« Comme tous les scientifiques, nous sommes enthousiastes ». Professeur à l'Université de Montpellier, Jamal Tazi détaille pour Futura-Sciences une voie originale pour lutter contre le virus du Sida.

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    Membre de l'Institut de génétique moléculaire de Montpellier, le professeur Jamal Tazi participe à un programme de recherche ciblant une moléculemolécule capable d'empêcher le virus du Sida de se multiplier dans les cellules infectées.

    L'interview à écouter

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    Futura-Sciences : Jamal Tazi, vous êtes professeur à l'université de Montpellier et à l'Institut de génétique moléculaire de Montpellier. Des chercheurs de cet institut auraient trouvé, lors de tests en laboratoire, un moyen de bloquer la multiplication du virus du Sida. De quelle façon ?

    Jamal Tazi : Jusqu'à maintenant, les trithérapies s'attaquent essentiellement aux constituants du virus, ces composants qu'il amène avec lui et qui seront intégrés dans l'ADN des cellules infectées, servant ensuite à la fabrication de copies du virus par la cellule. De notre côté, nous étudions un processus cellulaire utilisé par le virus pour fabriquer ces copies. Notre molécule, en interférant avec ce processus cellulaire, empêche le virus de réaliser une étape essentielle à sa multiplication. Ainsi on n'aura plus de particules virales produites à partir des cellules infectées. En empêchant le virus d'utiliser ce processus cellulaire, nous avons pu bloquer la multiplication des virus.

    FS : Pour cela, les chercheurs du CNRS et de l'université de Montpellier ont mis au point une molécule chimique, l'IDC-16. Quelles sont ses capacités ?

    Jamal Tazi : Les tests que nous avons conduits au laboratoire portent sur des cellules humaines infectées par des souches de laboratoire. Nous avons montré qu'en présence de cette molécule, on empêche la multiplication de cette souche virale de laboratoire. Nous avons également utilisé des souches isolées à partir de patients en échec thérapeutique, c'est-à-dire devenus résistants aux trithérapies. Nous avons montré que ces souches résistantes pouvaient être également sensibles à l'action de ces molécules une fois qu'elles sont mises sur des cellules en culture.

    FS : Avez-vous déjà pu prouver la capacité de l’homme à tolérer cette molécule ?

    Jamal Tazi : On est loin de cette étape, qui nécessite une collaboration avec un industriel qui, lui, a le métier de développer un médicament. C'est l'étape suivante de notre recherche qui nécessitera forcément une association de notre laboratoire avec une entreprise industrielle. Nous allons d'abord effectuer les tests de disponibilité de la molécule puis de toxicitétoxicité de la molécule chez l'animal et chez l'homme, et enfin de tolérance par l'homme.

    FS : Combien de temps avant de voir l’apparition d’un médicament suite à vos recherches ?

    Jamal Tazi : A partir de l'étape à laquelle nous en sommes arrivés, le développement normal d'un médicament prend entre 5 et 10 ans. Tout dépend bien sûr du succès que nous allons avoir dans les étapes suivantes.

    FS : Dans l'hypothèse où cette molécule continuerait à se révéler non toxique, pourrait-elle combattre d'autres virus dont les procédés cellulaires sont similaires à ceux du VIHVIH ?

    Jamal Tazi : Oui ! Si on réussit à avoir une molécule efficace, bien tolérée et capable de bloquer la multiplication du VIH, on peut espérer que la même molécule ou des molécules similaires puissent avoir une action sur des virus ayant le même mode de multiplication que le VIH.

    FS : Quels types de virus par exemple ?

    Jamal Tazi : Des rétrovirusrétrovirus, provoquant des leucémiesleucémies chez l'homme, qui utilisent l'épissageépissage de l'ARNARN pour se reproduire... En empêchant un taux élevé de ce virus d'apparaître dans la circulation, on diminuerait la charge viralecharge virale et donc l'apparition de cellules infectées.

    FS : Quel est votre sentiment face à l’avancée de ces recherches ?

    Jamal Tazi : Comme tout chercheur, nous sommes très enthousiastes. On espère qu'on ira jusqu'au bout. Mais cela ne dépend pas que de nous, cela dépend aussi de nos collaborateurs industriels.