En s’inspirant du système nerveux des insectes, des scientifiques basés en Allemagne ont implanté un réseau neuronal sur une puce composée de neurones en silicium. Ils sont parvenus à réaliser un traitement des données en parallèle pour faire de l’analyse multivariée. Le professeur Michael Schmuker de l’université libre de Berlin a expliqué à Futura-Sciences tout l’intérêt de cette approche neuromorphique pour l’avenir de l’informatique.

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    Essayer de reproduire le fonctionnement du cerveau pour effectuer des tâches informatiques n'est pas nouveau. En créant des réseaux neuronaux artificiels, des programmes peuvent travailler en traitant les données en parallèle à la manière du cerveaucerveau humain. Mais ce type d'opérations nécessite une puissance de calcul colossale. Pour preuve, l'année dernière, une simulation de l'équivalent d'une seconde d'activité neuronale a mobilisé pendant 40 minutes les 83.000 processeurs (ou CPU) du supercalculateur K de Fujitsu.

    L'autre piste pour exploiter des réseaux neuronaux artificiels consiste à développer des puces dites neuromorphiques, qui recréent physiquement un réseau de neuronesneurones impulsionnels. L'an passé, Qualcomm a présenté une telle puce cognitive nommée Zeroth qui, espère le constructeur, sera intégrée d'ici un an à ses futures plateformes SoC (system on a chip, ou système sur une pucesystème sur une puce) Snapdragon pour smartphones. La performance de ce type de puces électroniques repose sur les algorithmes employés pour faire fonctionner le réseau neuronal. Et c'est précisément dans ce domaine qu'une équipe réunissant des chercheurs de l'université libre de Berlin, de l'université de Heidelberg et du centre Bernstein de Berlin vient d'accomplir une avancée prometteuse.

    L’année dernière, le fabricant de processeurs ARM Qualcomm a présenté sa puce cognitive Zeroth. Ce schéma montre son intégration comme coprocesseur d’un <em>system on a chip</em> (système sur une puce, SoC) qui pourrait équiper des smartphones dans les années à venir. © Qualcomm

    L’année dernière, le fabricant de processeurs ARM Qualcomm a présenté sa puce cognitive Zeroth. Ce schéma montre son intégration comme coprocesseur d’un system on a chip (système sur une puce, SoC) qui pourrait équiper des smartphones dans les années à venir. © Qualcomm

    « En nous inspirant du système olfactif des insectesinsectes, nous avons construit un réseau neuronal impulsionnel pour faire de l'analyse multivariée, un problème commun dans l'analyse de signaux et de données », expliquent les scientifiques dans leur étude publiée dans les Pnas. Leurs travaux ont été accomplis à partir de la puce neuromorphique nommée Spikey et développée par l'université de Heidelberg. « Nous apportons la preuve de concept qu'une puce neuromorphique peut d'ores et déjà résoudre des problèmes informatiques classiques », nous confie le professeur Michael Schmuker, neuroscientifique et chercheur en informatique qui a piloté cette étude. « Nous avons aussi obtenu un aperçu des forces spécifiques de l'approche neuromorphique, à savoir le traitement massivement parallèle des données, en particulier des données hautement dimensionnelles. »

    Réseau neuronal et raisonnement en trois étapes

    Les chercheurs ont donc puisé leur inspiration dans le système olfactif des insectes en décomposant le traitement des données en trois étapes. La première : convertir des données à plusieurs variables en une série d'impulsions qui sont introduites dans la puce. Un jeu de données décrivait les feuilles de trois espècesespèces de la fleur d'irisiris, et un autre contenait des images numérisées des chiffres 5 et 7 écrits à la main. Deuxième étape, les données sont filtrées avec une technique dite d'inhibitioninhibition latérale, qui définit un modèle d'interconnexion des neurones artificiels. C'est ce modèle qui détermine la manière dont le réseau neuronal va traiter les données. Dans le cas présent, chaque neurone est sollicité différemment, et ceux qui ont l'activité la plus intensive en réponse à l'entrée qu'ils reçoivent vont inhiber les autres. Lors de la dernière étape, les données filtrées sont envoyées à un niveau final de neurones artificiels, où elles sont en quelque sorte étiquetées. Les neurones sont arrangés en autant de groupes qu'il y a d'étiquettes, et les groupes qui ont reçu les sorties les plus intensives issues de l'étape précédente suppriment l'activité des autres groupes de neurones.

    C'est à partir de ce modèle que le réseau neuronal est parvenu à reconnaître les chiffres manuscrits et à distinguer les espèces de plantes en fonction de leurs caractéristiques florales. « Ce concept fondamentalement nouveau d'informatique neuromorphique apporte des solutions à des problèmes que les ordinateurs conventionnels auraient beaucoup de mal à résoudre, affirme Michael Schmuker. Une grande partie du travail à venir dans l'informatique neuromorphique impliquera des recherches sur des problèmes de type "big data" qui ont été ignorés jusqu'ici, car ils ne pourraient pas être traités efficacement par des ordinateurs classiques. » Quant à l'arrivée d'une telle puce dans des ordinateurs, la perspective demeure encore floue. « C'est difficile à dire. Je pense que la première applicationapplication d'informatique neuromorphique se fera en tant que coprocesseurcoprocesseur d'un CPU classique. »