Des chercheurs ont mis au point, grâce à la biologie synthétique, une forme modifiée de la bactérie Escherichia coli afin de lutter contre une autre bactérie, Pseudomonas aeruginosa en retournant ses armes contre elle. Une nouvelle piste pour vaincre cette bactérie responsable d'infections nosocomiales ou chez les sujets immunodéficients.

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    Les bactéries Pseudomonoas aeruginosa peuvent être traitée grâce à la biologie synthétique. ©  Janice Haney Carr/CDC, domaine public

    Les bactéries Pseudomonoas aeruginosa peuvent être traitée grâce à la biologie synthétique. ©  Janice Haney Carr/CDC, domaine public

    On n'arrête pas le progrès ! Des scientifiques ont mis au point des bactériesbactéries porteuses d'une arme visant à tuer... des bactéries ! L'espèce ciblée est Pseudomonas aeruginosa, gram-négative, qui peut être à l'origine d'infections nosocomialesinfections nosocomiales. Présente en quantité dans les systèmes respiratoire et digestif, elle est également nocive chez les sujets immunodéficients.

    La résistance accrue des bactéries pathogènes aux antibiotiquesantibiotiques pousse les scientifiques à chercher d'autres moyens de lutte. En outre P. aeruginosa possède des défenses lui conférant naturellement une résistance aux antibiotiques.

    La biologie synthétique, qui consiste à élaborer des systèmes biologiques destinés à divers domaines, comme l'environnement (biocarburants, par exemple) ou la santé, a permis aux chercheurs de l'université technologique de Nanyang (Singapour) de concevoir une souche de la bactérie Escherichia coli qui attaque P. aeruginosa.

    E. coli : petite bombe à retardement

    Afin de réguler leurs populations, les bactéries synthétisent des protéinesprotéines qui visent à tuer leurs congénères (conspécifiques ou très proches) ou à diminuer leur croissance. Ces moléculesmolécules sont appelées des bactériocines.

    P. aeruginosa n'échappe pas à cette règle. La protéine qu'elle synthétise est la pyocine. Les chercheurs ont eu l'idée d'utiliser cette substance hautement spécialisée pour lutter contre le pathogène.

    Pour cela, ils ont donc fait appel à la biologie synthétique (voir le mécanisme global avec le schéma ci-dessous). Ils ont élaboré un système biologique capable de synthétiser et sécréter la bactériocine et ont inséré ce système dans l'organisme d'une bactérie à priori inoffensive : Escherichia coli.

    Le quorum sensing pour un bon timing

    La prouesse technique ne s'arrête pas là. Les scientifiques ont également fait en sorte que la pyocine soit sécrétée uniquement lorsque la densité de P. aeruginosa est importante.

    Mécanisme d'action de la bactérie <em>E. coli</em> transformée par biologie synthétique. Quand les pathogènes sont en nombre important, ils relâchent une molécule. Celle-ci se lie avec une protéine de liaison synthétisée par <em>E. coli</em>. Cette liaison provoque l'activation de la synthèse de pyocine et la protéine de lyse (Lysis E7). Lorsque cette protéine atteint une quantité seuil, la membrane de <em>E. coli</em> est lysée et la pyocine est relâchée dans le milieu extérieur, ce qui provoque l'inhibition du pathogène. © Saeidi <em>et al</em>., 2011/Adaptation Futura-Sciences

    Mécanisme d'action de la bactérie E. coli transformée par biologie synthétique. Quand les pathogènes sont en nombre important, ils relâchent une molécule. Celle-ci se lie avec une protéine de liaison synthétisée par E. coli. Cette liaison provoque l'activation de la synthèse de pyocine et la protéine de lyse (Lysis E7). Lorsque cette protéine atteint une quantité seuil, la membrane de E. coli est lysée et la pyocine est relâchée dans le milieu extérieur, ce qui provoque l'inhibition du pathogène. © Saeidi et al., 2011/Adaptation Futura-Sciences

    Cette technique est fondée sur la capacité qu'ont les bactéries à détecter des densités de populations importantes de leurs congénères. Ce phénomène est appelé détection du quorum ou, plus communément et en latino-anglais, quorum sensing. Lorsque de fortes densités sont détectées, plusieurs gènesgènes sont activés, dont celui qui permet d'activer la synthèse de pyocine. Ce mécanisme a également été intégré au sein de E. coliE. coli.

    Enfin, les chercheurs ont inséré des gènes permettant in fine la lyse de la membrane d'E. coli afin que la pyocine soit relâchée efficacement dans le milieu extérieur.

    Quatre-vingt dix-neuf pour cent des pathogènes neutralisés !

    Ainsi, quand la bactérie E. coli transformée est en présence d'une forte densité de P. aeruginosa, elle synthétise et sécrète de la pyocine. Les résultats, publiés dans Molecular Sytems Biology, sont spectaculaires puisqu'en laboratoire, seulement 1 % des bactéries pathogènes ont survécu.

    Qu'attend-on pour développer ce traitement ? Plusieurs défis sont encore à relever. E. coli est ici inoffensive et la sécrétionsécrétion de la pyocine entraîne sa mort. Malgré tout, la présence d'une bactérie dont certaines souches se sont déjà avérées infectieuses peut susciter le scepticisme.

    Enfin, la pyocine vient au secours des antibiotiques dont l'efficacité est mise à mal par le phénomène de résistance. Mais la pyocine n'est-elle pas aussi sujette à la résistancerésistance des pathogènespathogènes ? Selon les auteurs, non. Ou du moins pas encore. Jusqu'à présent, l'acquisition de la résistance à la pyocine n'a jamais été observée.