Ces lettres, datant du XVIIIe siècle et envoyées aux marins français, avaient été interceptées et confisquées par les Britanniques durant la guerre de Sept Ans. Jamais ouvertes, entreposées dans les archives britanniques, elles sombraient dans l'oubli, jusqu'à ce qu'un historien les extrait de leur profond sommeil. Ce que ces échanges épistolaires d'un autre temps dévoilent est tout simplement l'universalité et l'intemporalité des sentiments ainsi que la profondeur et l'intimité des liens familiaux.


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    Elles n'étaient jamais parvenues à leurs destinataires : des lettres écrites au XVIIIe siècle à des marins français durant la guerre de Sept Ans entre la France et la Grande-Bretagne ont finalement été ouvertes, livrant des témoignages à la fois intimes et historiques. Une lettre de l'épouse d'un officier, une autre d'une mère reprochant à son fils de ne pas lui écrire plus souvent... Ces courriers avaient été saisis par la Royal Navy durant la guerre qui a notamment opposé Britanniques et Français entre 1756 et 1763 autour de leurs possessions coloniales.

    « Je passerais fort bien la nuit à t'écrire (...), ta fidèle femme pour la vie. Bonsoir mon cher ami. Il est minuit. Je pense qu'il est temps de me reposer », écrit par exemple en 1758 Marie Dubosc à son époux Louis Chambrelan, premier-lieutenant de la frégate française Galatée, capturée par les Britanniques. Louis n'a jamais reçu la lettre de son épouse, qui meurt l'année suivante, probablement avant qu'il ne soit libéré.

    Dans un autre courrier daté du 27 janvier 1758, Marguerite Lemoyne, la mère du matelot Nicolas Quesnel, originaire de Normandie, regrette de ne pas recevoir plus de nouvelles de son fils. « Je pense plus à toi, que toi à moi (...) enfin, je te souhaite une heureuse année remplie des bénédictions du seigneur », lui dit-elle dans une lettre sans doute dictée à un tiers. Mais le Galatée, parti de Bordeaux pour le Québec, a été capturé dans l'Atlantique et emmené à Plymouth, sur la côte sud de l'Angleterre, puis enfin à Portsmouth. Les lettres ont suivi le bateau de port en port jusqu'à sa capture, avant d'arriver aussi en Angleterre. 

    Ces lettres d'amour ne sont jamais arrivées à leur destinataire et elles n'avaient jamais été lues depuis trois siècles. © Euronews

    L'expression de liens familiaux profonds et de sentiments universels

    D'abord considérés comme des documents d'intérêt militaire, ces 104 courriers sont finalement transférés aux archives nationales britanniques, où ils sont oubliés dans un carton, jusqu'à ce qu'ils attirent l'attention de Renaud Morieux, professeur d'histoire à l'université de Cambridge. « J'ai simplement demandé à consulter ce carton par curiosité, raconte le chercheur, dont les conclusions sont publiées mardi dans la revue Les Annales. Histoire, Sciences sociales. J'ai réalisé que j'étais la première personne à lire ces messages très personnels », regroupés en trois piles et tenus ensemble par des rubans. 

    « Leurs destinataires n'ont pas eu cette chance et c'était très émouvant », dit-il, ajoutant que ces lettres contiennent « des expériences humaines universelles ». Écrites en majorité par des femmes, elles témoignent notamment de l'expérience de ces épouses, mères, fiancées en temps de guerre, contraintes de tenir seules le foyer et de prendre des décisions en l'absence des hommes.

    Renaud Morieux a identifié chacun des 181 membres de la frégate Galatée, dont un quart avaient été destinataires de ces lettres, et a également mené des recherches généalogiques sur les marins et les auteurs des lettres. En 1758, un tiers des quelques 60 000 marins français, ont été emprisonnés en Grande-Bretagne. Et sur toute la période de la guerre de Sept Ans, gagnée par l'alliance menée par la Grande-Bretagne et la Prusse, 65 000 ont été détenus par les Britanniques. Certains sont morts de maladie et de malnutrition, tandis que d'autres ont été finalement libérés.

    Durant cette période, les lettres étaient le seul moyen pour leurs familles d'essayer de les contacter. « Aujourd'hui, nous avons Zoom ou WhatsAppWhatsApp. Au XVIIIe siècle, les gens n'avaient que les lettres, mais ce qu'ils écrivaient résonne aujourd'hui de manière très familière », estime le chercheur.