Par Bruno Scala, Futura
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Les scientifiques savent que les insecticides peuvent avoir un effet nocif sur les abeilles. Ils savent aussi que ces abeilles sont exposées à de nombreux organismes pathogènes qui réduisent leur taux de survie. Mais depuis peu, les recherches se sont intéressées à la synergie qui découle de l'association de deux parasites, deux insecticides ou d'un insecticide et un parasite.
Les travaux de Cyril Vidau et de l'équipe de l'Inra d'Avignon emmenée par Luc Belzunces portent sur l'association de deux insecticides connus, le fipronil et le thiaclopride, avec un champignon pathogène, Nosema ceranae. Les résultats de l'étude, publiée récemment dans PLoS One, montrent que la synergie provenant de ces associations est particulièrement néfaste pour l'abeille domestique, Apis mellifera.
« L'idée de tester les associations vient du fait que la communauté scientifique pense qu'un seul stress ne peut pas expliquer la forte mortalité que subissent les abeilles depuis quelques années, explique Yves Le Conte, directeur de l'UMR Abeille et Environnement à l'Inra d'Avignon, joint par Futura-Sciences. Il y a environ un an, on avait testé l'association Nosema ceranae – imidaclopride et on avait déjà observé un phénomène de synergie. »
« En fait, le but est de tester les agents de stress les plus jeunes et les plus pertinents » continue Yves Le Conte. N. ceranae, un des agents testés dans cette étude, est un champignon microsporidien qui provoque une diminution du taux de sucre dans l'hémolymphe des abeilles et une augmentation de la demande énergétique, en s'introduisant dans le système digestif. Les deux insecticides associés à ce champignon, le fipronil - agent actif du Régent, l'insecticide phare de Bayer - et le thiaclopride, appartiennent respectivement à la famille des phénulpyrazoles et des néonicotinoïdes. Ils agissent tous les deux sur le système nerveux des abeilles, mais selon un mécanisme différent.
Les résultats de l'étude sont parlants : 71 à 82 % des insectes infectés par N. ceranae qui sont, dix jours plus tard, exposés à l'un ou l'autre des insecticides, meurt dans les 10 jours suivants (graphes ci-dessous). Pourtant, les doses d'insecticides auxquelles sont exposées les abeilles au cours de ces expériences ne sont normalement pas létales, prouvant que c'est bien l'association qui l'est. « On expose les abeilles à des doses qu'elles rencontrent dans la nature » justifie Yves Le Conte. En l'occurrence, les doses dans cette expérience étaient 100 fois inférieures à la dose nécessaire pour tuer la moitié des abeilles (cette dose est appelée DL50)
L'étude apporte un nouvel indice qui contribue à la compréhension du syndrome d’effondrement des colonies d'abeilles dont l'origine est certainement multi-facteurs. Difficile d'y voir clair quand on sait que les abeilles sont la cible d'une vingtaine de virus (dont certains sont dormants), de nombreuses bactéries, de parasites (notamment N.ceranae et le varroa, un acarien ectoparasite) et de nombreux pesticides dont les cocktails sont présents dans le pollen que collectent les butineuses.
Les prochaines étapes concernant l'étude de ce syndrome consistent à continuer d'évaluer la synergie des différents agents pathogènes. « Nous sommes en ce moment en train d'observer l'association entre N. ceranae et le varroa avec les pesticides » conclut d'ailleurs Yves Le Conte.