Eh oui, c'est elle la véritable héroïne de la savane. Si le lion est depuis longtemps devenu une icône de la faune africaine, c'est bien la femelle qui chasse, élève les petits et protège le territoire. Savais-tu qu’elle est aussi capable de compter avant de prendre une décision ? Retranscription d'un épisode du podcast family-friendly Bêtes de Science, il s'adresse aux petits comme aux grands. Que vous souhaitiez lire l’histoire ou l’écouter, découvrez l’épisode ci-dessous.
 


au sommaire


    Découvrez le podcast à l'origine de cette retranscription dans Bêtes de Science.

    Tout le monde connaît le lion, le roi de la savane et se représente très bien sa crinière touffue, son pelage fauve et son rugissement puissant ! Mais sais-tu vraiment qui il est, et comment il vit ? Le lion d'Afrique, de son nom latin Panthera leo leo, appartient à la grande famille des félidésfélidés, qui comprend aussi bien le minuscule chat des sables africain que le tigre de Sibérie, le plus grand d'entre tous ! On a longtemps considéré qu'il existait plusieurs sous-espèces du lion d'Afrique mais des études génétiquesgénétiques récentes ont confirmé qu'au final, on ne distinguait que deux sous-espèces de lions sur Terre : le lion d'Afrique et le lion d'Asielion d'Asie. Ce dernier vit uniquement dans la forêt de Gir, en Inde, et il ne reste malheureusement que quelques centaines d'individus dans leur milieu naturel. Le lion d'Afrique est l'un des plus grands félins au monde avec le tigre, originaire d'Asie, et le jaguarjaguar, que l'on trouve en Amérique du Sud. Les lions ont le corps recouvert d'un pelage couleurcouleur sable, et ils portent au bout de la queue un plumeau de poils foncés, comme un drôle de pinceau. Mais je te déconseille d'essayer de le titiller...

    Lions et lionnes, mâles et femelles d'une même espèce, sont physiquement très différents : on parle alors de dimorphisme sexuel, comme pour la biche et le cerf. Du bout du museau au bout de la queue, un animal adulte peut atteindre 2 mètres 50 de long ! On est donc bien loin des proportions d'un mignon petit chaton. Les mâles sont plus grands et plus lourds que les femelles, et on les distingue facilement grâce à la crinière de poils foncés qui encercle leur tête. Certains affirment que c'est elle qui a valu au lion le surnom de « roi des animaux », en lui ceignant la tête comme une couronne ! Mais, en vérité, cette crinière n'est pas là uniquement pour faire joli ou pour leur donner une allure royale. On pense en effet que cette crinière leur permettrait de séduire les femelles, mais aussi d'impressionner leurs adversaires et d'amortir les chocs lorsque les mâles se battent. Imagine la force des baffes ! Un lion mâle adulte pèse entre 150 et 220 kilos en moyenne. Le plus gros spécimen recensé dans la nature, un lion d'Afrique du Sud, atteignait les 300 kilos ! La lionne, même si elle est plus menue, peut tout de même atteindre les 200 kilos.

    Ce sont des athlètes, bardés de muscles, capables de courir longtemps et d'abattre des animaux massifs comme des buffles ou même des éléphants, comme c'est le cas au parc du Savuti, au Botswana, où certains lions se sont spécialisés dans la chasse aux pachydermes. Car oui, les lions sont carnivorescarnivores et se nourrissent exclusivement de viande. Ce sont les seuls félins sauvages à vivre en groupe : ils sont donc capables de s'entraider et de se coordonner pour attraper de grandes proies, à plusieurs. Mais, on y reviendra, ce sont les lionnes qui font tout le boulot, les lions mâles adultes chassent très peu. Cependant, même si les lionnes sont d'excellentes chasseresses, elles profitent aussi parfois de leur carrure impressionnante pour voler leurs proies à d'autres prédateurs, comme les guépardsguépards, les léopardsléopards ou les hyènes tachetéeshyènes tachetées, que l'on accuse souvent d'être des pilleuses. Comme quoi, la voleuse n'est pas forcément celle qu'on croit !

    On trouve des lions et des lionnes d'Afrique partout sur le continent, au sud du désertdésert du Sahara. Le lion que l'on trouvait au Maghreb, dans la chaîne montagneuse de l'Atlas qui lui a donné son nom, a malheureusement disparu au milieu du XXe siècle. Nos grands fauves peuvent se retrouver dans des milieux très variés comme la savane et ses hautes herbes, ou des zones plus sèches, comme certaines forêts d'épineux, semi-arides. En revanche, le climatclimat des forêts humides équatoriales et des déserts ne lui conviennent pas du tout. Comme souvent avec les animaux carnivores, qui peuvent s'en prendre à l'humain ou entrer en compétition avec lui en tant que chasseur, notre relation avec le lion est plutôt houleuse. À l'époque coloniale, et encore aujourd'hui, les lions sont vus comme des trophées de chasse prestigieux. On les inscrit parmi les Big Five, les cinq grands animaux africains qu'une fine gâchette doit accrocher à son tableau de chasse : le buffle, le rhinocérosrhinocéros noir, l'éléphant, le léopard et le lion. Certains sont prêts à payer très cher pour s'offrir le roi de la savane sur un plateau et accrocher sa tête au-dessus de leur cheminéecheminée. Des fermes privées de chasse en boîte en ont même fait un marché juteux ! Quel triste sort pour cet animal majestueux... Mais, par ailleurs, la cohabitation entre les lions et les humains s'avère difficile pour d'autres raisons. Les zones d'activité humaine s'étendent, et les prédateurs se rapprochent progressivement des animaux d'élevage. Les lions ont bien compris que les vachesvaches et les chèvres étaient plus simples à attraper que les gazelles et les buffles sauvages. En conséquence, les éleveurs, exténués, recourent au braconnage et à des empoisonnements pour éviter de perdre leur bétail. Même s'il est très difficile d'évaluer la population exacte de lions en Afrique aujourd'hui, on pense qu'il en reste... trop peu. Les scientifiques estiment que près de la moitié de la population de lions sauvages en Afrique a disparu depuis le milieu des années 1990, soit en 30 ans seulement. Le lion d'Afrique est donc classé comme vulnérable sur la liste rouge de l'Union internationale pour la conservation de la nature.

    Le comportement social des lionnes

    Mais, malgré cela, qu'est-ce qui fait du roi des animaux un parfait intello ? La grande force des lions, c'est leur organisation ! Leur vie en société riche et complexe les place tout en haut de la pyramide alimentaire. Ils forment un groupe qui est constitué d'un ou, le plus souvent, de plusieurs lions mâles qui sont associés. Ces messieurs assurent essentiellement la défense du territoire et la reproduction. En joignant leurs forces, ils peuvent prendre le pouvoir dans une nouvelle troupe, et chasser le ou les anciens mâles en place. Ils s'accouplent alors avec toutes les femelles adultes présentes dans la troupe. Quant aux lionnes, elles font... tout le reste du boulot ! Souvent sœurs, tantes, cousines, les lionnes restent toute leur vie ensemble, et des alliances sur le long terme se créent entre elles. Elles se coordonnent pour chasser et se serrent les coudes pour nourrir et élever les lionceaux à plusieurs. Il peut même arriver qu'une femelle allaite des petits qui ne soient pas les siens. Les lionceaux naissent d'ailleurs bien souvent au même moment et ils se retrouvent regroupés en crèche, surveillée collectivement par les mamans. Il n'y a pas de femelle dominante, et toutes ont le même niveau dans la hiérarchie. Les lionnes sont très égalitaires entre elles. C'est surtout lors des repas qu'il peut y avoir des tensions, car les mâles se servent en premier et font souvent comprendre qu'il n'y a pas de négociation possible ! Les femelles, pour leur part, se tolèrent et partagent le produit de leur chasse sans disputes.

    Mais, ce n'est pas tout. En plus de la chasse et de l'élevage des petits, les lionnes s'unissent aussi pour patrouiller aux limites du territoire et le défendre face aux intrus. Elles signalent leur présence en grognant et en rugissant, souvent à plusieurs. Et si elles se soutiennent entre elles au sein d'une même troupe, c'est la guerre avec les lionnes voisines ! Chacune chez soi ! Des courses-poursuites peuvent avoir lieu pour décourager celles qui voudraient leur piquer leur terrain, et plus la troupe est nombreuse, plus elle a de chance de sortir vainqueur. Une question subsiste. Quand il s'agit d'aller affronter des concurrents, comment font les lionnes pour se mettre d'accord entre elles avant d'agir ? Comment font-elles pour estimer si elles ont leurs chances pour mettre les ennemies en déroute ? Une expérience devenue célèbre révèle que les lionnes savent compter ! Je te propose de partir en expédition, au cœur de la savane du parc national du Serengeti, en Tanzanie. Enfile tes chaussures de rando, on décolle !

    Ici, c'est la fin du printemps. Nous sommes au milieu du mois de mai. L'herbe est tendre et verte. Même s'il pleut moins qu'en avril, il y a des averses tous les jours. Ce qui ravit les herbivoresherbivores qui se régalent des jeunes pousses. C'est aussi le moment de la grande migration annuelleannuelle, qui voit arriver des troupeaux gigantesques, notamment de zèbres et de gnous, qui viennent chercher leur nourriture ici. Bien entendu, les prédateurs en profitent également, et il n'est pas rare de croiser des troupes de lions, le ventre bien rempli, après une chasse victorieuse ! Rejoignons la chercheuse Karen McComb, qui est rattachée à l'université de Cambridge et à celle du Minnesota, mais tenons-nous à distance pour ne pas la déranger. C'est pile l'heure de son expérience. Elle démarre son protocoleprotocole quand les félins sont les plus actifs : à la tombée du jour. C'est à ce moment-là, aussi, que l'on entend les lionnes rugir. Karen déplace un gros haut-parleur qu'elle dissimule parmi les hautes herbes. Puis elle s'éloigne et s'installe en sécurité dans sa Jeep pour lancer la diffusiondiffusion. Installons-nous avec elle, histoire de ne pas nous faire croquer !

    Le haut-parleur diffuse des rugissements enregistrés de lionnes, qui n'habitent pas sur ce territoire. Karen s'intéresse donc à la réaction que les lionnes résidentes, que l'on voit tout là-bas, au loin, vont avoir face à ces sons d'intruses. La diffusion ne dure qu'entre 25 et 55 secondes, mais ne te leurre pas, une fois qu'elles l'ont entendu, nos lionnes sont sur le qui-vive pour un bon moment. La chercheuse enregistre donc leur comportement pendant une heure, avec une caméra, et note tous les comportements qu'elle peut voir en direct. Ouvre-bien les yeuxyeux, on va l'aider ! Tiens, écoute, on tombe à pic, c'est l'heure de la diffusion. Sur l'enregistrement, on entend une lionne étrangère rugir. Aux jumelles, on peut observer les lionnes qui viennent d'entendre, elles aussi, ces sons. Elles sont cinq. Il faut être attentif et vigilant, pour bien capter toutes leurs réactions. La femelle plus âgée, qui a l'oreille abîmée là-bas, s'est figée et regarde fixement dans la direction du haut-parleur. Un court moment se passe avant qu'elles ne se déplacent - 1 minute 50, soit 110 secondes. Deux lionnes s'avancent en direction du haut-parleur, suivies de près par les trois autres. Elles s'arrêtent. Pendant... 42 secondes. Puis repartent. La vieille femelle à l'oreille coupée regarde attentivement les trois lionnes en retrait. Elles continuent à avancer jusqu'à la zone où le haut-parleur est caché, et reniflent avec attention. Après un nouveau moment d'attente de 5 minutes, soit 300 secondes, elles s'éloignent de nouveau et retournent à leurs occupations. Ce soir, nous avons donc vu les lionnes s'approcher de l'intruse, bien décidées à la raccompagner hors de chez elles. Mais, il n'y avait la voix que d'un seul individu dans l'enregistrement de ce soir ! Ce qu'a fait Karen, c'est qu'elle a aussi diffusé à d'autres troupes de lionnes un son sur lequel on entendait trois individus rugir. Et là, le comportement des femelles était très différent. Quand elles entendent trois intruses, elles mettent beaucoup plus de temps à s'approcher du haut-parleur que lorsqu'il n'y a la voix que d'une seule ennemie. Les lionnes se regardent aussi beaucoup plus entre elles, quand elles entendent la voix de trois étrangères plutôt que d'une seule. Futées, elles savent qu'il faut redoubler de prudence lorsque le risque est plus important.

    De manière intéressante, la taille du groupe de lionnes qui entend le son va aussi déterminer comment elles vont réagir. Ce soir, les lionnes étaient cinq, donc un groupe déjà important. Lorsque la troupe est plus petite, constituée d'une ou deux lionnes seulement, elles approchent beaucoup moins souvent le haut-parleur également. L'union fait la force, et toutes seules, elles risquent de ne pas faire le poids. Il apparaît aussi que les lionnes ont tendance à rugir quand la taille de leur troupe n'est pas à son maximum. Elles rugiraient donc plus probablement pour appeler leurs copines à la rescousse, plutôt que pour communiquer avec les intruses. Cette expérience publiée en 1994 révèle que les lionnes font bien la différence entre la présence d'un ou de trois intrus. Elles sont aussi capables d'ajuster leur comportement et de choisir d'aller à leur rencontre ou non, selon qu'elles sont en nombre suffisant pour riposter ou pas ! Cela montre donc qu'elles savent compter, mais aussi qu'elles peuvent estimer leurs forces et ce que cela leur coûterait d'affronter des ennemis moins ou plus nombreux qu'elles. Les lionnes ne sont donc pas uniquement des prédatrices musclées, ce sont aussi des mathématiciennes et des tacticiennes avisées !

    _