Et si le manteau de notre Terre n’était pas aussi homogène que l’imaginent les chercheurs ? C’est ce que laissent penser les résultats récemment obtenus par une collaboration entre géologues et astrophysiciens. Ils ont découvert des structures inconnues dans les profondeurs de notre Planète. En exploitant un outil créé pour explorer les profondeurs du cosmos. Brice Ménard, astrophysicien, nous apporte quelques précisions.


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    Nous imaginons parfois que la Terre a été explorée dans ses moindres recoins. Mais ce n'est pas tout à fait vrai. Surtout concernant ses entrailles. Une équipe de l’université du Maryland (États-Unis) vient de révéler d'ailleurs l'existence de structures insoupçonnées à l'interface entre le manteau et le noyau de notre Planète. Premiers éléments d'une carte qui pourrait redessiner les dessous de notre monde.

    À 3.000 kilomètres sous nos pieds, en plein Pacifique, les géologuesgéologues de cette équipe viennent en effet de découvrir de larges structures inconnues. Et plus spécifiquement en dessous d'Hawaï et des îles Marquises, des structures chaudes et denses. Laissant supposer que les fondations de ces îles pourraient trouver leurs sources à des profondeurs bien plus importantes : à l'interface entre le noyau liquideliquide et le manteau solidesolide de la Terre. « C'est un résultat surprenant », commente pour Futura, Brice Ménard, astrophysicienastrophysicien à l'université John Hopkins (États-Unis).

    Les chercheurs sont noyés dans les données.

    Mais que vient faire un astrophysicien dans cette aventure ? Il est celui qui a développé l'algorithme qui a permis cette découverte... des géologues. « Aujourd'hui, les chercheurs, tous les chercheurs, sont noyés dans les données. Il y en a de plus en plus. Il y en a trop pour qu'ils puissent les visualiser », nous explique-t-il. Impossible de traiter ces milliers, voire ces millions d'objets « à la main ». L'approche mathématique est devenue incontournable. En adoptant ce point de vue, l'horizon s'éclaire. « Tant que l'on sait ce que l'on cherche. » Cependant, les choses se compliquent lorsque l'on ne sait pas exactement ce que l'on attend des données en question.

    « Il n'est pas si rare que des chercheurs trouvent, dans des données disponibles depuis des années, des objets ou des effets intéressants qui étaient restés cachés là, seulement parce que personne ne les avait cherchés. » Et c'est pour résoudre ce problème que Brice Ménard a développé le nouvel algorithme aujourd'hui sur le devant de la scène : le Sequencer.

    La carte établie par les chercheurs grâce au Sequencer, un nouvel algorithme développé par des astrophysiciens. Y sont marqués, les séismes étudiés (étoiles orange), les sismomètres qui les ont enregistrés (triangles bleus) et Hawaï et les îles Marquises (triangles jaunes). La puissance des échos est traduite par des couleurs allant du violet foncé au jaune. Et les structures chaudes et denses révélées apparaissent à la limite du noyau liquide en fer de la Terre. © D. Kim, V. Lekíc, B. Ménard, D. Baron and M. Taghizadeh-Popp, Science
    La carte établie par les chercheurs grâce au Sequencer, un nouvel algorithme développé par des astrophysiciens. Y sont marqués, les séismes étudiés (étoiles orange), les sismomètres qui les ont enregistrés (triangles bleus) et Hawaï et les îles Marquises (triangles jaunes). La puissance des échos est traduite par des couleurs allant du violet foncé au jaune. Et les structures chaudes et denses révélées apparaissent à la limite du noyau liquide en fer de la Terre. © D. Kim, V. Lekíc, B. Ménard, D. Baron and M. Taghizadeh-Popp, Science

    Un algorithme pour trouver même ce que l’on ne cherche pas

    Alors que les intelligences artificielles classiques se basent sur un apprentissage, le Sequencer est capable de chercher... et de trouver par lui-même, des informations noyées dans un flot de données. « Le tout à partir d'une définition mathématique de ce qui est potentiellement intéressant. » Il y a quelques mois, cet algorithme a ainsi permis à l'équipe qui entoure Brice Ménard de définir une nouvelle façon d'estimer la massemasse des trous noirs supermassifs. « Le Sequencer a trouvé une relation entre cette masse et certaines propriétés des galaxiesgalaxies qui hébergent ces trous noirstrous noirs, précise l'astrophysicien. Avant, nous ne pouvions travailler que sur une centaine des galaxies les plus proches de nous. Désormais, c'est l'UniversUnivers tout entier qui s'ouvre à nous ».

    Le saviez-vous ?

    Le Sequencer est accessible à tous. Libre à n’importe quel chercheur, travaillant dans n’importe quel domaine, de lui soumettre un échantillon de données à analyser. Avec l’espoir d’y détecter des tendances intéressantes.

    Cette fois, les géologues ont injecté quelque 30 années de données sismologiques dans le Sequencer. Des milliers de sismogrammes générés par des centaines de tremblements de terre profonds et puissants -- de magnitudemagnitude supérieure à 6,5 sur l'échelle de Richter. Car il faut savoir que les ondes sismiques émises par ces tremblements de terretremblements de terre peuvent renseigner les chercheurs sur la composition de l'intérieur de notre Planète. Un peu comme les ultrasonsultrasons donnent aux médecins des images de l'intérieur de notre corps. Par interprétation de leurs échos. La difficulté, c'est que jusqu'alors, il était impossible aux géologues de distinguer dans ces signaux, les échos les plus faibles du simple bruit de fond.

    Comme prévu, le Sequencer est parvenu à discriminer deux types d'échos du bruit de fond. Les premiers, dont l'amplitude décroît très vite avec le temps, trahissent la présence de structures dont les propriétés sont très différentes de celles du manteau environnant. Les seconds, dont l'amplitude décroît plus lentement, pourraient provenir de sources distribuées. Comme des vagues se déplaçant à la frontière de grandes régions à faible vitessevitesse de cisaillement. La preuve, en tout cas, que la base du manteau terrestre est bien plus hétérogène que le pensaient jusqu'alors les géologues.