Dans ce nouveau chapitre du Cabinet de curiosités, partons en Italie à la découverte d'une pierre qui saura animer votre imagination. Aujourd'hui, nous parlons de la paésine, une roche formée au cours de millions d'années mais cachant en son sein des paysages presque futuristes. Chaussez vos lunettes, ouvrez votre esprit au voyage, et allons-y !


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    Au bord d'un lac, une montagne imposante surplombe un château gothique. À l'autre bout du monde, une mer bleu clair frangée d'écume se dessine entre les parois d'une grotte couleurcouleur de feufeu. À quelques kilomètres de là, une météoritemétéorite est saisie dans sa chute, quelques instants avant qu'elle ne s'écrase au large d'une majestueuse cité atlante. Et au-dessus des gratte-ciels d'une métropole sans nom, une présence mystérieuse et nébuleusenébuleuse hante le ciel. Chaque paésine est un nouveau paysage qui se dévoile aux yeuxyeux des rêveurs et des curieux, une pierre à l'aspect ruiniforme qui a su fasciner au cours du temps Pline l'AncienPline l'Ancien, la famille Médicis et Pablo Neruda.

    Dans cette paésine, une météorite semble tomber du ciel au-dessus d'une mer houleuse. Sur la droite, une ville imposante paraît émerger des flots. © Anne-Marie Minvielle
    Dans cette paésine, une météorite semble tomber du ciel au-dessus d'une mer houleuse. Sur la droite, une ville imposante paraît émerger des flots. © Anne-Marie Minvielle

    Formée dans le creuset des océans disparus

    La paésine n'est pas un minéral comme les autres. Aussi baptisée pierre paysagère ou marbre de ruine en anglais, cette roche métamorphique est le résultat de 50 millions d'années de transformations géologiques, une alchimie ancienne et obscure dont seule la nature a le secret. Sa toile de fond naît de la compression intense des couches sédimentaires de calcaire et d'argile apparues dans les fonds océaniques de l'Éocène. Les motifs qui distinguent cette pierre-paysage sont quant à eux le résultat d'infiltrations d'oxydes et d'hydroxydes de ferfer et de manganèsemanganèse dans la roche - avant ou après qu'elle a été fracturée, cela reste un mystère pour les chercheurs.

    Alors que certaines paésines figurent des paysages maritimes, d'autres laissent deviner des déserts arides. © Richard Weston
    Alors que certaines paésines figurent des paysages maritimes, d'autres laissent deviner des déserts arides. © Richard Weston

    La paésine est également une pierre élusive. Rare, on ne la trouve quasiment qu'en Italie - en Toscane, dans la région du Latium et dans les Apennins. Sa découverte est généralement le fruit d'un long travail de recherche, et de beaucoup de chance. Discrète, elle ne révèle son apparence singulière qu'une fois la pierre fendue en deux, comme une banale pierre noire renfermerait secrètement un cœur d'améthyste. Polymorphe, il en existe de toutes les sortes : du Verde d'Arno aux motifs géométriques, à l'organique TerraTerra Bruciata di Rimaggio, devenue rarissime de nos jours. Mais ce sont les pierres extraites des monts florentins qui aujourd'hui encore subjuguent les esthètes, caractérisées par les paysages dans lesquels tant d'imaginaires se sont projetés.

    Exemple de paésine <em>verde</em> d'Arno, au moins tout aussi belle dans son abstraction que la paésine florentine dans son évocation. © Mauro Rapazzini
    Exemple de paésine verde d'Arno, au moins tout aussi belle dans son abstraction que la paésine florentine dans son évocation. © Mauro Rapazzini
    Une paésine avant et après avoir été fendue. © Pietra Paesina
    Une paésine avant et après avoir été fendue. © Pietra Paesina

    La pierre des artistes et des rêveurs

    Si Pline l'Ancien nous décrivait déjà dans son Histoire Naturelle l'engouement suscité par l'extraction des premières paésines dans les carrières de Chio, c'est à la Renaissance, avec la découverte du filonfilon de Florence que cette roche établit sa réputation. Elle devient une favorite des cabinets de curiosités naturelle. Les artistes, peintres et marqueteurs se délectent de ces paysages de pierre qu'ils investissent de personnages fictifs ou découpent pour les intégrer dans des œuvres complexes selon la technique du « commesso fiorentino » (une sorte de marqueteriemarqueterie des pierres dures aussi connue sous le nom « mosaïque florentine » que je vous encourage vivement à explorer plus en détail ici).

    À l'abri d'un pan de roche, Hercule s'apprête à décocher une flèche au centaure Nessus. © Pandolfini
    À l'abri d'un pan de roche, Hercule s'apprête à décocher une flèche au centaure Nessus. © Pandolfini
    Un magnifique exemple (détail) de « <em>commesso fiorentino</em> » : ces fleurs sont formées d'un assemblage de fines tranches de roches dures. © Google Arts & Culture
    Un magnifique exemple (détail) de « commesso fiorentino » : ces fleurs sont formées d'un assemblage de fines tranches de roches dures. © Google Arts & Culture

    Manifestement adepte de minéralogie, le Grand-duc Ferdinand Ier de Médicis instituera l'Office de la Pierre dure en 1588 et portera une affection toute particulière à la paésine. Lui et sa famille commanderont et collectionneront un vaste ensemble d'objets et d'œuvres incorporant cette pierre unique et participeront à son succès en Europe, notamment auprès des cardinaux Richelieu et Mazarin. Qu'elles soient ou non le fruit de la paréidolie, les scènes qui nous aspirent au cœur de cette roche ont captivé les esprits à travers les siècles, jusqu'à celui de Pablo Neruda, qui lui consacrera un poème. La paésine, fenêtrefenêtre sur des mondes inconnus, mérite, j'espère vous en avoir convaincu, sa place dans notre Cabinet de curiosités.

    Image du site Futura Sciences
    Rendez-vous dans deux semaines pour un nouveau chapitre du Cabinet de curiosités. © nosorogua, Adobe Stock   

     

     

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