Des insecticides de la famille des néonicotinoïdes, le Cruiser par exemple, pourraient partiellement expliquer la surmortalité des abeilles et donc la disparition de leurs colonies. Selon le Britannique James Cresswell, cette conclusion serait exagérée. Les chercheurs français auraient sous-estimé le taux de croissance des populations d’abeilles. Le point sur cette remarque purement scientifique… ou pas !

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    L'exploitation du Cruiser OSR, un pesticide utilisé dans l’enrobage des semis de colza, a été interdite en France le 29 juin 2012. Son effet néfaste potentiel sur les populations d'abeilles a été reconnu par l’Agence sanitaire pour l'alimentation et l'environnement (Anses) dans un rapport publié le 31 mai dernier. © Autan, Flickr, CC by-nc-nd 2.0

    L'exploitation du Cruiser OSR, un pesticide utilisé dans l’enrobage des semis de colza, a été interdite en France le 29 juin 2012. Son effet néfaste potentiel sur les populations d'abeilles a été reconnu par l’Agence sanitaire pour l'alimentation et l'environnement (Anses) dans un rapport publié le 31 mai dernier. © Autan, Flickr, CC by-nc-nd 2.0

    L'information avait fait grand bruit. Des abeilles butineuses perdraient une partie de leurs capacités de navigation après avoir été exposées à des insecticides de la famille des néonicotinoïdesnéonicotinoïdes, au point de ne plus pouvoir rentrer à la ruche. L'utilisation de thiaméthoxame pourrait ainsi partiellement expliquer la surmortalité des abeilles, voire la disparition de certaines colonies.

    Cette information a été publiée dans la revue Science en avril dernier par Mickaël Henry de l'Inra d'Avignon. Pourquoi a-t-elle tant fait parler d'elle ? Peut-être parce que le composé incriminé entre dans la composition du Cruiser, un insecticide dont l'utilisation a depuis été interdite en France pour la culture du colza.

    Réagissant à cet article, James Cresswell de l'University of Exeter (Royaume-Uni) a publié le 21 septembre un commentaire technique dans cette même revue Science. Selon lui, une exposition au thiaméthoxame provoque effectivement des troubles chez les abeilles, mais les conséquences engendrées ne remettraient pas en cause la survie des colonies. Alors, comment tirer le vrai du faux ?

    La technologie RFID est utilisée pour caractériser les mouvements effectués par une abeille entre sa ruche d'origine et le milieu extérieur. Ce système se compose d'une micropuce de 3 mg collée sur l'insecte (A) et de détecteurs placés à l'entrée de la colonie (B). © Henry <em>et al.</em> 2012, <em>Science</em>

    La technologie RFID est utilisée pour caractériser les mouvements effectués par une abeille entre sa ruche d'origine et le milieu extérieur. Ce système se compose d'une micropuce de 3 mg collée sur l'insecte (A) et de détecteurs placés à l'entrée de la colonie (B). © Henry et al. 2012, Science

    Surmortalité des abeilles : une guerre des chiffres en vue ?

    La méthodologie et les résultats expérimentaux n'ont pas été remis en question. Grâce à la pose de 653 micropuces RFID sur des abeilles domestiques Apis mellifera, Mickaël Henry était parvenu à montrer que 31,6 % des butineuses exposées à un insecticide incriminé étaient incapables de revenir à la ruche après avoir butiné. Cette substance perturberait donc bien les capacités de navigation de ces importants pollinisateurs. Tout le monde est d'accord sur ce point.

    En revanche, le modèle utilisé pour étudier les conséquences de cette désorientation sur l'ensemble de la ruche serait, d'après le chercheur britannique, faussé. Selon les Français, une colonie aurait un taux de croissance de 11 % durant la période de floraison du colza. Ce serait insuffisant pour compenser les pertes provoquées par une exposition au thiaméthoxame. Pour James Cresswell, le taux de croissance normal d'une ruche serait plutôt de 40 %. Dans ce cas de figure, le nombre de nouvelles butineuses se développant chaque mois pourrait largement compenser les disparitions. La survie des colonies serait donc assurée.

    D'où vient cette différence ? La valeur avancée par James Cresswell aurait été déterminée dans les années 1980 grâce à des données récoltées sur trois ruches éloignées de tout champ de colza. Face à cette information, la réplique française ne s'est pas fait attendre. Le « 11 % » a été calculé à partir d'observations faites sur 200 colonies durant 4 ans. Il s'agit d'une valeur moyenne. Le taux maximal n'a cependant pas dépassé 18 %, un chiffre ne remettant pas en cause les résultats de l'étude publiée en avril. La réplique britannique a donc de quoi surprendre.

    À propos de cette passe d'armes franco-britannique, le quotidien Le Monde rapporte un fait troublant, qui ressemble à un conflit d'intérêts. Peu de temps après l'acceptation de la critique par la revue Science, une offre d'emploi recherchant un assistant pour James Cresswell a été publiée par l'université d'Exeter. Or, ce poste serait « financé par Syngenta », le groupe propriétaire du Cruiser.