Des photons, des effets quantiques et un état extrême de la matière. Voilà comment des chercheurs sont parvenus à générer un nouvel état de la lumière. De quoi, peut-être, faire avancer les travaux sur les systèmes de communication quantique cryptée.  


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    Un condensat de Bose-Einstein, c'est un état de la matière très particulier dans lequel tous les atomes se retrouvent dans un même état quantique. Presque comme s'ils ne formaient plus qu'un seul objet. Et c'est ce que des chercheurs de l’université de Bonn (Allemagne) ont réussi à obtenir pour la première fois en 2010 avec des photons : des milliers de particules de lumière réunies en une sorte de « super photon » unique. Dans les faits, plutôt en une onde unique.

    Pour cela, ils ont piégé des photons émis par un laser dans un résonateur constitué de deux miroirsmiroirs incurvés et espacés d'un peu plus d'un micromètremicromètre. De quoi contraindre le faisceau dans un rapide mouvementmouvement de va-et-vient. Le tout baignant dans un colorant destiné à refroidir les particules de lumière.

    Le microrésonateur optique utilisé dans leur expérience par les chercheurs de l’université de Bonn (Allemagne). En jaune, on devine le colorant qui refroidit les photons. Et à droite, un microscope pour observer la lumière émise. © Gregor Hübl, Université de Bonn
    Le microrésonateur optique utilisé dans leur expérience par les chercheurs de l’université de Bonn (Allemagne). En jaune, on devine le colorant qui refroidit les photons. Et à droite, un microscope pour observer la lumière émise. © Gregor Hübl, Université de Bonn

    Vers des systèmes de communication quantique cryptée

    Fascinés par les propriétés physiques de cet objet, les physiciensphysiciens l'ont étudié dans le détail. Aujourd'hui, ils rapportent, dans ce condensat de Bose-EinsteinEinstein, une transition de phasetransition de phase jusqu'alors inconnue. En une phase dite de suramortissement qui pourrait intéresser notamment ceux qui travaillent à élaborer des systèmes de communication quantique cryptée.

    Cette transition serait le résultat de miroirs légèrement translucidestranslucides à l'origine d'une part d'une perte et d'un remplacement des photons d'autre part. Une manière de créer un déséquilibre dans ce système qui n'arrive pas à maintenir sa température et à le pousser à entrer en oscillation -- en d'autres mots, presque à clignoter. Jusqu'à une transition entre cette phase d'oscillation et une phase suramortie dans laquelle l'amplitude de l'oscillation diminue -- et la luminositéluminosité avec elle.


    Exploit : un condensat de Bose-Einstein fait de lumière

    Les photons ont permis la découverte de la statistique de Bose-Einstein, utilisée pour comprendre la superfluiditésuperfluidité et la supraconductivitésupraconductivité. Appliquée à des atomes, cette statistique prévoyait la fameuse condensation de Bose-Einsteincondensation de Bose-Einstein des atomes ultrafroids, observée en 1995. Pour la première fois, on a obtenu cette condensation avec des photons. De quoi, peut-être, imaginer de nouvelles familles de cellules solaires voire des cousins du laser... 

    Article de Laurent SaccoLaurent Sacco paru le 29/11/2010

    Une photo de Satyandra Nath Bose vers 1925. © Domaine publique-wikipedia
    Une photo de Satyandra Nath Bose vers 1925. © Domaine publique-wikipedia

    En 1924, Albert Einstein reçoit une lettre dans laquelle se trouve la première description quantique exacte d'un gazgaz de photons. Dans cette lettre, se trouvait un article d'un jeune Indien, Satyendra Nath Bose, dont la publication avait été refusée par plusieurs journaux scientifiques. Père du concept de quanta de lumière et très au fait des problèmes de la jeune théorie quantique, Albert Einstein comprend immédiatement l'importance de la découverte du jeune physicien. Il traduit alors l'article et en obtient rapidement la publication.

    Aujourd'hui, tous les étudiants en physiquephysique savent ce qu'est un bosonboson, une particule décrite par la statistique de Bose-Einstein. Bien que découverte en liaison avec les photons d'Einstein, cette statistique s'applique en fait à plusieurs particules (et même aux atomes), pourvu qu'elles possèdent un moment cinétiquemoment cinétique (un spinspin), multiple entier de la constante de Planckconstante de Planck.

    Les premiers condensats de Bose-Einstein

    Bien conscient de la généralité de la dualité onde-corpusculedualité onde-corpuscule, Einstein (qui a fait connaître la théorie de Louis de BroglieLouis de Broglie sur les ondes de matière) avait déjà considéré l'applicationapplication de la nouvelle statistique à un gaz d'atomes idéal constitués de particules de Bose. Il en résultait qu'il devait se produire à très basse température une sorte de condensation dans laquelle tous les atomes se rassemblaient dans un même état quantique, comme s'ils ne formaient qu'un seul objet.

    Cet état de condensation, avec une transition de phase, se manifeste sous la forme de la superfluidité et de la supraconductivité. Toutefois, l'application directe de la théorie d'Einstein ne peut pas vraiment être faite dans ces cas-là, car on n'est pas confronté à des particules sans interactions ou faiblement couplées. Ce n'est qu'en 1995 que de véritables condensats de Bose-Einstein (BEC pour Bose-Einstein Condensate en anglais) ont été obtenus avec des atomes de rubidiumrubidium ultrafroids par Eric Cornell et Carl Wieman. Des BEC ont également été produits avec des atomes de sodiumsodium par Wolfgang Ketterle (récemment, c'est avec du calcium qu'on a obtenu un BEC). Les trois chercheurs recevront le prix Nobel de physique en 2001 pour ce travail.

    Paradoxalement, la formation d'un BEC avec des photons est plus difficile à obtenir, elle semblait même quasiment impossible jusqu'à une publication dans Nature d'un article annonçant qu'un groupe de chercheurs de l'université de Bonn était bel et bien arrivé à cet exploit.

    Une microcavité optique en 2D

    Il est très facile de créer et de détruire des photons lors d'une expérience et le simple fait que le nombre de photons ne soit pas constant empêche un BEC de se former. Pour contourner cet obstacle, les chercheurs ont utilisé deux petits miroirs concavesconcaves séparés par 1,5 µm au maximum. La microcavité optique ainsi réalisée est vue par des photons rebondissant presque sans être absorbés par les surfaces des miroirs, comme s'ils vivaient dans un monde à deux dimensions. Remarquablement, les grains de lumière se comportent alors aussi comme s'ils possédaient une massemasse 10 milliards de fois plus petite que celle d'un atome de rubidium. On se retrouve dans une situation ressemblant à celle des expériences à très basses températures avec des atomes ultrafroids formant des BEC.

    Ces photons ne sont pas à la même température et ils n'interagissent pas entre eux. Mais il suffit d'injecter des moléculesmolécules de colorants dans la microcavité pour qu'ils échangent entre eux de la chaleurchaleur, par l'intermédiaire de multiples absorptionsabsorptions et émissionsémissions avec les molécules de colorant. Ils se refroidissent donc et tendent vers l'équilibre thermique.

    Les photons pompés dans la cavité à l'aide d'un faisceau laser finissent par former un condensat de Bose-Einstein à température ambiante lors d'une transition quantique. On observe alors au centre de la microcavité une zone de lumière jaune intense, environnée par un gaz de photons plus diffusdiffus qui ne se sont pas condensés. Une étude du spectrespectre de cette lumière confirme que l'on est bien en présence d'un BEC.

    Pour Martin Weitz, l'un des auteurs de l'article de Nature, ce simple dispositif pourrait fonctionner, si l'on s'y prend bien, avec de la lumière issue du SoleilSoleil. Cela ouvrirait la porteporte à la réalisation de cellules solaires plus petites et même à des sources de lumière cohérente ne reposant pas sur l'effet laser.