Depuis quelques jours, un rapport est relayé jusqu'en haut lieu : le Green Future Index. Il place la France en 4e position des pays les plus durables. Mais il n'a rien de scientifique et éloigne notre regard de données plus robustes. De quoi s'agit-il vraiment ?


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    La France serait classée quatrième des pays les « plus verts » au monde. Cette position est issue du Green Future Index -- littéralement, l'indice de l'avenir vert -- dont la première édition a été publiée par le MIT Technology Review le 25 janvier 2021. Mais, attention : ce n'est pas un rapport scientifique. Le MIT Technology Review est un média s'étant donné pour mission « de faire de la technologie une grande force pour le bien ». S'il entretient une relation avec le célèbre Massachusetts Institute of Technology, il n'est pas la voix du MIT.

    Depuis quelques jours, plusieurs personnalités politiques fanfaronnent avec cette bonne note. Du côté des scientifiques, les poils se hérissent. « Cet indice ne veut rien dire », assène Céline Guivarch. La chercheuse, membre du Haut Conseil pour le Climat et coautrice du prochain rapport du Giec, rit jaune. « C'est un rapport court, dont la méthodologie est peu détaillée, les choix faits ne sont pas justifiés, il n'y a pas d'analyse de sensibilité de leurs résultats... » Surtout, les auteurs ne sont pas des chercheurs. Le Green Future Index n'est ni une méta-analyseméta-analyse regroupant plusieurs résultats de recherche, ni une étude scientifique. Mais alors, de quoi s'agit-il ?

    D'après le rapport mis en ligne, la France se classe 4<sup>e</sup> d'une liste de 76 pays, avec une note de 5,98 sur 10. © <em>MIT</em> <em>Technology Review Insights</em>, 2021
    D'après le rapport mis en ligne, la France se classe 4e d'une liste de 76 pays, avec une note de 5,98 sur 10. © MIT Technology Review Insights, 2021

    Les promesses n'engagent que ceux qui y croient

    « Une étude scientifique doit être publiée dans un journal doté d'un processus de relecture par les pairs [c'est-à-dire d'autres scientifiques], pour améliorer et valider l'article, détaille Céline Guivarch. Il doit apporter une contribution à l'état des connaissances, avec une méthodologie transparente, des éléments clairs et justifiés. » Le rapport du MIT Technology Review, entrecoupé de plusieurs tribunes de ses partenaires commerciaux, ne fait rien de tout cela.

    L'indice Green Future vise à classer « 76 pays et territoires de premier plan sur leurs progrès et leur engagement à bâtir un avenir sobre en carbonecarbone », lit-on sur le site du média. Il est mentionné, page 10, que les 76 pays retenus sur les 195 reconnus par l'ONU représentent environ 95 % du PIB mondial, sans qu'il ne soit explicité que le choix d'exclure 124 pays du classement en découle. La méthodologie de l'indice, disponible ici, alimente le flou. La note attribuée aux différents pays repose sur cinq piliers : émissionsémissions de carbone, transition énergétique, société verte, innovation propre et politique climatique.

    Selon le rapport, les quatre premiers piliers traduisent les progrès accomplis par chaque pays pour réduire leur empreinte carbone et « jeter les bases d'un avenir plus propre dans l'industrie et la société ». Quant au 5e, la politique climatique, il est supposé mesurer le niveau d'ambition des politiques climatiques autour de l'énergieénergie, de l'agriculture et de la finance, ainsi que la façon dont les plans de relance dus à la Covid-19Covid-19 canalisent les investissements vers des industries propres.

    Sur son site, le <em>MIT Technology Review</em> note que la France « <em>est un leader mondial de la production d'hydrogène et s'est engagée à dépasser les objectifs de l'UE en matière d'énergie à base d'hydrogène d'ici 2030</em> ». (Capture d'écran)
    Sur son site, le MIT Technology Review note que la France « est un leader mondial de la production d'hydrogène et s'est engagée à dépasser les objectifs de l'UE en matière d'énergie à base d'hydrogène d'ici 2030 ». (Capture d'écran)

    Ces piliers sont pondérés, c'est-à-dire qu'un pourcentage leur est appliqué. À la manière des coefficients du baccalauréat. Chacun pèse 15 % dans la note globale, à l'exception de la politique climatique qui récupère 40 %. Car le Green Future Index accorde une grande importance aux promesses politiques, et la France extirpe sa bonne place de là.

    Émissions de carbone ? 13e avec 6,48/10. Transition énergétique ? 62e avec 2,98/10. Société verte ? 57e avec 4,53/10. Innovation propre ? 9e avec 6,57/10. Mais politique climatique ? 2e, avec 7,25/10. Au total, la France s'empare de la 4e place du classement avec un score de 5,98/10. L'équivalent d'un 12/20, dont peu de personnes se vantent... à moins d'éprouver des difficultés dans cette matièrematière. « On est les meilleurs dans une classe de cancres », souligne Céline Guivarch.

    Les États-Unis, 40e, devancent le Ghana, 71e

    L'examen des notes décernées à notre pays n'est que peu reluisant. Mais que signifient-elles ? Les cinq composants sont découpés de deux à quatre sous-parties. La méthodologie du MIT Technology Review ne clarifie par les raisons derrière les choix des cinq piliers ou leurs sous-parties. Concernant la politique climatique, « ce score semble être un jugement des auteurs mais ils ne disent pas comment ils sont arrivés à ce jugement », rapporte Céline Guivarch, directrice de recherche à l'École des Ponts ParisTech et spécialisée sur les effets du changement climatique.

    Surtout, cet indice constitue un agrégat disparate dont il est délicat de tirer des conclusions. « Un score agrégé comme cela donne assez peu d'éléments pour guider l'action », estime la chercheuse. Contrairement à un tableau de bord indiquant les émissions du pays, leurs évolutions récentes et leurs trajectoires possibles. Sur ce point, le Green Future Index pêche à nouveau. Il ramène les émissions de CO2 au PIB. « Ce qui compte pour le climat, ce sont les émissions dans l'absolu ! » Pour établir une comparaison internationale, ces émissions mesurées en tonnes d'équivalent CO2 sont rapportées au nombre d'habitants. Mais cela ne fait pas tout.

    « La première chose est : de quelles émissions parlent-on ? Celles ayant lieu sur notre territoire sont prises en compte dans les engagements internationaux, et couvertes par la stratégie nationale bas carbone. Mais il y a aussi les émissions en empreinte, c'est-à-dire celles le long des chaînes de production des biens et services consommés en France. Ce sont les émissions territoriales [ndlr : émises sur notre territoire] corrigées avec les imports et les exports [ndlr : soit les émissions émises pour nous ailleurs, ou chez nous pour d'autres]. On appelle cette mesure l'empreinte carbone. »

    En 2016, la France émettait sur son sol 6,6 tonnes d'équivalent CO2 par personne et par an, d'après le ministère de la Transition écologique. Tandis que cette même année, l'empreinte carbone du pays atteignait 10 tonnes d'équivalent CO2 par personne et par an. « Il faut regarder l'empreinte carbone, pour que les actions que nous mettons en œuvre sur notre territoire ne provoquent pas des émissions relocalisées ailleurs », soutient Céline Guivarch. Actuellement, les efforts du pays permettent une baisse des émissions. Mais une baisse insuffisante pour suivre « la trajectoire que nous nous sommes fixés, nous-mêmes, avec la stratégie nationale bas carbone ».

    De meilleures données sont sous notre nez

    « Entre les rapports du GiecGiec et ceux du Haut Conseil pour le Climat, j'ai l'impression que nous avons déjà les éléments pour se dire "il faut accélérer". » D'autant plus qu'il s'agit, cette fois, de rapports scientifiques. Bien que le Giec ne produise pas de nouvelles connaissances, il évalue et synthétise l'état des connaissances scientifiques à un moment donné. De là, il obtient « ce qu'on va appeler le consensus scientifique à ce moment donné », témoigne Céline Guivarch. Qu'est-on capable de dire ? Avec quelle degré de certitude ? Où sont les points d'incertitude ?

    Les rapports du Giec émergentémergent d'un processus de trois ou quatre ans, menés par quelques 700 scientifiques. « Je suis impliquée dans la préparation du prochain rapport, qui sortira en 2022, précise la chercheuse. En tant qu'auteur, on va rassembler tous les articles qui traitent d'un point donné, et évaluer s'ils vont tous dans le même sens ou pas, si les méthodologies sont robustes... Et en tirer ce que l'on peut dire et avec quel degré de confiance. On ne fait pas ça à temps plein, mais on contribue pour une part non négligeable de notre temps, avec un processus transparenttransparent et une relecture par d'autres experts, puis une seconde relecture par des gouvernements et encore d'autres experts. Tous les commentaires faits sont rendus publics. C'est un processus collectif, parce que ça permet une plus grande robustesse. »

    Céline Guivarch travaille dans la recherche publique française. Ses collègues et elle-même s'attèlent, depuis de longues années, à construire les savoirs nécessaires pour éclairer les débats citoyens et les décisions collectives. Devant l'impact du Green Future Index, relayé par de nombreuses personnalités publiques, l'inquiétude pointe. Quelle place est accordée aux connaissances et à la recherche ? « Qu'un rapport, qui n'a rien de scientifique, ait un tel impact... C'est méprisant pour le travail des chercheurs. J'espère mieux de nos institutions. J'espère que les sources soient vérifiées et que les décisions soient prises sur la base des meilleures connaissances d'aujourd'hui. »