En 1969, des physiciens russes avaient prédit l’existence d’un état exotique baptisé « état supersolide » et dans lequel la matière se comporterait à la fois comme un solide cristallin et comme un fluide parfait. Aujourd'hui, deux équipes de chercheurs semblent avoir atteint ce graal.

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    Solide, liquide, gazeux : ce sont, nous enseigne-t-on à l'école, les trois états dans lesquels on peut trouver la matière. Toutefois, à des températures proches du zéro absolu, la physique classique est mise en difficulté. Il peut alors survenir des phénomènes étonnants. La théorie prédit ainsi que d'autres états de la matière peuvent émerger. Pour la première fois, une équipe de physiciensphysiciens du Massachusetts Institute of Technology (MIT, aux États-Unis) et une autre équipe, de l'École polytechnique de Zurich (ETH, en Suisse), sont, de manière indépendante, parvenues à atteindre expérimentalement un état supersolidesupersolide.

    De quoi s'agit-il ? En 1969, deux physiciens russes, Alexander Andreev et Ilya Liftshitz, avaient prédit un état quantique de la matière qualifié de « supersolide ». Dans un solide, les atomesatomes sont fortement liés les uns aux autres. De quoi donner au solide une forme et un volumevolume définis. Dans un liquide, les liaisons sont plus faibles. Pour un liquide, pas de forme propre donc, mais un volume bien défini tout de même. Un supersolide correspond à un cristal (un solide donc) qui présente les propriétés d'un superfluide (un liquide parfait donc).

    À plusieurs reprises depuis le début des années 2000, des équipes de chercheurs ont annoncé avoir obtenu cet état de la matière, mais les preuves manquaient encore. Pourquoi un tel engouement pour cet état ? Parce qu'il va nous permettre d'améliorer notre connaissance de la nature profonde de la matière. Toutefois, même si, cette fois, un supersolide semble effectivement avoir été créé, celui-ci reste confiné dans une chambre sous vide et dans un environnement ultra-froid.

    Pour créer un état supersolide, l’équipe du <em>Massachusetts Institute of Technology</em> a pu compter sur un jeu de lasers. © Ketterle group, <em>Massachusetts Institute of Technology</em>

    Pour créer un état supersolide, l’équipe du Massachusetts Institute of Technology a pu compter sur un jeu de lasers. © Ketterle group, Massachusetts Institute of Technology

    Un condensat de Bose-Einstein comme point de départ

    L'équipe du MIT et celle de l'ETH ont employé des techniques différentes pour arriver à leurs fins. Cependant, elles sont parties d'un même point de départ : un condensat de Bose-Einstein, c'est-à-dire un état dans lequel les atomes perdent leur individualité. Apparaissent alors des propriétés de superfluidité. « Remuez un café superfluide et celui-ci tournera pour toujours », explique Wolfgang Ketterle, professeur de physique au MIT et prix Nobel de physique en 2001 pour ses travaux sur le comportement des condensats de Bose-Einsteincondensats de Bose-Einstein.

    L'équipe dirigée par Wolfgang Ketterle a utilisé une combinaison de méthodes de refroidissement par laserlaser et de méthodes de refroidissement par évaporation pour refroidir des atomes de sodiumsodium à quelques nanokelvins. À l'aide de lasers, toujours, les physiciens ont ensuite introduit un couplage |ece99292d9e81c854d08f42209b32716|-orbiteorbite et joué sur les états quantiques des atomes pour créer un mélange de deux condensats et une modulationmodulation de densité caractéristique d'un supersolide.

    L'équipe du professeur Tilman Esslinger a quant à elle misé sur un jeu de miroirsmiroirs. Les physiciens de l'ETH ont introduit une petite quantité de rubidiumrubidium gazeux dans une chambre à vide et l'ont portée à une température de quelques milliardièmes de kelvinskelvins seulement. Ils ont ensuite placé le condensat dans un dispositif constitué de deux chambres de résonancerésonance optique croisées avant de l'illuminer à l'aide d'un laser. De quoi amener les atomes du condensat à adopter une structure cristalline tout en conservant leurs propriétés de superfluiditésuperfluidité.


    Phase supersolide : le doute persiste

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco, paru le 06/06/2007

    Imaginez un solide capable de traverser un autre solide comme si de rien n'était. De la science-fiction tout droit sortie de X-Men 3 ? C'est la question qui divise la communauté des physiciens de la matière condensée. Prédit en 1969, ce type de solide parent des superfluides a peut-être été créé et observé en 2004. Depuis, plusieurs groupes sont arrivés à reproduire le phénomène observé à ce moment-là, mais aucune conclusion définitive n'émerge encore. De nouvelles mesures, basées sur la diffusiondiffusion de neutronsneutrons dans de l'héliumhélium solide, jettent le doute sur l'apparition d'une phase supersolide dans les expériences menées jusqu'ici.

    La découverte de l'état superfluide, avec la supraconductivitésupraconductivité en 1913 par Heike Kamerlingh Onnes, a donné lieu à près de 20 prix Nobel de physique. C'est dire si ce phénomène, vraiment mis en évidence en 1938 par Pjotr Kapitsa et manifestant à l'échelle macroscopique les propriétés quantiques du monde microscopique, fascine les physiciens.

    En 1969, les théoriciens russes Alexander Andreev et Ilya Liftshitz, prédisaient que, dans un solide quantique à très basse température, les lacunes du réseau cristallinréseau cristallin obtenu pouvaient s'écouler comme un superfluide. Dans un tel solide, les atomes sont en effet si peu liés que ce phénomène foncièrement quantique devrait se manifester.

    Diagramme de phase de l'hélium. ©<em style="text-align: center;">Penn State University</em>

    Diagramme de phase de l'hélium. © Penn State University

    En 2004, des chercheurs de la Pennsylvania State University, Moses Chan et Eun-Seong Kim, rapportaient avoir bel et bien observé, en dessous de 175 millikelvins, une phase supersolide dans un solide constitué d'hélium 4. Leur emboîtant le pas, d'autres physiciens des solides réussirent à reproduire leurs résultats mais certaines anomaliesanomalies mesurées, difficilement explicables en présence d'une véritable phase supersolide, commencèrent à jeter le doute. Soit le mécanisme exact à l'origine de l'état supersolide n'est pas celui théorisé par Andreev et Liftshitz, comme certains théoriciens l'ont proposé, soit les phénomènes observés ne sont pas une véritable signature d'un état supersolide.

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    Moses Chan. © Penn State University

    Un verre superfluide ?

    Oleg Kirichek a alors entrepris d'étudier de plus près ce qui se passait dans l'hélium refroidi à une centaine de kelvins, en utilisant, avec des collègues, la source de neutrons ISI du Rutherford Appleton Laboratory, en Angleterre. Ce type de technique est d'un emploi courant pour étudier des transitions de phasestransitions de phases liées à des changements d'ordre dans les réseaux cristallins. Les résultats ne sont pas en accord avec un état supersolide reposant sur un gazgaz superfluide de lacunes atomiques comme dans la théorie de Andreev et Liftshitz.

    Le comportement de type supersolide observé par Chan et Kim reste donc inexpliqué et la perplexité des physiciens augmente. Visiblement, d'autres expériences, et probablement aussi d'autres développements théoriques, seront nécessaires avant de comprendre ce qu'il se passe. Certains parlent par exemple d'un verre superfluide. Ce n'est pas si étrange que cela car, même si le verre habituel nous semble solide, c'est en réalité un liquide.