Basée sur une continuelle dialectique de la conjecture libre et de la réfutation implacable par la discussion critique et l'expérience, la Science suit son cours en ce qui concerne la recherche d'un traitement contre la mortalité de la Covid-19. Malheureusement, si l'on en croit une méta-analyse publiée dans un journal réputé, de nouveaux éléments laissent penser que non seulement l'hydroxychloroquine est inefficace mais qu'elle augmenterait significativement cette mortalité en association avec l’azithromycine.


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    Nombreux sont ceux qui sont sans doute très perplexes en ce moment, qu'ils soient profane ou médecin, avec la sortie de publications contradictoires concernant l'efficacité, ou la dangerosité, des traitements à base d'hydroxychloroquinehydroxychloroquine et d'azithromycine. Ces derniers jours il y a ainsi eu deux études, apparemment d'envergure, menées par des chercheurs italiens d'un côté et des chercheurs belges de l'autre, conduisant à la conclusion que l'hydroxychloroquine permettait une réduction de 30 % de la mortalité face à la Covid-19.

    Les deux résultats des équipes semblent contredire les avis de la Société de pathologie infectieuse de langue française, avis exposés avec force dans un communiqué de presse du 23 juin 2020 intitulé « Une crise sanitaire ne justifie pas qu’on dise, ou qu’on fasse, n’importe quoi ! » et où on pouvait lire que :

    « En se fondant sur les données solidessolides disponibles à ce jour, on peut affirmer que :

    • la prescription de l'hydroxychloroquine aux patients atteints par la Covid-19 n'a pas fait la preuve de son efficacité ;
    • les études rigoureuses réalisées par des équipes sans a priori, au niveau international, ont toutes conclu sur l'absence de bénéfice, tandis que le risque de décès lié à un mauvais usage est lui parfaitement avéré. »

    Toutefois le docteur Nicolas Dauby, en poste au CHU Saint-Pierre à Brussels et membre de l'équipe belge, a contacté Futura pour nous préciser qu'en ce qui le concerne lui et ses collègues : « Nous n'avons pas clamé l'efficacité de l'hydrocychloroquine mais rapporté une observation des données des patients l'ayant reçu ou non. Par ailleurs l'HCQ n'est plus prescrite en Belgique depuis mai » .

    Une nouvelle méta-analyse pour le coronavirus

    Futura a consacré de nombreuses publications aux débats qui durent depuis des mois concernant l'efficacité de l'hydroxychloroquine. Un bilan avait été dressé par Julien Hernandez dans son article intitulé « Fin de partie pour la chloroquine ». 

    Pour aider à y voir plus clair, il signalait notamment les multiples interventions sur TwitterTwitter de Thibault Fiolet, épidémiologiste et doctorant en santé publique à l'Inserm-Université Paris Saclay et Nathan Peiffer-Smadja, infectiologue et doctorant en santé publique. On les retrouve associés aujourd'hui à leurs collègues Matthieu Mulot, Yahya Mahamat-Saleh, Anthony Guihur et Mathieu Rebeaud, ces deux derniers étant membres du collectif No Fake Science, dont Futura avait déjà parlé.

    Ils viennent de publier dans Clinical Microbiology and Infection (CMICMI) qui est présenté par Thibault Fiolet sur son compte Twitter comme « un très bon journal en maladies infectieuses soutenu par la Société européenne de microbiologie et maladies infectieuses » et qui précise, certainement pas sans un peu de malice que « CMI a été tenu jusqu'en 2016 par Pr Raoult ! ».

    Les auteurs de l’article y annoncent y avoir mené une méta-analyse qui apporte de nouveaux arguments pour conclure que non seulement l'hydroxychloroquine n'apporte pas de bénéfice contre la Covid-19 mais que son usage en conjonctionconjonction avec l'azithromycine augmenterait la mortalité, comme Thibault Fiolet l'explique plus en détail sur un fil de son compte Twitter.

     

     

    Vont-ils donner raison à Pierre Corneille lorsqu'il fait dire au Cid « Je suis jeune, il est vrai ; mais aux âmes bien nées, la valeur n'attend pas le nombre des années » ? On va voir, d'autant plus qu'ils incitent à la prudence, comme le précise Thibault Fiolet à la fin de la vidéo de vulgarisation que lui et ses collègues ont réalisée pour expliquer leur travail, qui sera confirmé, ou pas, par les résultats d'autres études encore attendus.


    Méta-analyse : hydroxychloroquine et Covid-19. © Thibault Fiolet, Quoidansmonassiette
    • 01:05 À quoi sert l'(hydroxy)chloroquine ? (Nathan Peiffer-Smadja, MD)

    • 03:15 D'où vient la controverse sur l'hydroxychloroquine ? (Mathieu E. Rebeaud)

    • 04:46 Que penser de toutes ces études ? (Anthony Guihur, PhD)

    • 05:49 À quoi sert une méta-analyse ? (Matthieu Mulot, PhD)

    • 07:40 Comment a été mise en place la méta-analyse ? (Yahya Mahamat-Saleh)

    • 09:33 Principaux résultats de notre publication

    À ce stade, quelles que soient les conclusions futures au sujet de la combinaison hydroxychloroquine-azithromycine, il faudra toujours garder à l'esprit que même en condition de crise, il n'est pas raisonnable d'essayer un nouveau traitement sans faire une étude préventive avec une méthodologie soignée car c'est ce que l'histoire de la médecine a prouvé, comme on peut le constater avec les explications données dans la vidéo ci-dessous.


    Pourquoi il est indispensable de faire de la médecine avec des études préventives. © Risque Alpha

    Pour des méthodes avec la logique de la découverte scientifique

    Que penser de toute cette histoire d'un point de vue philosophique et épistémologique ? Probablement ce que disait déjà un sage qui n'avait quasiment rien à apprendre ni de Paul Feyerabend ni de Thomas Kuhn, comme Futura l'expliquait déjà dans un autre article dont nous reprenons ici une partie.

    « Les principaux problèmes de notre époque ne sont pas dus à notre méchanceté morale, mais au contraire à notre enthousiasme moral souvent mal orienté : à notre souci d'améliorer le monde dans lequel nous vivons.

    Nos guerres sont fondamentalement des guerres religieuses ; ce sont des guerres entre des théories concurrentes sur la manière d'établir un monde meilleur.

    Et notre enthousiasme moral est souvent peu judicieux, car nous ne réalisons pas que nos principes moraux, qui seront certainement trop simples, sont souvent difficiles à appliquer aux situations humaines et politiques complexes auxquelles nous nous sentons tenus de les appliquer. »

    Ainsi s'exprimait le grand philosophe Karl Popper dans un texte extrait de son ouvrage ConjecturesConjectures et réfutations au début des années 1960. Popper avait été marqué par les catastrophes de la première moitié du XXe siècle, en particulier celles produites par les idéologies totalitaires, et c'est en relation avec ces évènements qu'il faut comprendre ce texte. Mais Popper étant un philosophe des sciences, héritier de la tradition des LumièresLumières, l'esprit de son texte peut s'appliquer aussi lorsque nous défendons des causes, où il s'agit de relever les défis monumentaux auxquels l'Humanité doit faire face en ce XXIe siècle (l'environnement avec le réchauffement climatiqueréchauffement climatique, l'énergieénergie, la santé et la nourriture), et que nous ignorons les données de la Science, l'usage de la rationalité et ne tenons pas compte pour nous-même de l'effet Dunning-Kruger.

    Rappelons que Popper lui-même était cité en référence par deux Prix Nobel de physiologie ou médecine avec qui il était ami, Jacques Monod et John Eccles. Ce n'est certainement pas un hasard, Monod expliquait par exemple qu'il voyait dans l'épistémologie de Popper le reflet de sa propre pratique scientifique concrète.

    Karl Popper (1902-1994) est l'un des plus importants philosophes du XX<sup>e</sup> siècle. Il est surtout connu pour l'introduction de son fameux critère de réfutabilité en philosophie des sciences. On lui doit aussi des réflexions sur les rapports entre l'esprit et la matière, en compagnie du prix Nobel de médecine John Eccles. © Lucinda Douglas-Menzies, DP
    Karl Popper (1902-1994) est l'un des plus importants philosophes du XXe siècle. Il est surtout connu pour l'introduction de son fameux critère de réfutabilité en philosophie des sciences. On lui doit aussi des réflexions sur les rapports entre l'esprit et la matière, en compagnie du prix Nobel de médecine John Eccles. © Lucinda Douglas-Menzies, DP