En 2012, une expérience a jeté le flou sur l'efficacité supposée des messages sanitaires destinés à lutter contre l'obésité. Selon cette étude, ils auraient même pu avoir l'effet inverse...


au sommaire


    Qui n'a jamais tourné en dérision les messages de santé publique obligatoires depuis 2007 dans les publicités pour les aliments industriels ? Vous voyez de quoi nous parlons ? Mais si, souvenez-vous : « Pour votre santé, manger 5 fruits et légumes par jour » ou encore « Pour votre santé, mangez moins gras, moins sucré, moins salé » ou enfin « Pour votre santé, pratiquez une activité physiquephysique régulière ». Ces allocutions préventives, instaurées par le Programme national nutrition santé (PNNS), font désormais partie de notre vie quotidienne. Leur objectif était le suivant : réduire la consommation d'aliments mauvais pour la santé s'ils sont consommés en excès et encourager la population à adopter un mode de vie sain et équilibré concernant l'alimentation et l'activité sportive.

    Sans réaliser d'expériences rigoureuses, les instances de santé sont parties du principe que cela fonctionnerait. En effet, nous avions des preuves très sérieuses qui montraient que, pour le tabac, les photos choc et les messages de prévention avaient engendré une chute drastique de la consommation. « Il n'y a pas eu de tests expérimentaux rigoureux avant la mise en place de ces messages. En santé publique, cela coûte très cher de tester des hypothèses scientifiques et, malheureusement, nous n'avons pas toujours les ressources nécessaires. Le parallèle avec le tabac, dont les messages de préventionprévention fonctionnent uniquement chez les non-fumeurs, a donc suffi à les faire adopter. Mais ce qu'il faut comprendre, c'est que l'appel à la peur est impossible avec l'alimentation. Tout le monde mange. Et la prise alimentaire, bien qu'elle soit un facteur majeur de la pandémie d'obésité, ne peut pas être taxée d'appel à la peur. L'alimentation doit rester une source de plaisir », commente Didier Courbet, professeur à l'Université d'Aix-Marseille, spécialiste de communication de santé publique.

    Mais alors le saut épistémique réalisé ici était-il valide ? Pouvait-on considérer que, parce que cela avait fonctionné pour le tabac, cela fonctionnerait forcément pour le reste ? Apparemment pas, si l'on en croit les résultats d'une expérience publiée en 2012 dans la revue Marketing Letters.

    Les messages sanitaires contre le tabac ont fonctionné. Dès lors, on pensait qu'il en serait de même avec l'alimentation. © vchalup, Fotolia
    Les messages sanitaires contre le tabac ont fonctionné. Dès lors, on pensait qu'il en serait de même avec l'alimentation. © vchalup, Fotolia

    Une expérience astucieuse 

    Cette expérience a donc eu pour objectif de vérifier l'efficacité des messages sanitaires dans un environnement contrôlé. L'étude commence par une phase de pré-test. Les chercheurs ont mené l'enquête afin d'identifier un message sanitaire et un produit plaisir qui étaient à la fois appréciés et familiers par la population cible, à savoir, les personnes obèses. Finalement, le message retenu pour l'expérience était le célèbre : « Pour votre santé, mangez au moins cinq fruits et légumes par jour ». Pour le produit plaisir, c'est l'inimitable Big MacMac qui a été choisi.

    Par la suite, les scientifiques voulaient mesurer trois paramètres précis afin d'identifier l'effet du message préventif sur la consommation d'aliments plaisir : 

    • les représentations des aliments au sein de la mémoire implicite à l'aide d'une méthode d'ancrage ; 
    • les attitudes explicites grâce à des questionnaires standardisés ; 
    • la mesure comportementale du choix alimentaire à l'aide d'un choix binairebinaire entre deux produits alimentaires (l'un considéré comme « sain » et l'autre comme « mauvais pour la santé »).

    Cent trente et une personnes (un échantillon plutôt petit donc) ont pris part à l'expérience. De façon aléatoire, elles étaient exposées à des publicités présentant le Big Mac avec ou sans message sanitaire. À la fin de l'expérience, on constate que les personnes font plus facilement le lien implicite entre le caractère « mauvais pour la santé » d'un produit... sans le message sanitaire. Dans les attitudes explicites, cette différence n'apparaît pas. Pourtant, elle se matérialise bien en choix. En l'absence de message sanitaire, les participants choisissent une collation santé deux fois plus souvent qu'avec le message. 

    En l'absence de message sanitaire, les participants choisissent une collation santé deux fois plus souvent qu'avec le message.  © adrianillie282, Adobe Stock
    En l'absence de message sanitaire, les participants choisissent une collation santé deux fois plus souvent qu'avec le message.  © adrianillie282, Adobe Stock

    Mais en science, une seule expérience ne suffit pas. Qui plus est lorsqu'elle comporte des biais majeurs. « C'est la seule étude publiée à ce sujet dans la littérature scientifique. Il nous faut des réplications pour savoir si les résultats obtenus sont cohérents. Aussi, cette expérience, bien que très intéressante et poussant à la réflexion, ne possède pas de groupe contrôle dans son design. C'est un biais majeur et il devient difficile de conclure lorsqu'un tel biais est présent », précise Didier Courbet.

    Comment expliquer ces résultats ?

    Les auteurs de cet article expliquent leurs résultats à l'aide du modèle des croyances compensatoires en matièrematière de santé. Cette théorie est dérivée d'une théorie plus ancienne publiée pour la première fois dans les années 1950. Elle a été développée dans le domaine de la psychologie sociale pour tenter d'expliquer un phénomène précis : l'échec généralisé concernant l'acceptation des tests de prévention des maladies ou de dépistage pour la détection précoce de maladies asymptomatiques. Plus tard, on l'a appliqué pour tenter d'expliquer certains symptômes chez les patients et la faible adhésion à la prescription de régimes médicaux. En 2006, des chercheurs ont ajouté une variante dans le modèle : l'aspect compensatoire.

    Cette variante part du principe que, dans le domaine de la santé en particulier, les humains cherchent à maximiser leur plaisir et à minimiser les conséquences négatives. Dans ce modèle compensatoire donc, les individus cherchent à compenser les comportements qui, dans leur croyance, vont avoir des conséquences négatives par des comportements qui, toujours dans leur croyance, sont étiquetés sains. Côté prédiction, des recherches antérieures ont montré que détenir des croyances compensatoires entrave la réussite d'un individu en matière de changement de comportement positif concernant sa santé, et peut expliquer pourquoi de nombreuses personnes n'adhèrent pas à des programmes de rééquilibrage alimentaires ou sportifs.

    « Le modèle compensatoire est récent et pour l'instant, c'est un modèle peu appliqué et qui fait peu de prédictions dans le domaine. Sa validité est donc faible. Mais cela ne veut pas dire qu'il est "faux" [la relation entre théorie et expérience est bien plus complexe que ça, ndlr]. Néanmoins, on pourrait interpréter différemment les résultats de cette expérience, notamment à travers les effets de contexte. Le message sanitaire pourrait être mal perçu, comme une sorte de label, un crédit de l'État. De là, pourrait découler la conclusion suivante "ok, ce produit est validé par l'État, je peux donc manger ce produit". C'est une hypothèse personnelle de ma part, bien sûr, et elle ne doit pas être prise comme une meilleure explication du phénomène mais une explication potentiellement alternative », détaille Didier Courbet.

    Dans l'analyse des auteurs, le message sanitaire servirait de justification compensatoire, ce qui pousserait à consommer plus de produits industriels, étant donné que le consommateur sait, grâce aux messages, comment compenser son comportement. Cela va donc à l'encontre de l'objectif dudit message qui était de limiter la consommation de ces produits.

    Les nudges n'engendreront pas un changement optimal sans une bonne éducation sanitaire. © T. L. Furrer, Adobe Stock
    Les nudges n'engendreront pas un changement optimal sans une bonne éducation sanitaire. © T. L. Furrer, Adobe Stock

    Les nudges : pas sans une bonne éducation nutritionnelle

    Toutes ces stratégies de santé publique peuvent être, dans une certaine mesure, considérées comme des nudges. Les « nudges », ce sont des modifications de l'environnement afin de créer des situations qui amènent l'individu à adopter ou à modifier certains comportements automatiques. Mais, si on accepte l'explication encore balbutiante du modèle de croyance compensatoire, c'est aux croyances concernant la santé auxquelles il faut s'attaquer pour amener de réels changements de comportement. Dès lors, les nudges ne sont-ils pas hors course pour remplir cette tâche ? L'éducation nutritionnelle ou l'éducation sanitaire, tout simplement, n'est-elle pas fondamentale dans une démocratie et un système de santé comme le nôtre où toutes les responsabilités sont réparties entre les individus et ont des répercussions sur l'ensemble de la société ?

    « En effet, il faudrait mêler les deux stratégies. On sait que les nudges ne rendent pas les gens conscients de la problématique et donc, cela n'entraîne pas de modification de cognitioncognition. D'un autre côté, on sait que l'éducation à elle seule peine à changer des comportements automatiques déterminés par une pléthore de facteurs biologiques et sociaux. Les deux sont nécessaires. Mais lorsqu'on pose le postulatpostulat qu'il était nécessaire d'éduquer à la santé, se pose une question : comment faire pour éduquer ? », se demande Didier Courbet.

    Quand les instances de santé publique passent à la vitesse supérieure 

    Ces messages sanitaires pourraient bientôt être abandonnés. Plusieurs rapports d'autorités sanitaires comme Santé publique France ou encore le Haut Conseil de la Santé publique vont dans ce sens. « La réglementation bouge. Premièrement, nous souhaitons que le Nutri-Score soit présent sur toutes les publicités. Deuxièmement, que les publicités pour des produits de Nutri-Score D et E soient interdites entre 7 heures et 22 heures, pour éviter que les enfants de moins de dix-huit ans y soient exposés », affirme Didier Courbet.

    D'autres stratégies se développent alors. « Depuis quelques mois, de nouveaux spots de Santé publique France dont l'efficacité est soutenue par des preuves expérimentales sont diffusés. Sur un ton humoristique, ils permettent de déconnecter la réactance des personnes et ils sont conçus pour stimuler l'auto-efficacité en donnant des conseils simples. Enfin, les futurs messages sanitaires ne seraient plus affichés en bandeau en bas des publicités. Il sera question de message en début de tunnel publicitaire, c'est-à-dire, un message qui apparaît en plein écran juste après le commencement de la publicité. Ces messages devraient sans doute mieux fonctionner que leurs prédécesseurs », conclut Didier Courbet.

    Une étude de modélisation, parue le 13 octobre dans la revue PLOS Medicine, vient encore confirmer l'utilité des restrictions publicitaires aux heures susmentionnées pour réduire l'obésité infantile. Le pouvoir politique a désormais toutes les cartes en main pour prendre les bonnes décisions pour la santé de nos enfants.