En 1900, le préhistorien breton Paul de Châtellier a exhumé une lourde dalle gravée. Conservée dans son musée personnel, celle-ci a été perdue à sa mort. Jusqu'à récemment. Deux archéologues ont remis la main dessus. Il s'agirait de la plus vieille carte trouvée en Europe !


au sommaire


    Il y a plus d'un siècle, en 1900, le préhistorien breton Paul de Châtellier exhume une dalle gravée des terres de Leuhan, dans le Finistère. Lourd, très lourd, ce bloc de schiste pèse une tonne et demie. Il était enfoui dans le tertre de Saint-Bélec, un grand amas de terre de 40 mètres de diamètre pour deux mètres de haut, recouvrant une sépulture. Ce tumulus est daté de l'âge du Bronze ancien, entre 1900 et 1650 avant J.C.

    Paul de Châtellier fait extraire la dalle gravée de ces lieux. Sans doute péniblement, au regard de sa massemasse, de ses 2,2 mètres de long et de son 1,53 mètre de large. Jusqu'à sa mort, en 1911, la relique est entreposée dans son musée personnel à Pont-l'Abbé. Mais elle disparaît une dizaine d'années après son nouveau gardien, lorsque ses enfants vendent sa collection. Oubliée. Perdue. Puis retrouvée. En 2014, deux archéologues, Yvan Pailler et Clément Nicolas, remettent la main dessus. Grâce à un examen minutieux des archives, ils localisent l'objet dans une cave du château abritant le Musée d'archéologie nationale. Ce qu'ils découvrent est un trésor.

    Voir aussi

    Cartographie - Les représentations de l'Afrique, de l'Antiquité au XIXe siècle

    La dalle de Saint-Bélec est incrustée de lignes, de points, de cercles... Des incisions et quelques piquetages où le hasard n'a pas sa place. « On estime que l'on est devant une carte quand des motifs se répètent et qu'ils sont reliés entre eux par des lignes pour former un réseau, dans un ensemble cohérent », détaille Yvan Pailler à l'Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives). Nul doute, la dalle est une carte. « Ou plutôt une représentation à caractère cartographique », précise l'archéologue.

    La dalle de Saint-Bélec s'étend sur 2,2 mètres de long pour 1,53 mètre de large. Taillée dans un bloc de schiste, elle pèse quelque 1,5 tonne. © Denis Glicksman, Inrap
    La dalle de Saint-Bélec s'étend sur 2,2 mètres de long pour 1,53 mètre de large. Taillée dans un bloc de schiste, elle pèse quelque 1,5 tonne. © Denis Glicksman, Inrap

    Une certitude, plusieurs énigmes

    Ce document de pierre est brisé. Que la cassure soit volontaire ou non, les chercheurs ne sauraient le dire. Malgré ces bouts manquants, suffisamment d'éléments démontrent que cette carte retranscrit l'environnement autour du tombeau. La vallée de l'Odet forme un triangle. Un triangle est sur la carte. Le massif de Landugal est rectangulaire. Un petit rectangle apparaît sur la carte. Les similarités s'accumulent, mais les deux hommes se méfient de leur regard.

    Voir aussi

    Cassini : la grande aventure de la Carte de France au XVIIIe siècle

    Pour corroborer leurs observations, ils font appel à Julie Pierson, géomaticienne. Par différents tests mathématiques, elle confirme leur analyse : ces lignes et ces points font bien référence aux alentours de Leuhan. « Ce qu'il nous manque, c'est la légende », confie Clément Nicolas. Sans elle, les archéologues ne peuvent être certains de leurs interprétations. « Tout cela, c'est presque un prélude à un programme de recherche entier sur les montagnes Noires [une chaîne montagneuse traversant le Finistère, les Côtes-d'Armor et le Morbihan, ndlr]. » D'autant qu'un autre mystère demeure. Pourquoi cette œuvre était-elle cachée au cœur d'une tombe ?

    La pointe de Saint-Mathieu se niche dans le Finistère. © JM Soedher, Adobe Stock
    La pointe de Saint-Mathieu se niche dans le Finistère. © JM Soedher, Adobe Stock

    Toutefois, une chose est sûre. Dénichée pour la première fois dans une sépulturesépulture de l'âge du Bronze ancien, cette dalle est la plus ancienne carte d'Europe jamais dévoilée. Elle éclaire les scientifiques sur les pratiques des peuples qui vivaient en Bretagne... il y a près de 4.000 ans. Elle pourrait, notamment, émaner du souhait d'une autorité royale de représenter son territoire, afin d'en faciliter la gestion et d'asseoir sa possession.