On l’oublie volontiers. Pourtant, sans réseau de transport solide, notre système électrique s’effondrerait. Et une fois l’idée revenue à nos esprits, il devient évident que notre réseau va devoir évoluer pour suivre les transformations de notre mix électrique. Chloé Latour, directrice en charge de la stratégie industrielle au sein de RTE, nous explique comment l’entreprise se tient prête à relever le défi.


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    Lorsqu'il est question de débattre du mix électrique de demain, l'attention se porteporte essentiellement sur les moyens de production. Le nucléaire, les énergies renouvelables et la place respective qui sera faite à chacun. Depuis quelques mois, pourtant, un autre acteur de notre système électrique s'est invité à la table des négociations. Entre efficacité et sobriété, on parle de plus en plus du rôle de la consommation dans notre transition énergétique. Les choses avancent.

    Il reste toutefois un pan du sujet qui demeure très peu discuté. Du moins sur la place publique. Parce qu'en coulisse, les professionnels s'affairent. Après avoir apporté son éclairage sur l'évolution des moyens de production et des consommations, dans les Futurs énergétiques 2050 et plus récemment dans le Bilan prévisionnel qui porte spécifiquement sur l'accélération requise d'ici 2035, RTE s'apprête à publier prochainement des éléments de réflexion concernant le réseau de transport de l'électricité. « C'est un maillon essentiel de notre système électrique », souligne pour nous Chloé Latour, directrice en charge de la stratégie industrielle au sein de RTE. Elle pilote une étude à paraître d'ici quelques mois maintenant. Celui que les experts appellent le « schéma directeur de développement du réseau ». Son objectif : projeter les besoins d'évolution du réseau de transport d'électricitéréseau de transport d'électricité à l'horizon 2040.

    Le saviez-vous ?

    Le réseau électrique français, c’est plus de 105 000 kilomètres de lignes. Aussi bien aériennes que souterraines. Et pas moins de 56 liaisons transfrontalières avec nos voisins européens. Ainsi que 2 800 postes de transformation RTE répartis sur l’ensemble du territoire. Le tout pour un réseau maillé assurant aux consommateurs une électricité de bonne qualité.

    Un rapport récent de l’Agence internationale de l’énergie révèle en revanche que le monde doit ajouter ou remplacer 80 millions de kilomètres de réseaux d’ici 2040 – soit l’équivalent de tous les réseaux mondiaux d’aujourd’hui – pour atteindre les objectifs climatiques nationaux et soutenir la sécurité énergétique. Il précise que les investissements annuels dans les réseaux doivent doubler pour atteindre plus de 600 milliards de dollars par an d’ici 2030. Sans quoi des projets d’énergies renouvelables, par exemple, pourraient attendre longtemps avant d’être connectés aux réseaux. Ce qui impacterait fortement nos émissions de gaz à effet de serre et non seulement nous ferait dépasser la limite des 1,5 °C de réchauffement, mais ferait aussi grimper le risque de franchir la barre des 2 °C à 40 %.

    Pourquoi ce réseau aurait-il besoin d'évoluer ? Pour participer à la lutte contre le réchauffement climatique, d'une part. Et pour s'adapter aux changements déjà en cours, d'autre part.

    Un réseau électrique qui doit évoluer pour lutter contre le réchauffement climatique

    Pour réduire nos émissionsémissions de gaz à effet de serre, nous allons en effet devoir électrifier nos usages. « Notre dernier Bilan prévisionnel table sur une augmentation très importante de la consommation d'électricité », nous confirme Chloé Latour. Elle passerait de 459 TWh en 2022, à 615 TWh en 2035 dans la trajectoire de référence de ce document. « Pour décarboner notre économie, mais aussi la réindustrialiser. » Puisque c'est l'un des objectifs fixés par le gouvernement pour l'évolution du système énergétique.

    Pour répondre à ces besoins grandissants et pour assurer que notre électricité restera bas carbonecarbone, nous allons donc avoir besoin de raccorder de nouveaux moyens de production. « Cela se fera en trois temps. D'ici 2030, l'enjeu sera de raccorder des énergies renouvelables terrestres. Essentiellement des parcs éoliens et des parcs photovoltaïques. Puis, d'ici à 2035, nous assisterons à une véritable accélération du développement des parcs éoliens en mer. Avec la nécessité d'amener le réseau en mer. Enfin, nous aurons besoin de raccorder les nouveaux réacteurs nucléaires sur le réseau. »

    Un véritable défi industriel

    Du côté de RTE, donc, les choses sont claires. Il n'empêche que le responsable du réseau de transport de l'électricité français et de la gestion en temps réel du système électrique se trouve « face à un véritable défi industriel ». « Nous avions déjà envisagé la nécessité d'entamer une troisième phase de développement de notre réseau dans notre dernier schéma décennal publié en 2019. Alors qu'à cette époque, la consommation n'était envisagée que légèrement à la hausse d'ici 2030-2035. La conviction que l'infrastructure va devoir évoluer s'est aujourd'hui renforcée. »

    Entre réseau électrique existant et nouvelles infrastructures

    Et en la matièrematière, il y a d'abord tout ce qui touche au réseau existant. « Souvent lorsque l'on pense évolution du réseau, on pense nouvelles infrastructures. Mais il faut avant tout continuer à investir dans le réseau existant pour qu'il continue, à l'avenir, à jouer le rôle de colonne vertébralecolonne vertébrale solidesolide qu'il joue actuellement pour notre système électrique », souligne Chloé Latour. Les opérations de réparation et de maintenance mobilisent ainsi la moitié de l'effectif de RTE et le tiers des investissements prévus dans son dernier schéma décennal. Ce document avait mis en évidence, pour la première fois, l'importance du réseau du quotidien et proposé des politiques d'investissement ciblées, par exemple « pour les infrastructures de bord de mer ou dans les zones fortement urbanisées qui sont plus corrodées qu'ailleurs. »

    Ce sont ensuite les besoins en nouveaux ouvrages qui sont mentionnés. « Le système français est déjà très électrifié », précise toutefois Chloé Latour. « C'est ce qui a permis au réseau existant d'accompagner jusqu'à présent les évolutions du mix de production électrique. Ce n'est pas le cas dans tous les pays d'Europe, comme l'Allemagne - plus dépendante des énergies fossiles - dont le réseau électriqueréseau électrique a dû très rapidement être redimensionné. »  Mais ce n'est pas toujours suffisant. Par exemple, quelques zones d'électrification ont été identifiées. C'est le cas de Fos-sur-Mer, où les projets industriels se multiplient, ou de Dunkerque, où les industriels déjà installés se décarbonent et plusieurs projets, notamment des gigafactories de batteries, prévoient de s'installer. « Là, de nouvelles infrastructures sont d'ores et déjà planifiées. Elles entreront en service avant 2030, dans des calendriers compatibles avec ceux des industriels. »

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    Mais la directrice en charge de la stratégie industrielle au sein de RTE nous explique que lorsque les besoins supplémentaires ne sont pas trop conséquents, il est aussi possible d'optimiser le réseau existant. « Grâce à des capteurscapteurs posés sur les lignes et qui nous renseignent sur les conditions météorologiques du moment, on peut, par exemple, adapter la quantité d'électricité qui transite sur le réseau. Et acheminer jusqu'à 30 % d'énergie en plus sur une même infrastructure. »

    Même si l’autoconsommation se développe, son niveau ne devrait pas augmenter au point d’impacter le fonctionnement du réseau électrique français compte tenu de l’augmentation attendue des consommations industrielles, notamment. © alphaspirit, Adobe Stock
    Même si l’autoconsommation se développe, son niveau ne devrait pas augmenter au point d’impacter le fonctionnement du réseau électrique français compte tenu de l’augmentation attendue des consommations industrielles, notamment. © alphaspirit, Adobe Stock

    Le rôle des nouveaux acteurs sur le réseau électrique

    Un autre aspect à prendre en compte pour le dimensionnement des réseaux de demain, c'est la diversification en cours des acteurs présents sur le système électrique. « Les véhicules électriques sont un bon exemple. Il faut avant tout noter que nous sommes confiants sur le fait que le réseau français sera en mesure d'accompagner la montée en puissance de la mobilité électrique. Cette analyse a fait l'objet d'un rapport. En complément, nous avons mis en évidence que le pilotage de la recharge - une recharge programmée en heure creuse sur le modèle de ce qui a été fait pour les chauffe-eau, tout simplement - peut constituer un atout majeur pour le système électrique et être un véritable levier de flexibilité. Quant à la possibilité pour une batterie de décharger de l'électricité vers une maison -- les experts parlent de vehicle-to-home -- ou vers le réseau - vehicle-to-grid -, elle permettrait d'optimiser encore plus le système. »

    L'autoconsommation et le déploiement massif envisagé par le gouvernement de pompes à chaleurpompes à chaleur ne devraient, en revanche, pas avoir de grande influence sur l'évolution du réseau de transport de l'électricité en France. « Les perspectives d'augmentation de la consommation sont telles, notamment dans le secteur industriel, que l'autoconsommation ne semble pas en mesure de venir modifier significativement les besoins de l'infrastructure. De même pour le chauffage résidentiel. Dans nos projections, ce poste de consommation reste assez stable. Grâce, entre autres, aux bons niveaux de performance des pompes à chaleur et en considérant que les appareils électroménagers, eux aussi, deviennent de moins en moins consommateurs. Les efforts en matière de rénovationrénovation énergétique des bâtiments ont un potentiel effet de levier plus important. »

    Le réseau électrique doit s’adapter au changement climatique

    Le second axe de réflexion développé par RTE en matière d'évolution du réseau de transport de l'électricité, c'est celui de l'adaptation indispensable de l'infrastructure aux changements climatiqueschangements climatiques. « Des mesures ont déjà été prises. Après la tempête de 1999, un programme dit de "sécurisation mécanique du réseau" a été déployé », nous indique Chloé Latour. Objectif : rendre le réseau plus robuste aux tempêtes. Et cela devrait lui servir dans le contexte de multiplication et d'intensification des événements météorologiques extrêmes.

    « Les enjeux d'adaptation nous conduisent désormais à revoir les règles techniques de dimensionnement de nos ouvrages. » Comprenez que les choix de RTE pourraient se porter à l'avenir sur des conducteurs un peu différents. Des conducteurs qui présentent une meilleure tenue aux températures élevées, par exemple. RTE pourrait aussi décider de surélever ses postes de transformationpostes de transformation pour les mettre à l'abri des inondations sur des pilotispilotis. « Les réflexions portent également sur le réseau existant. Jusqu'ici, notre politique de renouvellement était guidée par des enjeux de pyramide des âgespyramide des âges. Désormais, nous allons prendre en compte aussi l'enjeu de l'adaptation au changement climatique. L'objectif sera de trouver un bon équilibre entre des solutions dont la mise en œuvre est rapide - par exemple : l'installation de portes étanches - ou des solutions plus structurelles - comme la reconstruction de certains ouvrages. »

    Le défi est grand, mais RTE est prêt

    Le programme apparaît donc chargé. Mais la directrice en charge de la stratégie industrielle au sein de RTE semble confiante et elle nous explique pourquoi. « Un véritable travail a été mené avec les pouvoirs publics - de simplification administrative, notamment - pour permettre d'accélérer le développement des ouvrages nouveaux nécessaires du côté de Fos-sur-Mer ou de Dunkerque, par exemple - des ouvrages du réseau 400 000 voltsvolts, dont des lignes électriques -. De quoi assurer qu'ils pourront être mis en service dans les bonnes échéances de temps.

    Concernant l'évolution du mix de production, le cadre juridique prévoit l'élaboration de schémas régionaux de planification du développement des énergies renouvelables qui permettent de mettre en perspective les besoins de développement des réseaux de distribution et de transport d'électricité et les perspectives d'implantation d'énergies renouvelables terrestres. Un certain volumevolume d'infrastructures est déjà planifié dans ces schémas. » Et tout le monde se pose la question épineuse de l'éolien en mer. « Aujourd'hui, un peu moins d'un gigawatt d'éolien offshoreoffshore est raccordé au réseau. Pour atteindre les objectifs de l'État, il faudra atteindre 18 gigawatts à l'horizon 2035. C'est un véritable défi industriel pour RTE. Mais nous sommes organisés pour pouvoir le relever dans le bon tempo.

    Accompagner sereinement le mouvement

    Le raccordement des futurs EPR, lui, ne nous occupera qu'un peu plus tard. » Devons-nous comprendre que finalement, aujourd'hui, correspond au bon moment pour planifier le réseau de demain ? « Tout à fait. Nous sommes prêts. Les technologies sont disponibles. Et en prenant des décisions maintenant, nous serons en mesure d'accompagner sereinement le mouvementmouvement », conclut Chloé Latour.