Il existe une autre courbe indissociable à celle des cas de Covid-19 dont on parle peu : l'accroissement des syndromes post-traumatiques chez les soignants. L'aplatissement de cette dernière dépend directement de la première.


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    Être focalisé sur l'aplatissementaplatissement de la courbe de cas Covid-19 est important afin de ne pas submerger encore plus les hôpitaux. Mais derrière cet objectif, il ne faut pas oublier qu'il y a des soignants épuisés. Ces derniers seront nombreux à ne pas sortir indemnes d'une telle épreuve, qui n'est pas encore terminée.

    Derrière les chiffres se cachent des êtres humains

    « Avant que l'épidémie s'installe, je me souviens avoir dit à mes collègues et à ma famille que ce serait grave parce que nous n'avions pas d'immunité. Mais en réalité ça n'a pas été grave qu'à cause de cela. Cela l'a été car notre système de soin n'a plus les moyens de soigner devant de telles situations. » Tels sont les mots d'une infirmière - que nous appellerons ici Sarah - infirmière formée en santé publique et enseignante en Institut de formation en soin infirmiersinfirmiers (IFSI) en Alsace, le principal foyer épidémique français. 

    Cette pandémie était sa première expérience de crise sanitairecrise sanitaire d'une telle ampleur. « Personne n'imaginait manquer de matériel. Pourtant, c'est arrivé. Je ne pensais pas que ça pouvait être possible. » Elle raconte une situation qui l'a submergée, elle et l'ensemble de ses collègues. « Pourtant, ma formation en santé publique m'avait permis d'envisager que l'épidémie serait grave. Mais les données venant de Chine m'ont empêchée d'imaginer la réalité de ce que nous vivons aujourd'hui. Ce n'est que quand j'ai commencé à regarder les morts en Italie que j'ai compris que les données chinoises étaient probablement fausses. Un tel décalage était impossible. »

    Petit à petit, Sarah relate comment elle est passée d'un état où elle se préparait à une gravitégravité mesurable jusqu'au moment où cette dernière est devenue complètement hors de contrôle. « Dans les recommandations, il est préconisé pour une infection à risque via les gouttelettes de salives de porter des masques FFP2. J'ai pleuré le jour où j'ai compris que nous ne pouvions pas en porter parce qu'il n'y avait plus assez de stock. »

    Sarah évoque aussi son aversion vis-à-vis des chiffres énoncés à la télévision. « Les gens semblent s'habituer à l'annonce du nombre de morts à la télévision. Moi je sais que ce ne sont pas uniquement des nombres. Ce sont des maris, des papas, des mères, des grands-mères... je déteste les annonces du gouvernement. J'ai l'impression que ça rend acceptable les morts. »

    De jour en jour, son état mental se dégrade. « J'ai des idées tristes. Je ne trouve plus de sens à mon travail. J'essaie de ne pas trop y penser sinon certains soirs je pourrais avoir un accident de voiturevoiture pour me libérer de la violence actuelle et de celle à venir. La crise financière, les effets du confinement, tous ces gens qu'il faudra soigner. Je ne sais pas si j'aurais encore l'énergieénergie. »

    Mais Sarah n'est pas un cas isolé. Sarah est dans le même état qu'une bonne partie des soignants. Pour finir, elle nous avoue qu'elle a pris rendez-vous avec une psychologue en téléconsultation. « J'ai rendez-vous jeudi. Je sais que mon trouble est présent. Le nier ne va pas m'aider. Prendre soin de moi est important si je veux continuer à travailler et à soigner tous ces gens. »

    Sarah n'est pas un cas isolé. Sarah est dans le même état qu'une bonne partie des soignants. © Mikhaylovskiy, Adobe Stock<br> 
    Sarah n'est pas un cas isolé. Sarah est dans le même état qu'une bonne partie des soignants. © Mikhaylovskiy, Adobe Stock
     

    Quelques chiffres pour mesurer l'ampleur des dégâts

    Un récent article paru dans Science nous aide à comprendre plus rationnellement les dégâts que chaque crise pandémique, ou autres situations qui saturent les hôpitaux, induit chez nos soignants. Elles apportent avec elles leurs lots d'effets secondaires lourds. Les études des précédentes épidémies montrent que même deux ans après ces dernières, les niveaux d'épuisement professionnel, de détresse psychologique et de stress post-traumatiquestress post-traumatique restent considérablement plus élevés qu'en temps normal dans les anciens foyers épidémiques.

    De récentes études sur la pandémiepandémie actuelle en Chine, et particulièrement à Wuhan, ont montré que 72 % des soignants avaient éprouvé des symptômessymptômes de détresse (dépression, anxiété, insomnieinsomnie, etc.)). Dans une récente étude prépubliée, c'est le trouble de stress post-traumatique qui pointe le bout de son neznez parmi la moitié des soignants italiens, surtout chez les jeunes femmes.

    « Réparer une personne déchirée n'est pas facile », déplore Roy Perlis, psychiatre au Massachusetts General Hospital. « Bien que des soins de santé mentale soient disponibles dans la plupart des hôpitaux et des cliniques, le personnel médical peut ne pas avoir le temps ni l'énergie pour profiter de ces services. » Tout cela nous fait d'autant mieux comprendre l'importance de rester chez nous : pour notre santé, mais aussi celle de nos soignants. Il faut à tout prix les préserver d'une seconde vaguevague épidémique incontrôlable.