Une meilleure utilisation des énergies renouvelables figure au menu de la COP 21. Localement, des expériences ont déjà eu lieu, avec de bons succès. Territoires isolés, les îles sont de bons terrains pour trouver des alternatives au fioul, arrivant par bateau et donc au prix de revient élevé. Alain Gioda, historien du climat à l'UMR Hydrosciences de Montpellier à l'IRD (Institut de recherche et développement), nous parle de l'île El Hierro, dans les Canaries, qui travaille depuis des décennies à une autonomie en énergie. Cette aventure scientifico-politique est également racontée (entre autres actualités) sur son blog : Climat'O.

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    Les îles peuvent-elles être des laboratoires pour la transition énergétique ?

    Alain Gioda : On peut dire qu'une île, c'est un monde en miniature. Mais il est vrai qu'elles sont des endroits à part. Il y passe moins de flux, il y a peu d'échanges. Ce sont des points froids de l'humanité. En revanche, oui, elles peuvent être des laboratoires. Les enjeux de la COP 21 sont d'abord politiques, mais sur les îles, le réchauffement, c'est la réalité ! On peut prendre l'exemple du Groenland, la plus grande des îles (si l'on considère l'Australie comme un continent). La fontefonte des glaciers et l'extension moindre de la banquise, c'est une réalité aujourd'hui. Pour l'archipel des Kiribati, des atolls de la Micronésie, dans l'océan Pacifique, la hausse du niveau de la mer a déjà des conséquences socio-économiques. C'est le cas aussi en Bretagne, sur l'île de Sein, qui ne dépasse les flots que de deux mètres en moyenne.

    L’expérience d’El Hierro peut-elle être un exemple ?

    Les gens qui agissent ainsi sont déjà de l'autre côté du miroirmiroir. C'est le côté de ceux qui trouvent des solutions... La COP 21 ne peut pas être un succès total mais cela peut montrer qu'on peut faire mieux. Pour avancer, il faut afficher un rêve, pour catalyser les énergiesénergies, frapper les imaginations. À El Hierro, les « 100 % d'énergies renouvelables », c'est un objectif pour mettre la barre très haut. Il y a toujours des réticences. L'expérience montre qu'il y en a de deux formes face à ce genre de projets. Certains se méfient des sciences de l'ingénieur. Ils n'aiment pas les machines. D'autres, à l'inverse, pensent que les technologies sauront tout résoudre. Ceux-là parlent parfois de « l'écologie de la chèvre ou de la bougie ». Entre ces deux groupes, il y a un large espace que je propose d'occuper.

    Pour que cela marche, il faut que les gens s'approprient leur territoire. C'est ce qui se passe à Samsø, une île du Danemark [où l'électricité provient en totalité d'énergies renouvelablesénergies renouvelables, NDLRNDLR]. En Allemagne, la commune de Schönau, en Forêt Noire, produit elle-même son électricité. Il faut voir sur l'InternetInternet en accès libre le film L’esprit de Schönau... Ce n'est qu'une fois cette appropriation faite que des techniciens peuvent apporter des solutions. À El Hierro, on est un peu entre les deux. Le projet n'est pas né de la base. C'est au départ un projet technologique d'un élu. Mais les gens se le sont approprié en portant presque toujours les tenants du projet au pouvoir par les élections depuis plus de 30 années.

    Sur l'île d'El Hierro, les cinq éoliennes de 64 m fournissent une puissance totale de 11,5 MW. Le surplus d'énergie est utilisé pour une usine de dessalement mais aussi pour actionner une pompe qui monte l'eau du réservoir inférieur vers le bassin supérieur. Durant les périodes sans vent, on laisse l'eau s'écouler vers le bas et des turbines produisent de l'électricité. Le complément est fourni par une centrale thermique. La proportion de ces trois sources est ajustée en permanence. © Idé

    Sur l'île d'El Hierro, les cinq éoliennes de 64 m fournissent une puissance totale de 11,5 MW. Le surplus d'énergie est utilisé pour une usine de dessalement mais aussi pour actionner une pompe qui monte l'eau du réservoir inférieur vers le bassin supérieur. Durant les périodes sans vent, on laisse l'eau s'écouler vers le bas et des turbines produisent de l'électricité. Le complément est fourni par une centrale thermique. La proportion de ces trois sources est ajustée en permanence. © Idé

    Il y a la question du prix : l’énergie produite par ces énergies renouvelables est plus chère. Les populations des îles, ou d’ailleurs, doivent-elles accepter de payer plus ?

    Bien au contraire, l'énergie des îles est souvent produite par du fioulfioul ou du charboncharbon. Il s'avère que ce mode de production revient plus cher que les énergies renouvelables (entre 2 et 5 fois plus). Mais en Europe, le surcoût est partagé par tous les consommateurs du pays. En France, c'est la CSPE (Contribution au service public de l'électricité). Sur l'île de Sein, par exemple, le coût de revient de la production d'électricité avec du fioul est d'environ 50 centimes hors taxes le kWh. EDF le vend à 5 centimes aux consommateurs (pour la partie production de la facture), et perçoit donc 45 centimes de CSPE par kWh. L'éolien est aujourd'hui produit autour de 9 centimes, le solaire 25 centimes et l'hydrolien 30 centimes. Aux Canaries, une taxe semblable est en place, avec le même résultat.

    Cette situation n'incite pas les acteurs en place à investir dans les énergies renouvelables. Le système d'aides est ainsi biaisé et favorise en fait l'installation de centrales thermiques ou de générateursgénérateurs. Dans les îles tropicales, la demande d'énergie augmente avec la croissance de la climatisationclimatisation, même quand elle n'est pas vraiment nécessaire avec le régime dominant des alizésalizés... Mais dans les cas que je viens de citer, Samsø, Schönau et El Hierro, sans oublier Eigg en Écosse, etc., ils l'ont fait.

    Quelles sont les clés du déblocage ?

    Sur les îles comme ailleurs, la motivation peut venir d'un gros pépin ou pire de la succession de gros pépins : les deux chocs pétroliers des années 1970, les accidentsaccidents nucléaires de Tchernobyl puis de Fukushima, les tempêtestempêtes plus fréquentes qui ont ravagé l'île de Sein et incité à devenir plus autonome. L'indépendance énergétique par rapport aux pays producteurs de pétrolepétrole et d'uraniumuranium est aussi une motivation à l'échelle d'une nation. La production locale d'énergie, c'est une indépendance plus grande, un risque moindre de conflits armés et une opportunité extraordinaire de développement d'un territoire. La santé publique est aussi une forte motivation, quand la pollution de l'airair devient trop forte par exemple.

    En fait, tout est déjà prêt pour une vraie transition énergétique. Il ne manque qu'un engagement humain et une volonté politique face aux lobbies quelquefois surpuissants. C'est aussi une affaire de génération. À part les adeptes du « no future », les jeunes sont partants. Il est intéressant que la COP 21 ait aussi un volet artistique, avec des jeunes artistes engagés comme l'Argentin Tomás Saraceno.