiques sur le réchauffement climatique, voire même de menaces ou de harcèlement comme d'autres scientifiques récemment ?

    Davide Faranda : J'ai été victime de harcèlement sur TwitterTwitter. J'avais écrit un message disant qu'on devait réduire nos émissionsémissions de CO2, que c'était la seule voie possible contre le changement climatique, et un internaute s'est rendu sur ma page InstagramInstagram pour prendre des captures d'écranscaptures d'écrans de mes voyages, en disant « Regardez combien de fois il a pris l'avion ». Or, ce que je disais, c'est que « nous devons chercher à résoudre ces problèmes avec une action partagée » et non pas « vous devez résoudre les émissions ». Il n'y a pas d'autre choix que d'utiliser notre voiturevoiture ou de prendre l'avion parfois. Mais d'une manière générale, ça reste plutôt limité par rapport aux messages positifs que je reçois sur mes discours sur le changement climatique.

    Magali Reghezza : Je ne suis pas sur Twitter depuis longtemps, depuis 2021, car je ne voulais pas y aller. Il y a beaucoup de commentaires de climatosceptiques, mais aussi de plus en plus d'attaques sexistes. On remet en cause mon intellect, mes études ; on dit que je suis hystérique. Ce qui est plus gênant encore, ce  sont les attaques d'autres scientifiques qui font, soit partie des sceptiques, soit des « rassuristes ». Cela provient essentiellement d'un public masculin qui me dit ce que je dois aimer et ne pas aimer, qui je dois suivre ou pas sur les réseaux sociaux. Sur X, on demande aux scientifiques de ne pas être militant et d'exprimer uniquement des faits, mais en même temps nous sommes sommés de prendre partie sur des sujets.

    La transformation qui touche X/Twitter n'y est peut-être pas pour rien : en rachetant Twitter, Elon Musk a assoupli la modération des contenus agressifs et problématiques. Est-ce que ces attaques ont réellement empirées ces derniers mois, et pourquoi à votre avis ?

    Davide Faranda :  Oui, il y a une extrémisation de la discussion sur le changement climatique. Moi je ne fais pas de politique, je dis des évidences scientifiques, mais les climatosceptiques et certains groupes écologistes extrêmistes font de la politique. Ils extrêmisent la discussion d'un côté comme de l'autre, et les scientifiques se retrouvent au milieu, ils peuvent alors être sous le feufeu des deux camps. Sur X, le fait d'enlever les filtres, cela a laissé le champ libre à des attaques qui sont parfois du harcèlement.

    Magali Reghezza : J'ai constaté une augmentation assez sensible des attaques en commentaires. Je pense que c'est lié à plusieurs événements : les phénomènes météométéo extrêmes touchent de plus en plus la France, et ils sont relayés par les médias. Le bulletin météo s'est aussi transformé en bulletin météo-climat. Il y a une prise de conscience et c'est donc devenu une question clé dans le débat politique. On assiste à une réappropriation par les politiques de tous bords, car c'est impossible de nier qu'il se passe quelque chose. Du coup, les Français pensent qu'on veut les priver de leurs libertés, qu'on va augmenter les taxes, et que tous ces discours sur le climat sont une invention des élites.

    Qu'est-ce qui déclenche l'agressivité sur les réseaux sociaux : y-a-t-il des mots à éviter, des sujets particuliers qui fâchent, et dans ce cas, avez-vous commencé à changer votre manière de communiquer ?

    Davide Faranda : Ce qui énerve les gens, c'est de se présenter comme des professeurs qui leur disent ce qu'ils doivent faire, et ça, ça m'énerve aussi, car ce n'est pas le bon angle. Cela revient à dire que nous avons notre vérité, et que c'est vous, le peuple, qui devez réduire les émissions de CO2. Personne ne nous oblige à le faire, c'est un choix que l'on doit faire de manière partagée. Comme les attaques se concentrent souvent sur le domaine personnel, il faut faire attention quand on prône l'exemplarité, car personne n'est exemplaire. On tombe dans le piège de se faire attaquer pour des choses comme avoir voyagé ou utilisé sa voiture pour emmener ses enfants à l'école, ça peut être n'importe quel sujet. Les scientifiques doivent se mettre au même niveau que les autres. Ce qui énerve les gens, c'est lorsque les scientifiques se mettent à un niveau de prophète en donnant des leçons de vie aux autres sur ce qu'ils doivent faire. Mais, même en faisant attention à nos propos, on récolte parfois la haine.

    Magali Reghezza : On fait très attention à la manière dont on nomme les choses en tant que scientifique. Il ne faut surtout pas agiter la colère des populations comme le font certains partis politiques tels que l'extrême droite, car en faisant ça, on condamne les populations les plus sensibles qui n'auront pas les moyens de s'adapter. Ce qui agite la colère, c'est justement la façon avec laquelle certains parlent d'atténuation, et donc de privation de libertés. On nous accuse alors de vouloir imposer une dictature.  

    Devant ces attaques, et cette difficulté à communiquer, avez-vous pensé à quitter X et les réseaux sociaux comme certains collègues ?

    Davide Faranda : Je ne vais pas quitter X, je n'ai pas peur de m'exposer à des insultes, même sur le plan personnel. Nous avons un service juridique au CNRS, donc si les insultes publiques sont trop graves sur notre compétence scientifique, notre origine, ou ont un caractère sexuel comme je l'ai déjà connu, je me réserve le droit de porter plainte. Pour moi, c'est important de rester sur des supports, comme des réseaux ou autres médias, qui ne sont pas forcément ce qu'on aime. On doit le faire car le problème du changement climatique se résoudra avec une action partagée : il faut convaincre la majorité de la population.

    Magali Reghezza : Non, je ne quitterai pas X car la plupart de mes abonnés sont plutôt bienveillants. C'est aussi un lieu extraordinaire pour échanger avec d'autres scientifiques, c'est le seul endroit où on peut discuter avec un prix Nobel et j'ai énormément appris sur Twitter. J'étais très négative à l'idée de rejoindre Twitter, et j'ai changé mon opinion. Cela apprend aux scientifiques à ne pas être impulsif, à être synthétique, à communiquer avec les médias, ce que nous ne savons pas faire à la base, nous scientifiques.