L’avenir d’Ariane 5 est en train de se jouer. L’Agence spatiale européenne doit trancher entre une version améliorée (Ariane 5 ME, pour Midlife Evolution) et un lanceur de nouvelle génération. Et le sujet est très débattu au sein de l'Esa. Pour certains, une Ariane 5 ME ne répond pas aux besoins du marché. Pour d’autres, elle serait l’occasion de développer des capacités qui manquent à l’Europe.

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    À quelques semaines de la session du Conseil au niveau ministériel de l'Agence spatiale européenne (Esa), la France et l'Allemagne sont très divisées sur l'avenir du lanceur Ariane 5Ariane 5. En résumé, le gouvernement français veut investir immédiatement dans un Nouveau lanceur, alors que les Allemands voudraient améliorer l'actuelle Ariane 5 ECA en la dotant d'un nouvel étage plus puissant. Ce dernier, propulsé par le moteur réallumable Vinci, porterait la capacité du lanceur d'un peu plus de 10 tonnes à environ 12 tonnes.

    Les Allemands sont convaincus qu'en l'état le programme du Lanceur de nouvelle génération n'est pas suffisamment avancé pour commercer à travailler sur le successeur d'Ariane 5 et que le programme Ariane 5 Midlife Evolution permettrait d'améliorer la compétitivité d'Ariane 5. Une position que défend Astrium, l'industriel en charge du système Ariane 5, pour qui il ne fait aucun doute que ce lanceur doit être développé pour se prémunir d'un échec industriel, de façon à ce que l'Esa ne réitère pas ses erreurs passées. En effet, « lors du passage d'Ariane 4 à Ariane 5, nous avons refusé de payer l'assurance qu'aurait constituée la coexistence, pendant quelque temps, des deux lanceurs. Les problèmes d'Ariane 5 au démarrage auraient pu tuer l'industrie spatiale européenne » nous expliquait François Auque, président d'Astrium, en début d'année.

    Du premier lancement d’une Ariane en décembre 1979, à celui de la version 10 tonnes, le fleuron de la gamme d’Arianespace, voici en image les premiers lancements réussis de chaque version de la famille Ariane. De gauche à droite : 1<sup>re</sup> Ariane 1 (24 décembre 79), 1<sup>re</sup> Ariane 3 (4 août 1984), 1<sup>re</sup> Ariane 4 (15 juin 1988), 2<sup>e</sup> Ariane 5G (30 octobre 1997) et 2<sup>e</sup> Ariane 5 ECA (12 février 2005). © Esa/Cnes/Arianespace - Service optique CSG

    Du premier lancement d’une Ariane en décembre 1979, à celui de la version 10 tonnes, le fleuron de la gamme d’Arianespace, voici en image les premiers lancements réussis de chaque version de la famille Ariane. De gauche à droite : 1re Ariane 1 (24 décembre 79), 1re Ariane 3 (4 août 1984), 1re Ariane 4 (15 juin 1988), 2e Ariane 5G (30 octobre 1997) et 2e Ariane 5 ECA (12 février 2005). © Esa/Cnes/Arianespace - Service optique CSG

    Autre point à prendre en compte : avec l'étage Vinci, l'Europe se dote de technologies qu'elle n'a pas et qui s'avèreront nécessaires pour les étapes futures de l'exploration. En effet, l'étage supérieur Vinci et son moteur réallumable cryogénique pourraient être adaptés aux besoins d'autres étages supérieurs, voire de ceux de véhicules orbitaux. D'ailleurs, certains concepts en lice pour devenir le lanceur de nouvelle génération à l'horizon 2025, prévoient de l'utiliser. Enfin, cet étage permettait également à ArianespaceArianespace de se mettre en conformité avec la loi spatiale de 2008, qui impose désormais de pouvoir désorbiter l'étage supérieur de tout lanceur. 

    Ariane 5 face à la concurrence

    Quant à la position française, elle se veut plus terre à terre. Elle soutient que l'avenir économique d'Ariane 5 MEAriane 5 ME n'est pas démontré et qu'il ne répond pas à une attente du marché, d'autant plus que l'arrivée sur le marché du lanceur Falcon-9 de SpaceX bouleverse la donne. Explications.

    Les opérateurs de satellites veulent que leurs engins soient compatibles avec au moins deux lanceurs. Cette sécurité garantit une fenêtrefenêtre de lancement supplémentaire dans le cas où un de ces lanceurs serait cloué au sol. Actuellement, les deux qui dominent le marché sont Ariane 5 et le Proton d’International Launch Services qui peut lancer de 6 à 7 tonnes en orbite géostationnaire. Autrement dit, sauf à de très rares exceptions, aucun opérateur de satellite commercial ne prendra le risque de construire un engin de plus de 6 tonnes s'il ne peut être lancé que par Ariane 5.

    Or, avec des performances annoncées de 4,5 tonnes en orbite géostationnaire et des coûts de lancement inférieurs à ceux pratiqués par Arianespace, SpaceXSpaceX redistribue les cartes et bouscule le marché des lancements de satellites tenu en quelque sorte par le duopole formé d'Arianespace et International Launch Services. SpaceX va moins faire baisser les prix de l'accès à l'espace (annoncés 20 % moins chers) que contribuer fortement à stabiliser à ce niveau (4,5 tonnes) la masse des satellites de télécommunications. Dans ce contexte, l'actuelle Ariane 5 ECA est amplement suffisante pour répondre aux besoins du marché.

    Enfin, il faut savoir que l'étage ECB a été initié à un moment où l'on pensait que pour qu'Ariane 5 conserve son attractivité, elle devait évoluer vers une version capable d'envoyer en orbite des satellites de plus en plus lourds et disposer d'une capacité de réallumage de l'étage supérieur. Ce surplus de puissance devait également préserver la politique de lancement double d'Ariane 5 sur le marché commercial, une stratégie abandonnée avec le NGL et le retour à une famille de lanceurs modulaires de type Ariane 4. Or, comme nous le précise Mario De Lepine, le porteporte-parole d'Arianespace, « contrairement aux idées véhiculées récemment d'une augmentation continue de la masse moyenne des satellites à lancer, les prévisions d'Arianespace montrent au contraire une stabilisation de cette augmentation dans les années à venir ».

    L'étage ECB et son moteur Vinci de l'Ariane 5 ME, une évolution de l'actuelle Ariane 5 ECA. © Esa/R. Decourt

    L'étage ECB et son moteur Vinci de l'Ariane 5 ME, une évolution de l'actuelle Ariane 5 ECA. © Esa/R. Decourt

    Exit Ariane 6, NGL, place au Nouveau système de lancement (NLS)

    Alors, qu'attendre de cette session du Conseil de l'Esa ? On aurait pu craindre, en raison de ce désaccord franco-allemand et dans un contexte de maîtrise de la dette des États membres de l'Esa, qu'on s'oriente vers une non-décision et le financement de mesures conservatoires permettant de ne pas prendre trop de retard sur A5A5 ME s'il doit être décidé un jour, sans engager trop d'argent au détriment de l'après-Ariane 5. Il n'en sera rien, l'Esa va remettre à plat les quatre concepts à l'étude qui devaient succéder à l'actuelle Ariane 5 dans le cadre du Lanceur de nouvelle génération. En lieu et place de ce programme, l'Esa devrait annoncer la naissance d'un nouveau programme baptisé New LauncherLauncher System (NLS) qui integrerait les programmes Ariane 5 ME et NGL. L'idée serait de capitaliser sur ce qui a déjà été fait et vraisemblablement de faire évoluer l'étage Vinci du lanceur ME vers un étage de la future Ariane 5 à l'l'horizon 2025.

    Enfin, en raison de la situation financière de la France, il est peu vraisemblable que son gouvernement appuie le programme et s'engage financièrement, comme il a su et pu le faire pour les programmes précédents. Il n'y a plus ni la même urgence stratégique, qui consistait à l'époque à acquérir un accès indépendant à l'espace, ni la conjoncture économique.

    Quelles que soient les décisions prises, on est bien loin des grandes idées utopiques de la réduction des coûts en orbite par la récupération et la réutilisation des étages de lanceurs, objectifs des programmes FLTP de l'Esa du début des années 2000.