L'explosion cambrienne est le terme classiquement utilisé pour désigner l'apparition soudaine à l'échelle des temps géologiques de la plupart des grands groupes animaux actuels. Alors, mythe ou réalité ?
La célèbre faune de Burgess, d'âge cambrien moyen (il y a environ 505 millions d'années), découverte au siècle dernier par Charles D. Walcott dans les montagnes de Colombie britannique (Canada) et popularisée par Stephen Jay Gould, a révélé pour la première fois l'extraordinaire diversité de la vie cambrienne et l'origine très ancienne de nombreux phylums actuels. Les sites à conservation exceptionnelle de Chine du Sud confirment cette grande diversité marine à des stades évolutifs encore plus précoces.
Les espèces déjà présentes au Cambrien inférieur
Environ 150 espèces réparties dans une vingtaine de phylums ont été reconnues à ce jour dans la seule faune de Chengjiang. Il s'agit de métazoaires à corps mous ou possédant un exosquelette organique ou minéralisé.
Il est frappant de constater que plus d'un tiers des phylums actuels (représentant la majeure partie des espèces vivantes) sont déjà représentés au sein de ces faunes du Cambrien inférieur.
C'est le cas des arthropodes (trois images ci-dessous), qui représentent plus de 50 % des espèces de la faune de Chengjiang.
C'est également le cas des chordés, des priapuliens et des vers priapuliens.
Les éponges, brachiopodes, chaetognathes et mollusques étaient également déjà présents au Cambrien inférieur. Plus de 80 % de ces phylums sont totalement inconnus dans les séries géologiques plus anciennes ce qui tendrait à confirmer la réalité de l'explosion cambrienne.
Des animaux disparus
Certains animaux sont beaucoup plus énigmatiques et n'ont pas d'équivalents proches dans la nature actuelle.
Ce sont par exemple les eldoniidés, organismes médusiformes pourvus de tentacules, les vétulicolidés, interprétés comme de possibles chordés mais dont la segmentation rappelle celle des arthropodes, les hyolithes semblables à de petits mollusques coniques ou encore les lobopodes, que certains rapprochent des tardigrades actuels.
La complexité anatomique et fonctionnelle sans précédent de ces organismes s'exprime à différents niveaux : sensoriel (yeux, antennes), respiratoire (dispositifs branchiaux, appareil circulatoire), alimentaire (systèmes de capture de particules alimentaires, organes préhensiles des prédateurs, systèmes digestifs complexes) et locomoteur (appendices, organes de flottaison).
Un écosystème marin complexe
Les études menées montrent que ces innovations anatomiques s'accompagnent d'une complexification très nette de l'écosystème marin dans son ensemble. La présence de prédateurs nageurs (Anomalocaris), vivant sur le fond (arthropodes) ou à l'intérieur du sédiment (vers priapuliens) indique l'existence d'une chaîne alimentaire déjà fortement structurée.
Des appareils digestifs, contenus stomacaux et coprolithes conservés apportent quant à eux des indications très précises sur le régime alimentaire de ces prédateurs (petits arthropodes bivalves, hyolithes et trilobites parmi les proies identifiées). Dans d'autres gisements étudiés par des collègues de Cambridge, les restes fossilisés d'organismes zooplanctoniques, comparables à des crustacés (Mount Cap, Cambrien inférieur) suggèrent également une structuration trophique du milieu pélagique. Des recherches concernant la production primaire océanique au cours de la transition Précambrien-Cambrien doivent être entreprises.
La découverte dans la faune de Chengjiang d'Haikouella, un chordé craniate et de deux formes ressemblant étonnamment aux larves de lamproies actuelles ont considérablement relancé le débat sur l'émergence des premiers vertébrés. Ces fossiles de quelques centimètres, parfois conservés dans leurs moindres détails anatomiques (arcs et filaments branchiaux, chorde neurale, endostyle, cœur, yeux chez Haikouella), repoussent l'origine des vertébrés au Cambrien inférieur, apportant ainsi des informations clés sur les débuts de notre propre histoire évolutive.
Cette moisson de données paléontologiques nouvelles plaide en faveur d'une émergence extrêmement rapide des structures anatomiques essentielles au développement des lignées animales actuelles. Au-dessus de l'intervalle 540-520 millions d'années, peu d'innovations majeures sont constatées, l'apparition de nouveaux plans d'organisation est rare et l'essentiel de la diversification morphologique semble s'opérer à un niveau inférieur. Pour revenir à la faune de Burgess (Cambrien moyen), celle-ci est finalement très semblable à celle de Chengjiang (Cambrien inférieur) et ne présente aucune innovation significative.