Une vaste plaine aride, totalement asséchée. Voilà à quoi ressemblait le bassin méditerranéen il y a 5,6 millions d’années. Cet épisode majeur et dramatique dans l’histoire de la Méditerranée, connu sous le nom de crise messinienne, serait lié à la tectonique des plaques. Mais une nouvelle étude révèle l’importance d’autres facteurs.


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    Tout commence il y a 5,97 millions d'années, à la fin du Miocène. L'agencement des plaques tectoniques est alors extrêmement semblable à celui que nous connaissons aujourd'hui, et la mer Méditerranée n'est séparée de l'océan Atlantique que par un étroit corridorcorridor maritime qui marque l'interface entre les plaques africaine et européenne. Un passage qui se rétrécit cependant inexorablement sous la poussée continue de l'Afrique.

    Dans le même temps, un arc volcanique se construit dans la partie orientale de la mer d'Alboran, formant une sorte de gigantesque digue naturelle. Graduellement, la Méditerranée se retrouve donc isolée de l'océan Atlantique. Les rivières qui alimentent le bassin ne suffisent alors plus à maintenir le niveau de la mer, qui commence à descendre. La Méditerranée s'évapore inexorablement et en quelque 300 000 ans il ne reste plus qu'un minuscule bassin perché situé à l'est de l'actuel détroit de Gibraltar. C'est la crise messinienne.

    Il y a 5,6 millions d'années, la Méditerranée devait ressembler à ce paysage de la mer Morte. © Redhead_Orti, Pixabay
    Il y a 5,6 millions d'années, la Méditerranée devait ressembler à ce paysage de la mer Morte. © Redhead_Orti, Pixabay

    Un assèchement quasi total de la Méditerranée

    La mer est à sec et seuls subsistent quelques petits lacs d'eau hypersalée. Profitant de cette situation unique et exceptionnelle, de nombreuses espèces animales passent d'un continent à l'autre. Les fleuves qui continuent de se jeter dans ce bassin quasiment vide commencent à creuser de profonds canyons. Les gorges de l'Ardèche résultent ainsi directement de cet épisode spectaculaire qui a modifié drastiquement, en quelques centaines de milliers d'années seulement, le paysage méditerranéen.

    Le paroxysme de la crise est ainsi atteint entre 5,60 et 5,46 millions d'années. Mais la situation va brusquement basculer. L'arc volcanique au niveau du détroit rompt soudainement, provoquant un déluge digne des meilleurs films catastrophes. Les eaux de l’océan Atlantique se trouvent en effet à plus de 1 000 mètres au-dessus du niveau de base du bassin méditerranéen. Il est difficile d'imaginer l'ampleur et la violence du phénomène, mais la vitessevitesse du remplissage du bassin permet de s'en faire une idée. Il ne faudra en effet que quelques décennies pour remettre en eau la Méditerranée.

    La remise en eau de la Méditerranée s'est effectuée très rapidement (ici les chutes du Niagara). © PxHere
    La remise en eau de la Méditerranée s'est effectuée très rapidement (ici les chutes du Niagara). © PxHere

    Une chute de 114 mètres du niveau de l’océan Atlantique

    Malgré les nombreux marqueurs géologiques qui permettent de reconstruire les enchaînements de cette incroyable histoire, un débat subsiste sur les causes à l'origine de la crise messinienne. Si la composante tectonique est désormais clairement établie, il semble que les conditions climatiques ainsi que les variations du niveau de l'océan Atlantique aient pu jouer un rôle tout aussi important.

    Le bassin de Guadalquivir, sur la façade atlantique du sud-ouest de l'Espagne, a en effet enregistré les variations du niveau de l'océan lors de l'épisode de la crise messinienne. Une importante surface d'érosion indique ainsi qu'une baisse drastique du niveau de l'Atlantique est survenue juste au moment du paroxysme de la crise. Pour l'équipe de chercheurs menée par Jean-Pierre Suc de l'Institut des sciences de la Terre de Paris, cette baisse aurait pu atteindre une amplitude de 114 mètres, favorisant ainsi l'émersion du seuil volcanique de Gibraltar et l'isolement de la Méditerranée. Cette baisse globale du niveau de l'océan serait liée à un accroissement du volumevolume de la calotte glaciaire antarctique. L'analyse des pollenspollens permet également de mettre en évidence que la région a été soumise à des conditions climatiques particulièrement sèches et chaudes durant cette période, accélérant le phénomène d'évaporation et l'assèchement du bassin. Les précipitationsprécipitations et la température moyenne sur l'année auraient en effet été respectivement de 400 millimètres et 20 °C !

    Le déclenchement du déluge marquant la fin de la crise aurait au contraire été associé à une remontée rapide du niveau marin. Les résultats, publiés dans le Bulletin de la Société géologique de France révèlent les causes multifactorielles à l'origine de ce qui restera un épisode unique dans l'histoire du bassin méditerranéen.