Pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre et ainsi limiter le réchauffement climatique, différentes pistes sont aujourd’hui envisagées. Celle du recours à un hydrogène vert pourrait être prometteuse, et pourquoi pas avant tout pour décarboner l’industrie, estiment les experts du Boston Consulting Group (BCG). Emmanuel Austruy, directeur associé et expert énergie du bureau parisien du cabinet de conseil nous explique pourquoi.


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    Futura a interrogé Emmanuel Austruy, directeur associé et expert énergieénergie du bureau parisien du cabinet de conseil. Il nous explique pourquoi l'hydrogènehydrogène « vert » pourrait être une alternative industrielle au service du climat.

    La voiture à hydrogène est présentée comme une solution pour réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le secteur des transports. Qu’en pensez-vous ?

    Emmanuel Austruy : Il est vrai que depuis quelque temps, les thèmes de l'hydrogène et de la mobilité apparaissent souvent présentés comme intimement liés. Au-delà des voitures à hydrogènevoitures à hydrogène, on entend parler de taxis à hydrogène, de bus à hydrogène et même de vélos à hydrogène. Comme illustré dans une récente étude BCGBCG, plusieurs points nous laissent penser que l'hydrogène, et en particulier l'hydrogène dit « vert », aurait plus de potentiel immédiat dans l'industrie ou le transport lourd avant de se développer dans le secteur de la mobilité légère, notamment en matièrematière d'efficacité de décarbonation et de plus faible concurrence avec d'autres alternatives.

    Qu’est-ce qui vous mène à cette conclusion ?

    Emmanuel Austruy : En grande partie car dans le monde, l'industrie consomme déjà aujourd'hui chaque année quelque 50 millions de tonnes d'hydrogène. Un million de tonnes rien qu'en France. Les industriels en ont besoin, par exemple, pour fabriquer des engrais à partir d'ammoniacammoniac (NH3). On en trouve aussi dans les raffineries et on pourrait même en utiliser dans les aciéries. Malheureusement, cet hydrogène est aujourd'hui fortement carboné. Il est produit à partir de charbon, de pétrolepétrole ou de gaz naturel - du méthane (CH4) - dans un cycle qui émet beaucoup de CO2. Réussir à produire un hydrogène vert pour les usages industriels constituerait donc un grand pas vers une économie plus durable.

    Quelles sont les pistes ?

    Emmanuel Austruy : L'une des options consiste à envisager de produire un hydrogène qualifié de « bleu ». Toujours à partir du méthane, mais en prenant soin de récupérer le CO2 émis en sortie de process. L'autre option propose de passer à un hydrogène « vert » produit par électrolyse de l’eau grâce à une électricité renouvelable. Rendre ce procédé économiquement rentable constitue un beau challenge compte-tenu des investissements requis et des duréesdurées d'utilisation annuelles de fait souhaitables. Mais le tissu industriel est tout particulièrement adapté à cela. La production serait en effet concentrée sur de grands complexes déjà industriels. Cela aiderait à rentabiliser les électrolyseurs, et réduire les difficultés - et les émissionsémissions de gaz à effet de serregaz à effet de serre - liées au transport de l'hydrogène.

    Aujourd’hui, produire de l’hydrogène « vert » coûte deux à trois fois plus cher que produire de l’hydrogène « gris », fortement émetteur de CO<sub>2</sub>. © malp, Adobe Stock
    Aujourd’hui, produire de l’hydrogène « vert » coûte deux à trois fois plus cher que produire de l’hydrogène « gris », fortement émetteur de CO2. © malp, Adobe Stock

    Pas d’hydrogène vert dans les transports, alors ?

    Emmanuel Austruy : Peut-être à moyen terme dans des cas de mobilité lourde, sur des corridorscorridors bien précis. On pourrait par exemple imaginer des stations installées à destination des camions le long de l'axe Espagne-Pays-Bas.

    La mobilité lourde pourrait profiter d’un hydrogène « vert »

    Pour la mobilité légère, le sujet semble plus lointain. Il faut noter tout d'abord, le fait que les constructeurs ont pour la plupart déjà beaucoup investi sur la voiture électriquevoiture électrique à batteries. Il semble difficile de leur demander d'investir également sur cette autre solution qu'est la voiture à hydrogène notamment dans le contexte actuel. D'autant que les coûts des batteries continuent de diminuer et que l'installation de bornes de recharge apparaît bien plus simple que la mise en place de stations à hydrogène. Sans oublier le round trip efficiency d'une voiture à hydrogène - comprenez, le ratio entre l'énergie électrique utilisée pour produire de l'hydrogène vert puis le transporter et l'énergie récupérée au niveau du moteur via sa pile à combustiblepile à combustible - qui n'est pas à la hauteur de celui d'une voiture à batterie.

    Ne peut-on pas imaginer aussi utiliser de l’hydrogène « vert » comme un vecteur d’énergie au même titre que le gaz naturel, mais en version durable ?

    Emmanuel Austruy : Des essais sont en cours. Par exemple le projet Grhyd, à Dunkerque. L'idée : produire de l'hydrogène « vert » à partir des excédents de production des énergies renouvelablesénergies renouvelables et injecter cet hydrogène dans le réseau de gaz. Mais il ne s'agit à ce stade que d'un démonstrateurdémonstrateur et le taux d'hydrogène injecté dans le réseau n'est que de 20 %, le taux maximum que celui-ci semble pouvoir supporter en toute sécurité pour l'instant.

    Justement, on parle souvent de stocker des énergies renouvelables, par définition intermittentes comme le solaire et l’éolien, au moyen d’hydrogène. Une bonne idée ?

    Emmanuel Austruy : Une fois encore, s'il s'agit là de produire, à partir des excédents de production d'énergies renouvelables, de l'hydrogène « vert » à coût compétitif pour un usage industriel local par rapport à son équivalent « gris » aujourd'hui livré à l'industriel, l'idée semble bonne. À condition bien sûr que cet hydrogène n'ait pas à voyager sur des kilomètres avant d'arriver aux usines. Mais en matière de stockage à proprement parler, cet usage entrera également en concurrence avec d'autres solutions comme les batteries - en particulier si les batteries des véhicules électriques sont utilisées en seconde vie - ou les STEPS (stations de transfert d'énergie par pompagestations de transfert d'énergie par pompage).