Après les moustiques OGM contre les maladies infectieuses, la start-up britannique Oxitec s’attaque aux dégâts des insectes ravageurs dans l’agriculture. Elle a mené pour la première fois un test en plein champ avec des papillons génétiquement modifiés pour faire mourir la descendance femelle. Une alternative à l’épandage de pesticides et à la résistance des insectes aux produits chimiques.


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    La teigneteigne du chou (Plutella xylostella), ou teigne des crucifères, adore le brocoli. Elle apprécie aussi le chou-fleur et les autres variétés de chou, ainsi que le colza. En comptant les pertes de rendement et les coûts associés aux pesticides, cette larve de papillon causerait 4 à 5 milliards de dollars de dégâts par an, d’après une étude de l’université du Queensland. Pire : le papillon est devenu au fil du temps résistant à la plupart des insecticides classiques. Plutôt que de concevoir des plantes génétiquement modifiées pour lui résister, la start-upstart-up britannique Oxitec a décidé de modifier l'insecteinsecte lui-même, afin que l'espèceespèce s'autodétruise. C'est la première fois que cette technique est utilisée sur des cultures en plein champ, se félicite la biotech, qui travaille sur ce projet en collaboration avec l'université de Cornell.

    Une descendance femelle qui meurt à la naissance

    Les chercheurs ont introduit deux gènesgènes chez le papillon, l'un codant pour une protéineprotéine fluorescente afin d'identifier les papillons génétiquement modifiés, l'autre entraînant la mort de toutes les larves femelles peu après leur éclosion. En inoculant le gène uniquement chez les mâles, ces derniers vont s'accoupler avec les femelles normales et leur transmettre le gène, ces dernières donnant alors une descendance uniquement mâle et ainsi de suite jusqu'à l'extinction totale de la population.

    La teigne du chou (<i>Plutella xylostella</i>) cause d’énormes dégâts sur les choux et le colza. © woodmen19, iNaturalist
    La teigne du chou (Plutella xylostella) cause d’énormes dégâts sur les choux et le colza. © woodmen19, iNaturalist

    Cette technique présente de nombreux avantages, fait valoir Oxitec. D'abord, elle réduit considérablement l’usage de pesticides. Deuxièmement, elle présente peu de risque de dissémination : la moitié de la descendance des mâles mourant à chaque génération, le gène létallétal disparaît naturellement après quelques mois. Si l'on veut renouveler l'opération, il suffit de relâcher de nouveaux papillons OGMOGM. Troisièmement, contrairement aux insecticides, elle est spécifique à une espèce et ne va donc pas entraîner la mort d’insectes « bénéfiques » comme les abeilles. Enfin, cela limite le phénomène de résistance aux produits chimiques et aux plantes génétiquement modifiées.

    Les insectes éradiqués en trois générations

    En 2015, des tests menés sous serre avaient montré que le gène éliminait la population de nuisibles en à peine trois générations. Mais dans la nature, les choses sont loin d'être aussi faciles à maîtriser. Oxitec a donc mené de nouveaux essais en plein champ entre août et septembre 2017, dont les résultats ont été publiés le 29 janvier dans un article de Frontiers in Bioengineering and Biotechnology. Environ 95 % des papillons sont restés dans un rayon de 35 mètres autour du lieu où ils ont été relâchés, ce qui confirme le faible risque de dissémination.

    Surtout, les insectes OGM ont montré un comportement identique à celui des papillons normaux. Ce dernier point est particulièrement important, car la technique de stérilisation employée jusqu'ici et mise au point dans les années 1950 consiste à stériliser les mâles par irradiationirradiation. Le problème, c'est que cela affaiblit les insectes, qui sont ainsi défavorisés par rapport à leurs rivaux « naturels », ce qui limite la portée de l'autodestruction. De plus, certaines espèces d'insectes ravageurs sont trop fragiles pour supporter l'irradiation et ne peuvent donc pas être soumises à cette méthode. Les papillons génétiquement modifiés sont eux tout aussi vigoureux que leurs congénères, tant en terme de duréedurée de vie que de distance parcourue. « Cette étude montre l'immense potentiel de la génétiquegénétique pour protéger les cultures de manière durable et avec une autolimitation dans l'environnement », atteste Neil Morrison, responsable de l'agricultureagriculture chez Oxitec.

    Oxitec mène de nouveaux essais d’insectes génétiquement modifiés sur la noctuelle américaine du maïs (<i>Spodoptera frugiperda</i>). © dragonajuli, iNaturalist
    Oxitec mène de nouveaux essais d’insectes génétiquement modifiés sur la noctuelle américaine du maïs (Spodoptera frugiperda). © dragonajuli, iNaturalist

    Un risque de dissémination du gène ?

    La start-up n'en est pas à son coup d'essai avec les insectes génétiquement modifiés. Entre 2013 et 2015, la biotech avait relâché au Brésil des millions de moustiques Aedes aegyptiAedes aegypti génétiquement modifiés porteurs d'un gène d'autodestruction (OX513A), avec pour objectif de freiner la circulation des virus de la denguevirus de la dengue, de ZikaZika et de chikungunyachikungunya. Problème : une étude publiée en 2019 a justement montré qu'une petite fraction de moustiquesmoustiques (3 à 5 %) avaient survécu à leur mort annoncée et propagé un bout de leur génomegénome dans les populations sauvages. Une étude vivement critiquée par Oxitec, qui a porté plainte contre Nature, l'éditeur de l'article. « Les auteurs ont fait des conclusions spéculatives et ignoré de manière sélective un ensemble de preuves attestant de la sécurité et l'efficacité de la technologie », s'est indignée la start-up dans un communiqué.

    Pesticides contre OGM : que choisiriez-vous ?

    Cette polémique montre en tout cas la division des scientifiques sur le sujet. En 2017, le Haut Conseil des biotechnologiesbiotechnologies (HCB) a rendu un avis sur le cas des moustiques, signalant « une stratégie à ne pas négliger ouvrant des perspectives intéressantes en termes de contrôle de populations » mais appelant à « des études préalables sur les impacts environnementaux et sanitaires ». Oxitec, de son côté, a deux nouveaux parasitesparasites dans le viseur : Chrysodeixis includens, une chenillechenille qui ravage les champs de sojasoja, et la noctuelle américaine du maïsmaïs (Spodoptera frugiperda), qui contrairement à ce que laisse penser son nom, cause d'énormes dégâts sur les cultures de maïs et de coton en Afrique. Entre manger des brocolis bourrés de pesticides et des papillons génétiquement modifiés se baladant dans le champ d'à côté, vous choisiriez quoi ?