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    Les biotechnologiesbiotechnologies sont une industrie très jeune qui a vu le jour il y a 40 ans. Depuis, toute une nouvelle génération d'entreprises veut révolutionner le monde grâce à la manipulation du vivant. L'industrie pharmaceutique est le principal secteur concerné avec l'industrie chimique. Les entreprises se passionnent pour des thématiques telles que la thérapie géniquethérapie génique ou l'immunothérapieimmunothérapie anticancéreuse. Quels sont leurs modèles économiques ? Le secteur crée-t-il de l'emploi ? Les réponses.

    Denis Lucquin est président de Sofinnova Partners et fondateur de l'association France Biotech. Ingénieur de l'École polytechnique et de l'École nationale du génie rural des eaux et forêts, il commence sa carrière à l'Institut national de la recherche agronomique (Inra), en charge du département de transfert technologique, puis devient directeur d'investissements d'Innolion, filiale de capitalrisque du Crédit lyonnais. Il est membre du conseil d'administration de plusieurs sociétés européennes de biotechnologies.

    La biotechnologie, un secteur clé pour l'emploi ? © Syda Productions, Shutterstock

    La biotechnologie, un secteur clé pour l'emploi ? © Syda Productions, Shutterstock

    Quelle est la place du secteur des biotechnologies dans l’économie ?

    Denis Lucquin : Près des deux tiers des médicaments acceptés pour être mis sur le marché par la Food and Drug AdministrationFood and Drug Administration sont nés à l'intérieur de sociétés de biotechnologies. Généralement, ces dernières peuvent rester indépendantes, être acquises par un groupe ou vendre une licence à l'industrie. Dans le secteur pharmaceutique, on a assisté - grâce à ces technologies et à ces innovations organisationnelles d'entreprises - à une séparationséparation complète du travail entre les sociétés de biotechs, à l'origine des innovations, et les industries qui n'innovent plus et font essentiellement du développement.

    Depuis 2005, un nouveau domaine d'application des biotechnologies apparaît, avec d'autres contraintes industrielles et business models. C'est la biotech industrielle. Il s'agit d'une réponse entrepreneuriale à la nécessaire mutation de l'industrie chimique et non plus de l'industrie pharmaceutique. Si la biotech santé répondait à l'absence d'innovations dans l'industrie pharmaceutique, la biotech industrielle permet, quant à elle, à l'industrie chimique de se réinventer, de sortir de la domination quasi exclusive du pétrole en tant que source des molécules qu'elle travaille et produit. C'est une réponse à des préoccupations environnementales, économiques et sociétales, car le pétrole, même si son prix a sensiblement baissé depuis plusieurs mois, ne peut plus être la seule source d'approvisionnement de l'industrie chimique. Cela donne aujourd'hui naissance à des entreprises qui interviennent dans ce que nous appelons la « chimie renouvelablechimie renouvelable ». La première vaguevague d'investissements en capital-risque dans ce domaine date de 2005-2006. En 2014, il a représenté un peu plus d'un milliard d'euros.

    Comme souvent, le phénomène a débuté aux États-Unis et l'Europe essaie de rattraper son retard. En ce qui concerne les biotechnologies en général, la France compte environ 400 sociétés qui ont une taille globalement inférieure à leurs équivalents américains. C'est dans l'industrie du médicament qu'elle a prouvé son business model bien que le nombre d'emplois ne soit pas encore significatif.

    La biotechnologie industrielle est née aux États-Unis avant d'arriver en France. © Bogdanhoda, Shutterstock

    La biotechnologie industrielle est née aux États-Unis avant d'arriver en France. © Bogdanhoda, Shutterstock

    Quels sont les types de sociétés qui dominent le marché ?

    Le modèle dominant est celui qui consiste à financer des sociétés dont le business model envisage qu'elles deviennent des sociétés pharmaceutiques. Elles réussiront, comme Actelion, ou seront rachetées, comme Novexel. Le modèle dominant est celui financé par le capital-risque, qui permet ensuite de trouver un relais de financement grâce à une introduction en Bourse. Les partenariats jouent bien entendu un rôle essentiel en validant les innovations développées par ces sociétés. Les entreprises les plus performantes pourront ainsi continuer à grossir pour commencer in fine à générer du chiffre d'affaires et devenir indépendantes sur le plus long terme. Ceci est cependant réservé aux meilleures et aux plus chanceuses. Les autres seront souvent rachetées par un groupe pharmaceutique ou fusionneront avec une autre biotech.

    Quel est l’intérêt des grands groupes pharmaceutiques ou industriels pour les TPE et les PME ?

    Les petites sociétés permettent aux grands groupes d'avoir accès à des innovations, des molécules ou des traitements innovants. Par des licences ou des acquisitions, elles remplissent les pipelinespipelines, bien souvent assez vides ou peu originaux, des groupes industriels. On assiste ainsi à un nouveau partage du travail dans la chaîne de valeur de l'innovation thérapeutique : les start-upsstart-ups innovent et les groupes développent sur la base de ces innovations. Dans le rapport que publie chaque année Ernst & Young sur le secteur des biotechnologies, on s'aperçoit que même si le montant dépensé pour les biotechs augmente, le nombre d'entreprises reste relativement stable. Cela signifie qu'il y a autant d'entreprises qui meurent ou qui sont rachetées que d'entreprises créées. En Europe, il y a 250 à 300 sociétés cotées en Bourse, pour 350 à 400 aux États-Unis.

    Quels sont actuellement les domaines les plus porteurs au sein des biotechnologies ?

    Le cabinet d'analyse et de conseil en processus d'innovation Gartner a formulé le Hype Cycle, une courbe d'analyse des promesses qui accompagnent une nouvelle technologie. Ce concept s'applique à tous les domaines technologiques et en particulier aux biotechs. Au début, certaines innovations sont très « à la mode » : on en parle beaucoup, puis on commence à se rendre compte que l'on est allé trop loin. S'en suit une sorte de désillusion, une « descente aux enfers ». Par exemple, au début des années 1990, tout le monde parlait de la thérapie génique.

    Il y avait pléthore de projets mais on s'est rendu compte que cette nouvelle discipline était beaucoup plus compliquée qu'elle ne le semblait. À l'époque, des dizaines de sociétés ont vu le jour, dont TransgèneTransgène, en France, qui était très connue. Finalement, beaucoup de ces sociétés n'ont pas réussi à prendre un tournant assez rapidement et ont disparu. Ce qui se passe en ce moment est la suite prévue par le Gartner Hype Cycle : après une période de désillusion, on redécouvre ces technologies qui ont mûri, ont réussi à « craquer » les verrousverrous qui les bloquaient. On possède aujourd'hui des données beaucoup plus solides et l'on commence à voir apparaître des produits. Le premier produit de thérapie génique a été homologué seulement en 2014 par la Food and Drug Administration (FDA), alors qu'un grand nombre de sociétés travaillent sur le sujet depuis longtemps. La thérapie génique est donc sans doute un domaine porteur, comme celui de l'immunothérapie anticancéreuse qui a suivi une évolution similaire.

    Dans quel secteur faut-il investir pour demain ?

    La pharmacie représente près de 90 % de ce qu'il se passe dans les biotechnologies. Il y a des secteurs dans lesquels il faut investir maintenant. Ce que l'on voit actuellement est le résultat d'investissements qui ont été faits il y a 5 ans. Par exemple, les anticorps monoclonauxanticorps monoclonaux, qui ont été très à la mode dans les années 1990 et au début des années 2000, sont en plein essor. Ils représentent 60 milliards de chiffre d'affaires réalisé par les différents groupes pharmaceutiques qui ont acquis des technologies ou des sociétés. Investir dans ce domaine suppose de dénicher des innovations spécifiques, mais il est probable que l'innovation de rupture se fera désormais assez rare. Les deux grands thèmes porteurs du moment sont l'immunothérapie anticancéreuse et la thérapie génique. On va sans doute assister à une renaissance des médicaments à base d'oligonucléotidesoligonucléotides, d'ADNADN ou d'ARNARN.

    Le rôle de la Bourse semble-t-il fondamental dans ce secteur ?

    Il est absolument critique. Dans les années 1990, en Europe, le Royaume-Uni représentait à peu près la moitié de l'industrie biotech, car il était le seul pays permettant à une société de biotechnologies de lever beaucoup d'argent en s'introduisant en Bourse. La Bourse est le seul moyen pour ces sociétés de disposer de montants importants en phase avec les coûts gigantesques du développement des médicaments.

    Par conséquent, toute biotech ambitieuse a vocation à être coté sur un marché boursier. Il reste que ces marchés sont très fragmentés en Europe et qu'ils n'ont pas réussi à acquérir la puissance du NYSE à New York ou du Nasdaq. Euronext est peut-être en passe de devenir un outil puissant pour les biotechs européennes. Il fédère déjà quatre pays : la France, la Belgique, les Pays-Bas et le Portugal. Acquérir dans ce domaine une taille critique est le passage obligé pour une Bourse dont l'ambition serait de rivaliser avec ses concurrents new-yorkais.