Si l’idée d’un réchauffement maintenu à 1,5 °C d’ici la fin du siècle n’a pas encore été éliminée définitivement des esprits, pour la plupart des scientifiques, il est déjà trop tard.


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    Le 20 mars, le dernier rapport de synthèse du Giec était publié, dévoilant une fois de plus les conséquences du dérèglement climatique qui nous attendent, le tout pour différents scénarios d'émissionsémissions de gaz à effet de serre (GES). Avec un lot d'actions à mettre en place le plus vite possible pour mitiger ces effets.

    Parmi ces scénarios, il en reste un plus optimiste que les autres : celui où on ne dépasse pas la barre des 1,5 °C de réchauffement par rapport au début de l'ère industrielle. Alors que nous en sommes déjà à plus de 1,1 °C. Mais est-il vraiment réaliste ? Non, selon de nombreux scientifiques. « C'est une vue de l'esprit : si là, tout de suite, on stoppait l'extraction des énergies fossiles et qu'on ne brûlait que ce qu'on a déjà, alors oui on pourrait rester sous 1,5 °C », détaille Hugo Raguet, maître de conférencesmaître de conférences à l'INSA Centre-Val de Loire et chercheur en intelligence artificielleintelligence artificielle.

    Les différents scénarios d'émissions de gaz à effet de serre selon le Giec : rester sous 2 °C de réchauffement nécessite une diminution drastique des émissions dès aujourd'hui. © Giec 2023
    Les différents scénarios d'émissions de gaz à effet de serre selon le Giec : rester sous 2 °C de réchauffement nécessite une diminution drastique des émissions dès aujourd'hui. © Giec 2023

    L’objectif des 1,5 °C est déjà perdu

    La majorité des scientifiques le savent, explique le chercheur. En plus de son travail de scientifique, Hugo Raguet a décidé de rejoindre « Scientifiques en Rébellion », un collectif qui vise à dénoncer l'urgence climatique par des actions de désobéissance civile. « On est peu de scientifiques à oser la désobéissance civile, mais presque tous les scientifiques pensent qu'il est déjà trop tard pour les 1,5 °C, et probablement même pour 2 °C », explique-t-il. Le Giec a de plus alerté sur l'urgence d'agir si nous ne voulons pas atteindre ce palier dès 2030. Malheureusement, « pour le moment, on se dirige plutôt sur un scénario à au moins 3 °C de réchauffement en 2100 », alerte-t-il.

    Alors, comment faire pour réduire les émissions de GES ? Selon le Giec, sortir des énergies fossiles et passer à des énergies propres est primordial. On en est loin. « En 2022, d'après l'Agence internationale de l'énergieon a eu un record absolu des subventions publiques, aux énergies fossiles : 1 000 milliards de dollars, ajoute Kevin Jean, épidémiologiste et aussi membre de Scientifiques en Rébellion. On n'est pas sur de l'inaction climatique, on est sur des États qui amplifient le problème. »

    Mais même la sortie des énergies fossiles serait loin d'être suffisante : toute l'industrie doit passer par une phase de transition écologique, et très probablement de décroissance. Un mot qui fait souvent peur, alors que les gouvernements en appellent plutôt à la « sobriété énergétique », et un « développement durable ».

    « On va vers des événements météorologiques extrêmes, une baisse des rendements agricoles, de l'accès à l'eau, des millions de gens déplacés à cause du climat, qui provoqueront des guerres et des conflits. Et tout ça ira à l'encontre d'une transition environnementale, détaille Hugo Raguet. Qu'on le veuille ou non, la décroissance aura lieu. Le mieux que nous pouvons faire c'est accompagner le changement, pour qu'il ne soit pas radical dans la société, sans la faire tomber », ajoute-t-il.

    En haut, le pourcentage d'espèces menacées d'extinction dans le monde en fonction des scénarios. Dessous, en b, le nombre de jours par an dans le monde où les conditions d'humidité-température ne seront pas tenables pour l'être humain. Enfin, en c, les modifications sur la production de nourriture : la production de maïs (en c1), et les modifications de la disponibilité des poissons (en c2). Giec 2023
    En haut, le pourcentage d'espèces menacées d'extinction dans le monde en fonction des scénarios. Dessous, en b, le nombre de jours par an dans le monde où les conditions d'humidité-température ne seront pas tenables pour l'être humain. Enfin, en c, les modifications sur la production de nourriture : la production de maïs (en c1), et les modifications de la disponibilité des poissons (en c2). Giec 2023

    Mais tout cela ne se mettra pas en place avant des années. « Pour le moment, les pays développés veulent garder leur position économique, et les pays en voie de développement sont prêts à brûler leur population pour se développer économiquement, déplore H. Raguet. L'hypocrisie et l'opportunisme politique sont de mise : notre pays en est le parfait exemple. Lors de sa campagne, Emmanuel Macron scandait "Make our planet great again", mais derrière aucune décision réelle n'a été prise. De même pour les rassemblements citoyens, il n'y a jamais rien eu derrière. »

    D’ici 2030, on aura déjà vu des centaines de millions de réfugiés climatiques

    Et les très nombreux rapports scientifiques sur le climat ne sont que très peu médiatisés. Au point d'être invisibilisés dans le paysage politique, comme lorsque notre Président déclarait « qui aurait pu prédire la crise climatique ? » dans l'une de ses allocutions. La crise climatique est pourtant connue depuis des décennies, des études étaient déjà publiées sur le sujet dans les années 1970.

    Ainsi, avant de réels changements, « les conséquences du réchauffement climatiqueréchauffement climatique se feront déjà sentir très fort, continue le chercheur. Les pays les plus pauvres et proches du niveau de la mer seront les plus touchés, notamment en Asie du Sud-Est. Avec 1,5 °C de réchauffement, les conditions de température et d'humidité rendront certains endroits invivables. D'ici 2030, on aura déjà vu des centaines de millions de réfugiés climatiques. »

    Arrêter de voir le réchauffement climatique comme la source de nos problèmes

    Finalement, le chercheur insiste sur le fait de traiter le réchauffement climatique comme une conséquence, et non une cause. « Il faut arrêter de voir le réchauffement climatique comme la source de nos problèmes, explique-t-il. Il n'est qu'un symptômesymptôme du problème réel : la surconsommation. » L'énergie et l'extraction de matériaux et de ressources exercent une pressionpression trop forte sur un environnement qui ne peut pas le supporter.

    « Même si on remplaçait les énergies fossiles par une électrification, cela signifierait de multiplier par 20 les extractions de cuivrecuivre et de lithiumlithium, on n'aurait pas les ressources suffisantes pour le faire. C'est sur notre propension à surconsommer l'énergie qu'il faut se concentrer », conclut Hugo Raguet.