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Le prix Nobel 2011 de physique, Saul Perlmutter, nous éclaire sur l'énergie noire. © Roy Kaltschmidt, LBNL
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La découverte de l'énergie noire, ou serait-il plus juste de dire, de l'accélération de l'expansion de l'univers, a été annoncée comme une bombe à la fin du dernier millénaire. Pourtant, certains théoriciens soupçonnaient déjà depuis un certain temps qu'il fallait réintroduire en cosmologie la fameuse constante d'EinsteinEinstein, pouvant causer une telle accélération de l'expansion. Cela permettait de résoudre des conflits entre l'âge de l'univers, déduit à partir de la mesure de la constante de Hubble, et celui indiqué par les plus vieilles étoiles. Une telle constante cosmologiqueconstante cosmologique autorisait aussi à donner à l'univers une valeur du paramètre oméga total, central en cosmologie relativiste, très proche, si ce n'est identique, à 1, exactement comme le prédisaient la majorité des modèles inflationnaires.
À l'heure où le LHC n'a toujours pas donné de signes d'une nouvelle physiquephysique, la cosmologie semble de plus en plus être la seule fenêtrefenêtre d'observation qui reste à l'humanité pour tenter d'aller au-delà du modèle standardmodèle standard des interactions, par exemple en trouvant des signatures de la gravitation quantiquegravitation quantique.
L'étude de l'énergie noire est donc plus que jamais d'une grande importance. Futura-Sciences a demandé à l'un des découvreurs de l'accélération de l’expansion de l’univers, Saul Perlmutter, ce qu'il pensait de la nature de cette énergie noire et de nous parler des moyens dont nous disposons pour tenter d'en percer les secrets dans les prochaines décennies.
La supernova SN 1994d dans la galaxie NGC 4526. © Nasa/Esa, The Hubble Key Project Team,The High-Z Supernova Search Team
Pour mieux comprendre ses réponses, rappelons qu'initialement, la découverte de cette expansion accélérée s'est faite en étudiant des supernovaesupernovae de classe SNSN Ia. On pense que ces explosions d'étoiles produisent une luminositéluminosité qui varie peu. Connaissant une assez bonne valeur de leur luminosité intrinsèque, on peut en déduire la distance à laquelle l'explosion a eu lieu (la luminosité apparente sera d'autant plus faible que la supernova s'est produite loin de la Voie lactée)).
Des indicateurs de distances pour la cosmologie
Plus la lumièrelumière a voyagé longtemps dans un univers en expansion, plus son décalage spectral vers le rouge (du fait de la dilatationdilatation de l'espace à l'échelle des amas de galaxiesamas de galaxies) sera important. On peut ainsi dater une supernova. Ces dates et ces distances permettent de calculer une vitessevitesse d'expansion et son changement avec le temps.
Plus on dispose de supernovae, avec des mesures précises de leurs caractéristiques (luminosité, décalage spectral, courbe de lumière...), à diverses distances dans l'univers observable, mieux on peut tracer une courbe précise et étendue de l'évolution de l'expansion de l'univers.
La luminosité apparente d'une supernova SN Ia donne une mesure de sa distance et son décalage spectral (redshift en anglais) fournit un âge. On peut alors tracer une courbe comme celle-ci à partir des observations (cercles jaunes) de supernovae dans les galaxies (il s'en produit en moyenne une SN Ia par millénaire environ dans chaque galaxie). Diverses courbes correspondent à divers univers de forme et de composition variées. © Hawaï University
Une autre façon de mesurer les variations de la vitesse d'expansion consiste à trouver un étalon de longueur et à voir comment celui-ci apparaît à diverses distances dans l'univers.
Les oscillations acoustiques des baryonsbaryons (BAO pour baryon acoustic oscillations en anglais) dans l'univers primitif fournissent un tel étalon. Ces ondes sphériques de densité se sont propagées dans le plasma primitif avant de se figer au moment où le rayonnement fossile a été émis.
On peut calculer la taille des bulles formées par ces oscillations qui ont donné des sphères de plus fortes densités. On peut également voir ces sphères dans le rayonnement fossilerayonnement fossile et dans la façon dont les galaxies se sont rassemblées pour former des amas en tombant dans les zones de surdensité de matièrematière. Là aussi, la mesure de la taille apparente de cet étalon de longueur donne une distance et le décalage spectral associé une date.
Voyons donc maintenant ce que Saul Perlmutter nous a confié sur ces sujets...
Le prix Nobel Saul Perlmutter devant une photo de la célèbre supernova de 1987. © Lawrence Berkeley National Lab
Futura-Sciences : Que pense-t-on aujourd'hui de la nature de l'énergie noire ?
Saul Perlmutter : La communauté scientifique est actuellement ouverte à un grand nombre d'explications. Les théoriciens ont fait un excellent travail en explorant tout un paysage de théories possibles. Depuis près de douze ans il est publié presque un article par jour sur ce sujet par des théoriciens. C'est vraiment remarquable !
Ces articles ne sont pas tous très différents, bien sûr, mais il y a un large spectrespectre de théories que les gens proposent. Je ne pense pas qu'aucun des théoriciens dirait qu'il existe une réponse certaine à la question de la nature de l'énergie noire, on est juste en train d'étendre ce spectre d'explications possibles.
Ce pourrait être une constante cosmologique comme celle qu'Einstein avait incluse dans ses équationséquations. Il s'agirait alors peut-être d'une manifestation de la fameuse énergie du point zéropoint zéro des champs quantiques de particules.
Ce pourrait être un champ scalaire comme ceux dont l'existence a été supposée dans les premiers instants de l'existence de l'univers observable, en particulier dans le cadre de l'inflation.
On pourrait aussi devoir considérer des modifications de la théorie de la relativité générale. Une des possibilités les plus exotiquesexotiques serait que l'énergie noire soit une manifestation de l'existence de dimensions spatiales supplémentaires. La gravitation pourrait y être « diluée » NDLRNDLR : on peut citer l'exemple dans ce cas de la théorie DGP qui est un modèle de la gravitégravité, proposé par Gia Dvali, Grégoire Gabadadze et Massimo Porrati en 2000 traitant notre univers comme une membrane flottant dans un espace plat à 4 dimensions spatiales].
Il y a donc vraiment beaucoup de directions de recherches possibles. Très probablement, on peut deviner qu'une nouvelle observation guidera les théoriciens dans une direction bien précise mais on ne peut jamais savoir. Peut-être un de ces théoriciens aura-t-il la bonne idée qui expliquera simultanément plusieurs observations déjà disponibles. Pour le moment, on n'en est pas là...
Quels sont les outils expérimentaux et observationnels dont nous disposons pour tenter de départager ces différentes interprétations théoriques de la nature de l'énergie noire ?
Deux autres techniques ont été significativement améliorées au cours de ces douze dernières années. La première est celle reposant sur la mesure des oscillations acoustiques des baryons (BAO pour baryon acoustic oscillations en anglais).
L'autre technique repose sur la mesure de l'effet de lentille gravitationnellelentille gravitationnelle faible produisant une distorsion des images des galaxies du fait du champ de gravitation de la matière qui s'interpose entre elles et nous [NDLR : cet effet est aussi utilisé pour étudier la matière noire].
Cet effet nous permet d'avoir accès à la façon dont la matière se concentre en amas de galaxies dans l'univers et, bien sûr, c'est d'autant moins facile que son expansion s'accélère. Non seulement cette technique est sensible à l'histoire de l'expansion de l'univers mais elle est aussi sensible aux modifications possibles de la théorie de la gravitation d'Einstein aux grandes échelles [NDLR : l'exemple le plus connu est celui des théories f(R)].
Nous pensons qu'en utilisant simultanément ces trois techniques nous pourrions obtenir des résultats intéressants. Nous avons donc des programmes en cours de développement dans ce sens avec par exemple, au sol, pour l'étude des BAO, le projet Bigboss et dans l'espace un projet de l'Esa, la mission Euclid, qui étudiera tout à la fois les BAO et les effets de lentille gravitationnelle faibles.
Un autre projet au sol est celui du Large Synoptic Survey TelescopeLarge Synoptic Survey Telescope (LSST) qui, lui, combinera les trois techniques d'observations : celles des supernovae, des BAO et de l'effet de lentille gravitationnelle faible. Tous ces projets sont conduits avec des participations d'équipes en Europe.