Les études se succédant, le noyau interne de la Terre nous paraît de plus en plus complexe, avec de nombreuses caractéristiques physiques encore non expliquées. Une nouvelle étude vient cependant proposer une solution pour l’origine des écarts de vitesses sismiques observés au sein de la graine. Ils seraient notamment en lien avec le champ magnétique terrestre.


au sommaire


    Alors que le noyau interne de la Terre n'était considéré que comme un solidesolide composé de ferfer, de plus en plus d'études révèlent son étonnante complexité. Il apparaît ainsi qu'il pourrait lui-même contenir une « sous-graine » et n'être pas totalement solide comme nous l'avons déjà expliqué dans un précédent article (voir ci-dessous). En plus du fer, la graine se composerait ainsi également d'éléments plus légers comme H, O et C, qui se comportent un peu comme des liquides et vont venir former des alliagesalliages de fer (FeH, FeO et FeC). Le noyau se retrouve ainsi dans un état dit superionique, ni vraiment solide ni vraiment liquide.

    Or, une nouvelle étude montre que cet état superionique, sous l'effet du champ magnétique terrestre, pourrait être à l'origine de la structure sismique du noyau interne.

    Des ondes sismiques plus rapides dans la direction polaire

    De plus en plus d'observations sismologiques tendent à montrer que le noyau interne est en effet loin d'être homogène. Il présente une structure hétérogène qui est marquée par une anisotropieanisotropie sismique : la vitessevitesse des ondes sismiques n'est en effet pas la même dans toutes les directions. Les ondes se déplacent ainsi plus rapidement d'environ 2 à 3 % dans la direction des pôles que dans la direction équatoriale. L'anisotropie est de plus variable avec la profondeur. Une variation d'ordre hémisphérique est également constatée. Une complexité architecturale dont l'origine n'avait jusqu'à présent jamais été clairement expliquée.

    Des chercheurs de la Chinese Academy of Science montrent cependant dans une étude publiée dans Nature Communications, que cette architecture de la graine résulterait de l'interaction entre l'alliage de fer FeH et le champ magnétique qui traverse la graine.

    Le noyau interne au centre de la Terre présente une anisotropie de vitesse sismique qui pourrait être en lien avec le champ magnétique. © IGCAS
    Le noyau interne au centre de la Terre présente une anisotropie de vitesse sismique qui pourrait être en lien avec le champ magnétique. © IGCAS

    Grâce à des modèles numériquesmodèles numériques reproduisant les conditions régnant au sein du noyau interne, les scientifiques ont pu montrer que sous ces pressions et températures extrêmes, les moléculesmolécules de FeH développent une anisotropie sismique de même qu'une anisotropie de diffusiondiffusion de l'ionion H. Or, en appliquant un champ magnétique externe, il s'avère que le réseau atomique de l'alliage FeH s'aligne dans la direction du champ magnétique, et que cet alignement est énergiquement favorable.

    Les alliages de fer s’alignent sur la direction des lignes de champ magnétique

    Le champ magnétique terrestre est généré par les mouvements de convection qui animent le noyau externe de la Terre. Malgré leur complexité, les lignes de champ peuvent être comparées à celles d'un dipôle. Elles entrent dans la Terre au niveau du pôle Nord (qui est en réalité un pôle Sud magnétique) et ressortent au pôle Sud (pôle Nord magnétique), formant ainsi de grandes boucles qui protègent la Terre des radiations cosmiques et du vent solairevent solaire. Aux pôles, les lignes de champ sont donc localement verticales par rapport à la surface terrestre alors qu'au niveau de l'équateur, elles sont horizontales.

    Orientation des lignes de champ magnétique, qui peuvent être comparées à celles d'un dipôle. © Geek3, Wikimedia Commons, CC by-sa 3.0
    Orientation des lignes de champ magnétique, qui peuvent être comparées à celles d'un dipôle. © Geek3, Wikimedia Commons, CC by-sa 3.0

    Mais comment sont les lignes de champ à l'intérieur du noyau ? Si à la première approximation, elles peuvent être considérées comme orientées suivant l'axe nord-sud, le champ magnétique interne apparaît plus complexe. Ce dipôle semble en effet légèrement incliné et excentré vers l'ouest d'environ 100 kilomètres par rapport à l'axe rotationnel de la Terre. Cette architecture géomagnétique pourrait cependant bien expliquer la structure anisotropique du noyau interne.

    L'alignement des molécules FeH et la diffusion des hydrogèneshydrogènes mobilesmobiles suivant l'axe nord-sud du dipôle géomagnétique expliquerait ainsi l'anisotropie sismique observée dans cette direction. L'excentricitéexcentricité et l'inclinaison du dipôle permettraient quant à elles d'expliquer les variations d'anisotropie d'ordre hémisphérique.


    Le noyau interne de la Terre n’est pas vraiment solide !

    Jusqu'à présent considéré comme solide, le noyau interne de la Terre serait en réalité dans un état intermédiaire, entre le solide et le liquide. C'est ce que démontre une nouvelle étude, dont le modèle numérique permet de résoudre de nombreuses observations sismologiques.

    Article de Morgane GillardMorgane Gillard publié le 18 février 2022

    La Terre comprend différentes enveloppes géologiques : la croûtecroûte, le manteaumanteau, le noyau externe et le noyau interne, encore appelé « graine ». Alors que les premiers kilomètres de croûte sont désormais bien connus, les niveaux les plus profonds font encore l'objet de nombreuses questions et débats. Si d'importantes informations sont obtenues grâce à l’étude de la propagation des ondes sismiques à travers ces milieux profonds, la composition exacte du noyau ainsi que les mécanismes physico-chimiques qui le gouvernent sont encore mal contraints.

    Coupe de la Terre montrant les principales enveloppes. © Volcan26, <em>Wikimedia Commons, </em>CC by-sa 4.0 
    Coupe de la Terre montrant les principales enveloppes. © Volcan26, Wikimedia Commons, CC by-sa 4.0 

    Un noyau interne « mou » ?

    Si nous savons depuis plusieurs décennies maintenant que le noyau externe est constitué de fer à l'état liquideétat liquide par le fait que la vitesse des ondes S (cisaillantes) est égale à 0, la nature du noyau interne est bien moins claire. La graine était jusqu'à présent considérée comme solide. Mais cette hypothèse se heurte à une observation majeure : la vitesse des ondes S qui le traversent est anormalement faible (3,6 km/sec), donnant l'impression que le noyau interne est « mou ». Il semble donc nécessaire d'envisager la présence d'une fraction fondue en son sein. Cependant, les conditions physiquesphysiques régnant au centre de la Terre sont extrêmes : la pressionpression est d'environ 350 GPa, soit 3.500.000 fois la pression atmosphérique et la température de plus de 5.000 °C. Or, les mécanismes permettant la présence d'une phase liquide sous de telles conditions sont loin d'être comprises.

    C'est par l'étude de la propagation des ondes sismiques que l'on connait la structure interne de la Terre. © musée de Sismologie de Strasbourg
    C'est par l'étude de la propagation des ondes sismiques que l'on connait la structure interne de la Terre. © musée de Sismologie de Strasbourg

    Un noyau interne ni solide ni liquide

    Difficile en effet de reproduire ces conditions en laboratoire. C'est là qu'intervient la simulation numériquesimulation numérique. Une équipe de chercheurs chinois a en effet réussi à étudier, par le calcul, la dynamique moléculaire pour les pression et température régnant dans le noyau interne. Ils ont ainsi pu analyser le comportement des alliages de fer dans cet environnement extrême. Leurs résultats, publiés dans Nature, montrent que, sous ces conditions, les alliages de fer (FeH, FeO et FeC) composant le noyau interne sont dans un état particulier, dit superionique. Il s'agit d'un état intermédiaire, entre solide et liquide. Grâce à leurs simulations, les scientifiques ont montré que les atomesatomes de H, O et C, qui sont des éléments légers, se comportent au sein du noyau interne comme des liquides et se diffusent au sein de la matrice de fer.

    Le noyau interne peut donc être vu comme une mixture composée de fer solide et d'éléments légers liquides, ces derniers étant animés d'un mouvementmouvement de convection. La graine terrestre n'est donc pas un solide comme on le pensait jusqu'à présent. Les chercheurs montrent que leurs hypothèses corrèlent bien avec les observations sismiques : la présence d'une phase superionique induit une décélération drastique de la vitesse des ondes cisaillantes. Une faible proportion d'éléments légers dans cet état permet d'ailleurs cette observation.

    Un lien avec le champ magnétique ?

    On sait déjà qu'au niveau de la transition entre le noyau interne et le noyau externe liquide, la solidification de la graine génère une chaleurchaleur latente et mène à la séparationséparation et à la remontée des éléments légers dans le noyau externe, permettant son flux convectif. Un processus extrêmement important puisque c'est ce mouvement de convection qui assure la génération du champ magnétique terrestre. Cependant, d'après les résultats de l'étude, une petite part des éléments légers, en particulier H, O et C, se retrouvent piégés dans le noyau interne. Les conditions de pression/température font qu'ils se trouvent alors dans un état superionique, et que leur comportement peut être assimilé à celui d'un liquide. Cet état leur permet de se diffuser à travers la matrice de fer du noyau suivant un mouvement convectifmouvement convectif.

    La convection au sein du noyau externe liquide génère le champ magnétique de la Terre. © Andrew Z. Colvin, <em>Wikimedia Commons</em>, CC by-sa 4.0
    La convection au sein du noyau externe liquide génère le champ magnétique de la Terre. © Andrew Z. Colvin, Wikimedia Commons, CC by-sa 4.0

    La présence de ces éléments à un effet significatif sur les propriétés élastiques du noyau interne. Ce modèle permet d'ailleurs d'expliquer la plupart des observations sismiques concernant la graine.

    Le lien entre champ magnétique et noyau interne est par ailleurs à creuser. Il semble en effet qu'il existe certaines relations entre la structure sismique du noyau interne et le champ magnétique. L'étude de ces interactions pourrait notamment permettre d'affiner notre connaissance de sa structure et de son évolution.