Pour lutter contre la loque américaine, des ruches situées outre-Atlantique sont régulièrement traitées préventivement avec un antibiotique. Cette pratique ne serait pas sans conséquence. Les bactéries intestinales d’abeilles auraient en effet acquis un grand nombre de gènes de résistance. Or, ils peuvent être transmis à l’agent pathogène et le rendre ainsi insensible au traitement. Mais ce n’est pas tout…

au sommaire


    Les abeilles ne sont pas épargnées par les maladies, une évidence souvent masquée dans l'actualité récente par la problématique des pesticides. Outre-Atlantique, la loque américaine peut par exemple causer d'importants dégâts, avant même que l'apiculteur puisse réagir. Les responsables sont deux bactériesbactéries pathogènespathogènes, Paenibacillus larvea et Melissococcus plutonpluton, qui se propagent d'une alvéole à l'autre en provoquant la mort des larves rencontrées. Au final, le couvain finit par être totalement détruit. 

    Pour lutter contre ces bactéries et ainsi réduire les risques de contaminationcontamination, de nombreux apiculteurs américains traitent préventivement, depuis les années 1950, leurs ruches au moyen d'un antibiotique, l'oxytétracycline. Cette substance s'apparente à la tétracyclinetétracycline utilisée pour soigner l'Homme. Cette pratique n'est pas universelle puisqu'elle a été interdite dans plusieurs pays.  

    Nancy Moran de la Yale University vient de s'intéresser aux effets à long terme de l'antibiotiqueantibiotique sur les bactéries intestinales d'abeilles. Selon ses mots, « le résultat n'est pas très surprenant ». Les organismes ciblés auraient accumulé plusieurs gènesgènes de résistancerésistance à l'oxytétracycline ! Ce fait présenté dans la revue mBio peut poser plusieurs problèmes.

    La loque américaine sévit également en France. Les bactéries s'attaquent aux larves d’abeilles de moins de 55 heures, lesquelles sont d'ailleurs contaminées par la nourriture. © Tanarus, <em>Wikimedia common</em>, CC by-3.0

    La loque américaine sévit également en France. Les bactéries s'attaquent aux larves d’abeilles de moins de 55 heures, lesquelles sont d'ailleurs contaminées par la nourriture. © Tanarus, Wikimedia common, CC by-3.0

    Des gènes de résistance aux antibiotiques transférables

    Les gènes de résistance seraient proches de ceux observés chez l'Homme et chez les animaux produits en élevages (poulet, porc, etc.). Ils ont donc été recherchés au moyen de techniques moléculaires, notamment grâce à des séquençages d’ADN, chez des bactéries d'abeilles Apis mellifera vivant dans le Maryland, le Connecticut, l'Utah, l'État de Washington et en Floride. Huit séquences cibles ont été trouvées (tetB, tetC, tetD, tetH, tetL, tetM, tetW et tetY) à des fréquences élevées dans les populations. 

    Des bactéries intestinales d'abeilles récoltées en Suisse, en République tchèque et en Nouvelle-Zélande, trois pays où l'utilisation à titre préventif d'oxytétracycline est interdite depuis plus de 25 ans, ont fait l'objet des mêmes analyses. Seuls 3 gènes de résistance (tetB, tetC et tetW) ont été trouvés chez un petit nombre d'insectes. 

    Ainsi, le traitement sur le long terme des ruches avec des antibiotiques a bien provoqué une accumulation répandue de gènes de résistance aux États-Unis. Seul hic, les agents pathogènes et les bactéries intestinales pourraient se les échanger bilatéralement. La séquence tetL a par exemple déjà été trouvée au sein des génomesgénomes de Melissococcus pluton et Paenibacillus larvae ! Comme dans bien d'autres cas, l'utilisation massive d'antibiotiques pourrait avoir encouragé l'émergence de résistances. 

    Suite aux traitements, une sélection des bactéries intestinales s'est donc opérée au cours du temps et la diversité du microbiotemicrobiote a diminué. Or, tous les êtres unicellulaires disparus jouaient un rôle dans le maintien en bonne santé de l'hôte, notamment en participant à la défense de l'abeille contre d'autres organismes pathogènes. Ainsi, ces insectes pollinisateurs pourraient être devenus sensibles à un plus grand nombre de maladies. En voulant bien faire, l'Homme a peut-être fragilisé encore plus les populations d’abeilles déjà mal en point.