Toutes les cellules d'un même organisme possèdent le même patrimoine génétique. Cette règle d'or est inscrite dans tous les manuels de biologie. Mais une découverte fortuite semble la remettre en cause. Par hasard, des médecins québécois ont repéré une différence flagrante entre deux versions d'un gène provenant, chez les mêmes patients, de cellules sanguines et de tissus.

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    Les trois familles de cellules sanguines, vues au microscope électronique à balayage. De gauche à droite, un globule rouge (qui a perdu son noyau, donc ses gènes), une plaquette et un globule blanc. Les gènes de ces deux derniers pourraient-ils différer de ceux du reste de l'organisme ? © Licence Commons

    Les trois familles de cellules sanguines, vues au microscope électronique à balayage. De gauche à droite, un globule rouge (qui a perdu son noyau, donc ses gènes), une plaquette et un globule blanc. Les gènes de ces deux derniers pourraient-ils différer de ceux du reste de l'organisme ? © Licence Commons

    Une équipe de chercheurs en médecine s'intéressait aux causes génétiques d'une pathologie particulière, les anévrismes de l'aorte abdominale (AAA), c'est-à-dire des élargissements localisés de cette artère, affectant surtout, expliquent ces scientifiques, « les mâles caucasiens âgés qui fument ». Dans le traitement de cette maladie, qui peut être mortelle par rupture de l'anévrisme, le médecin effectue un prélèvement de tissus, une opération tout à fait exceptionnelle dans les maladies vasculaires. L'équipe a également, et plus classiquement, travaillé sur des cellules sanguines et s'est intéressée à un gène particulier, dénommé BAK1, qui contrôle la mort de la cellule.

    La surprise était là, énorme : entre le gène BAK1 des cellules sanguines et celui des cellules des tissus d'une même personne existent des « différences importantes ». Morris Schweitzer, Bruce Gottlieb, Lorraine Chalifour et leurs collègues de l'université McGill et de l'Institut Lady Davis pour la recherche médicale (Montréal) ont pisté ces différences chez plusieurs patients. Le déclencheur génétique supposé de la maladie AAA est bien dans le gène BAK mais uniquement dans celui provenant des tissus et pas dans celui extrait des cellules sanguines. Les chercheurs ont ensuite vérifié chez des personnes saines si de telles différences génétiques existent aussi. La réponse fut oui.

    Pour un biologiste, le fait est à peu près aussi étonnant qu'un espace-tempsespace-temps courbe pour un physicienphysicien du dix-neuvième siècle. De quoi jeter les manuels de génétique à la corbeille...

    Que les gènes soient utilisés différemment dans les tissus de l'organisme, soit. Ainsi, une cellule de foiefoie ne travaille pas du tout de la même manière qu'un neuroneneurone. Mais comme toutes les cellules d'un organisme proviennent d'un même ancêtre unique (l'œuf chez un animal), elles partagent toutes le même patrimoine génétique.

    Peut-on se fier aux cellules sanguines ?

    Rapportée dans la revue Human Mutation, la découverte a donc de quoi jeter le trouble. Si elle est avérée, elle aurait des conséquences médicales et scientifiques assez étendues.

    Au minimum, elle signifierait que l'analyse des cellules sanguines à la recherche du gène BAK1 ne permettrait pas de diagnostiquer la maladie AAA puisque ce gène apparaîtrait normal alors qu'il est défectueux dans les tissus concernés. Mais le cas pourrait être similaire pour d'autres pathologies.

    « Cela aura probablement des répercussions sur les maladies vasculaires en général, estime Morris Schweitzer. Nous n'avons pas encore examiné les artères coronariennes ou cérébrales, mais je serais enclin à soupçonner que cette mutation pourrait être présente partout. »

    Si le résultat est généralisable, il implique que les cellules sanguines d'un organisme possèdent des gènes différents de ceux des autres cellules. La nouvelle serait alors fort ennuyeuse pour la médecine. A l'exception des tumeurstumeurs, en effet, il est rare de pouvoir effectuer facilement des prélèvements de tissus, en particulier pour les maladies multifactorielles qui exigeraient de multiples échantillons. On se contente alors de cellules sanguines.

    La situation est semblable, soulignent les auteurs, pour les grandes manœuvres de la cartographie du génomegénome humain, portant uniquement sur des cellules sanguines. « L'introduction des études portant sur tout le génome était accompagnée d'un énorme battage publicitaire, il y a plusieurs années, tance Bruce Gottlieb, et les gens s'attendaient à des découvertes extraordinaires. [...] Malheureusement, ces études ont été en réalité très décevantes et notre découverte pourrait certainement en expliquer une des raisons. »

    En dehors de ces catastrophes, Morris Schweitzer imagine de grandes applicationsapplications à cette découverte, qui permettrait d'imaginer de nouveaux traitements pour les maladies vasculaires.

    La balle est maintenant dans le camp des sceptiques qui devront confirmer cette étonnante trouvaille et, le cas échéant, en tirer toutes les conséquences sur le plan médical et sur le plan scientifique.