Traquer le coronavirus SARS-CoV-2 responsable de la pandémie de Covid-19 dans les eaux usées. Depuis quelques jours, tous les médias en parlent. L’Académie des technologies avait émis un avis à ce sujet dès le mois d’avril dernier. Pour Futura, Bernard Saunier, membre de l’Académie et ancien de la Lyonnaise des eaux, en décrypte, aujourd’hui, les subtilités.


au sommaire


    L'aubépine, c'est un arbuste épineux qui fleurit à la fin du printemps. Mais c'est aussi ainsi que se désigne l'Observatoire épidémiologique de la présence du virus SARS-CoV-2 dans les eaux uséeseaux usées - avec un « o », Obépine, mais on y est presque. Il a été mis en place rapidement après le début de la crise sanitaire, en mai dernier, avec le soutien du gouvernement et de l'Académie de médecine et l'appui opérationnel des exploitants de stations d'épuration, des collectivités locales et des agences de l'eau. Depuis, le réseau de ses experts s'intéresse aux traces de ce coronavirus détectables dans les eaux usées. Car, le fait n'est plus discuté, le SARS-CoV-2 peut se retrouver, en quantités importantes, dans les selles d'une personne infectée - même asymptomatique - et ainsi finir dans les eaux que nous rejetons.

    Le SARS-CoV-2, vraiment ? « Ce que l'on arrive à détecter dans les eaux usées, c'est la présence du génome de virus », nous précise tout de suite Bernard Saunier, expert du domaine de l'eau à l'Académie des technologies. Une façon plutôt efficace, donc, de mesurer le niveau de circulation du coronavirus. Les spécialistes estiment même pouvoir être ainsi capables de suivre, quasiment en temps réel, l'évolution de la pandémiepandémie ainsi que l'efficacité des mesures mises en place par le gouvernement. Et avec une petite semaine d'avance sur d'autres indicateurs. Dès la mi-juin, les relevés d'Obépine ont fait apparaître un redémarrage des contaminationscontaminations en Ile-de-France, par exemple. Un redémarrage que les tests positifs n'ont souligné qu'à partir de début juillet.

    En rouge sur ce graphique issu des données du réseau Obépine, la concentration en génome viral moyen sur l’ensemble de la région Ile-de-France. En parallèle en bleu, l’évolution moyenne du nombre de patients testés positivement par qPCR dans la même région. Les zones grisées montrent les périodes de confinement. La zone rose, la période de couvre-feu. © Obépine
    En rouge sur ce graphique issu des données du réseau Obépine, la concentration en génome viral moyen sur l’ensemble de la région Ile-de-France. En parallèle en bleu, l’évolution moyenne du nombre de patients testés positivement par qPCR dans la même région. Les zones grisées montrent les périodes de confinement. La zone rose, la période de couvre-feu. © Obépine

    Quel pourcentage de coronavirus actif ?

    « Mais ce qui serait réellement intéressant, c'est de savoir quel est le pourcentage de ces génomes identifiés qui seraient des coronavirus actifs dans ces eaux usées », souligne Bernard Saunier. Car qui dit génome de virus, ne dit pas nécessairement virus actif. Alors pourquoi ne pose-t-on pas cette question ? « Le génome d'un virus et ses concentrations sont des informations auxquelles on peut aujourd'hui accéder assez rapidement. De nombreux laboratoires peuvent rendre cette information. La donnée sur les concentrations de virus actifs est beaucoup plus difficile à obtenir. »

    Le saviez-vous ?

    Un bactériophage, c’est un virus qui infecte les bactéries. On en trouve en quantité dans les excréments et dans les eaux d’égout, par exemple. Dans les années 1950, ils ont été, pour la première fois, proposés en tant qu’indicateurs de la contamination virale des eaux. Et selon Bernard Saunier, membre de l’Académie des technologies, ils pourraient aujourd’hui constituer des traceurs alternatifs, intéressants et faciles à mesurer, des contaminations virales humaines dans les eaux usées.

    « Il faut récupérer les génomes en question et les inoculer dans des cellules. Des opérations lourdes et coûteuses, au moins en temps », nous précise Bernard Saunier. « Aujourd'hui, il est question de plusieurs centaines de milliers de tests hebdomadaires d'un côté et je ne suis pas certain que dans le cas des virus actifs, nous soyons équipés pour en réaliser aujourd'hui en France plus de 100.000 par an. » Dans le cadre du projet Obépine, quelques équipes étudient cependant la question. Les premières publications devraient arriver pour le début d'année 2021.

    Voir aussi

    Le coronavirus peut-il se transmettre par les eaux usées

    « Nous nous attendons à ce que la quantité de coronavirus actifs dans les eaux usées soit limitée », nous rassure Bernard Saunier. Des résultats préliminaires suggèrent en effet une rapide inactivation du virus. Il se pourrait en effet que le SARS-CoV-2 ne trouve pas, dans les eaux usées, un environnement très épanouissant. Une possible bonne nouvelle peut être à venir donc. Une nouvelle qui montrerait que le risque de transmission de ce coronavirus par les eaux usées ou dans la nature est moins important que le risque qui existe avec le virus de la gastrogastro, celui de la polio ou encore avec la bactériebactérie responsable du choléracholéra.

    Préparer l’avenir

    La question n'en demeure pas moins importante. Dans son avis publié dès avril dernier, l'Académie des technologies, tenant compte du fait que « la désinfection des eaux usées traitées avant rejet ne constitue pas un traitement habituel », recommande « qu'une attention particulière et un soutien financier soient portés à l'amélioration des connaissances sur le devenir, l'élimination, l'inactivation et le transfert des virus et en particulier du virus SARS-CoV-2, via les eaux usées ».

    Ouvrir des perspectives pour la surveillance microbiologique des eaux usées

    « La question de la contamination microbiologique des eaux usées ne semble pas être une priorité en France. En avril dernier, avec mes confrères de l'Académie, nous avons été surpris de constater qu'il ne restait plus qu'un seul laboratoire en France pour réaliser en routine, des mesures de virus actifs dans les eaux. Pour bien faire, il en faudrait une demi-douzaine, répartis sur l'ensemble du territoire. Ce n'est pas un problème de compétences. Les compétences existent. Mais peut-être que la motivation, les aspects réglementaires et surtout les financements manquent encore, analyse pour nous Bernard Saunier. Une enveloppe de plus de 3 millions d'euros vient d'être attribuée à la recherche sur ce thème. C'est un premier pas. L'objectif est de faire en sorte que ce que nous vivons actuellement serve à l'avenir. Que tout cela ouvre des perspectives dans le futur, pour la surveillance microbiologique des eaux usées, et plus particulièrement des virus actifs. Ainsi nous disposerions d'un outil épidémiologique efficace permettant d'anticiper de quelques semaines,  la survenance de nouvelles épidémiesépidémies virales. »