Vous interrogez-vous souvent sur l’histoire évolutive d’un moineau ou d’un pigeon, ou comment ils en sont venus à pouvoir naviguer sans effort dans un milieu aérien que l’humanité a mis des siècles à dompter ? Vous devriez peut-être, car le développement de leur aile est un sujet passionnant qui intrigue les chercheurs depuis longtemps, et dont une part du mystère semble s’être éclaircie. 


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    C'est peut-être difficile à croire, mais l’aile d’un oiseau a bien la même structure que notre bras. Cette innovation anatomique si caractéristique de cette lignée a vu le jour à la suite de nombreuses modifications du membre chiridien antérieur qui ont donné une structure hautement spécialisée. Mais comment une telle évolution a-t-elle bien pu apparaître, et quand ? C'est ce qu'ont voulu savoir les auteurs d'une étude parue dans la revue Zoological Letters.

    Le membre chiridien comporte une structure similaire chez tous les tétrapodes actuels. Il se compose d'un premier segment appelé stylopode constitué d'un seul os, ici l'humérus. Puis vient s'articuler le second segment, le zeugopode qui comprend deux os, ici le radius en beige et l'ulna en rouge. Enfin, vient un segment complexe, l'autopode en jaune et marron. © Vladlen666, Wikimedia Commons
    Le membre chiridien comporte une structure similaire chez tous les tétrapodes actuels. Il se compose d'un premier segment appelé stylopode constitué d'un seul os, ici l'humérus. Puis vient s'articuler le second segment, le zeugopode qui comprend deux os, ici le radius en beige et l'ulna en rouge. Enfin, vient un segment complexe, l'autopode en jaune et marron. © Vladlen666, Wikimedia Commons

    De quoi se compose une aile ?

    Les oiseaux actuels sont pour la plupart capables de se déplacer dans les airs grâce à un vol qu'on dit battu, à l'inverse du vol plané qui ne requiert pas la même morphologiemorphologie, même si tout animal capable du premier peut faire le second, mais pas l'inverse. Car pour battre des ailes, il faut une solidesolide musculature spécialisée. Chez les oiseaux, l'une des structures sans laquelle il leur serait impossible d'effectuer ce vol actif est le propatagium. Le mot patagium désigne tout simplement la membrane de peau qui donne sa forme aux ailes de chauves-souris, ou des ptérosaures, elle sert à apporter une surface de portanceportance à l'aile. Les oiseaux ont plutôt des plumes pour assurer ce rôle, mais ils ont aussi un peu de patagium, surtout entre leur épaule et leur poignet. Le propatagium contient un muscle, le propatagialis, unique chez les vertébrés, qui aide les oiseaux à battre de l'aile.

    Il n'est pas très impressionnant, si fin et tendineux qu'on considère bien souvent que c'est un tendon, alors pourquoi s'y intéresser ? On observe chez les oiseaux actuels qui ne volent plus, comme les autruches ou les manchots, la perte ou la réduction du propatagialis. Celui-ci sert à l'extension de l'aile. Lorsque le coude s'ouvre, ce muscle entraîne automatiquement l'ouverture simultanée de son poignet, et facilite le contrôle du battement de l'aile. Pour mieux comprendre l’origine du vol des oiseaux, les auteurs de l'étude ont donc tenté d'identifier le moment de l'histoire évolutive de ce groupe où est apparu le propatagialis en se penchant sur les fossiles.

    Le muscle qui nous intéresse ici est le propatagialis, encadré en gras dans l'image B. On voit bien dans l'image C que lorsque l'aile est déployée, le propatagialis empêche le coude (<em>elbow</em>) de s'ouvrir complètement. © Uno & Hirasawa (2023), <em>Springer Nature</em>
    Le muscle qui nous intéresse ici est le propatagialis, encadré en gras dans l'image B. On voit bien dans l'image C que lorsque l'aile est déployée, le propatagialis empêche le coude (elbow) de s'ouvrir complètement. © Uno & Hirasawa (2023), Springer Nature

    Interpréter les fossiles des oiseaux

    Ce ne fut pas une mince affaire, car les tissus mous sont très rarement conservés lors de la fossilisation. Pour contourner ce problème, les chercheurs ont eu une idée astucieuse, ils se sont intéressés à des fossiles de squelettes en connexion, où les os sont encore articulés comme lors de la vie de l'animal, et ont observé leur coude. En effet, le propatagialis, qui s'attache au poignet, empêche les oiseaux d'étendre totalement l'articulationarticulation de leur coude. Les scientifiques ont pu démontrer que l'angle d'ouverture du coude était donc un bon indicateur de la présence ou l'absence du propatagium. En étudiant des fossiles articulés d'oiseaux très anciens et de leurs cousins proches, ils ont fait une découverte surprenante. 

    Petit rappel : les oiseaux sont classés parmi les dinosauresdinosaures, ce sont même des dinosaures théropodesthéropodes, comme les tyrannosaurestyrannosaures, les thérizinosaures ou le célèbre VelociraptorVelociraptor ! Celui-ci, tout comme les oiseaux actuels, est classé parmi le groupe plus restreint des maniraptoriens, et l'étude montre que ces derniers avaient probablement tous un propatagium. Ce sont donc des cousins non-aviensaviens plus anciens que les oiseaux qui ont vu apparaître cette structure, et donc les ailes à proprement parler. Il est maintenant question de savoir quelle était l'utilisation de cette structure par les maniraptoriens basaux qui ne volaient vraisemblablement pas. Les auteurs ne pensent pas que la raison initiale soit l'adaptation au vol, puisque leur patte avant était bien plus apte à saisir qu'à voler !