Une étude avance une hypothèse osée pour expliquer les dessins parfois étranges des peintures pariétales enfouies au fond des grottes : les Hommes du Paléolithique les auraient dessinées dans un état second. Et cela, sans aucune substance hallucinogène ! Explications.


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    Il est de notoriété publique que de nombreux artistes ont réalisé leurs œuvres majeures sous l'emprise de la droguedrogue. Van Gogh se saoulait à l'absinthe, Charles Baudelaire s'adonnait au haschisch et à l'opium tandis que Francis Picabia réalisa ses tableaux psychédéliques lors d'hallucinationshallucinations dues aux opiacées. Sans compter le LSD qui faisait fureur dans les années 1950 dans le milieu artistique.

    La pratique remonte pourtant à beaucoup plus loin. Et même aux Hommes préhistoriques si l'on en croit Yafit Kedar, chercheuse à l'université de Tel Aviv et auteure d'une étude publiée le 31 mars dans la revue Time and Mind : The Journal of Archaeology, Consciousness and Culture. Selon son hypothèse, les humains ayant peint les images dans les grottes au Paléolithique supérieur (entre 50.000 et 12.000 ans) n'étaient pas dans leur état normal lors de leur création en raison... du manque d'oxygène. Pour s'aventurer au plus profond des grottes, ils auraient dû s'éclairer avec des torches qui, en consumant l'oxygène, auraient induit un état d'hypoxie dans le cerveaucerveau. Or, l'hypoxiehypoxie augmente la production de dopaminedopamine, ce qui aurait plongé les peintres rupestres « dans un état de conscience altérée, éprouvant de l'euphorieeuphorie, des expériences hors du corps et peut-être même des hallucinations », écrit Yafit Kedar avec ses coauteurs. Ces expériences les auraient aidés à « exploiter des niveaux de créativité plus profonds » et à « entrer en relation avec le cosmoscosmos ».

    Les dessins représentent souvent des motifs répétitifs, qui relèvent plus de l’art symbolique qu'ils ne sont représentatifs, comme ici à Lascaux. © Jim Forest, Flickr
    Les dessins représentent souvent des motifs répétitifs, qui relèvent plus de l’art symbolique qu'ils ne sont représentatifs, comme ici à Lascaux. © Jim Forest, Flickr

    Un accès à des « expériences spirituelles »

    À la base de cette hypothèse pour le moins audacieuse se situe la question de la configuration de la grotte. Lors de visites dans des grottes européennes, Yafit Kedar a été frappée par des peintures dessinées dans des endroits quasi inaccessibles. « Pourquoi [ces hommes] sont-ils allés dans l'obscurité, dans un tel isolement, jusqu'à un kilomètre à l'intérieur ? Ces grottes sont effrayantes, avec des passages étroits », raconte-t-elle dans une interview au journal israélien Haaretz. Ils se seraient alors rendu compte que, dans ces endroits mal ventilés, ils ressentaient un état second qui produisait des hallucinations et les aidait à avoir accès à des « expériences spirituelles ». « Cela pourrait expliquer en partie la raison pour laquelle les Hommes préhistoriques peignaient des dessins là où personne ne peut les voir naturellement », poursuit Yafit Kedar.

    Le tableau des chevaux, dans la grotte Chauvet, est une succession de 21 figures de chevaux, aurochs et rhinocéros. © Claude Valette, Flickr
    Le tableau des chevaux, dans la grotte Chauvet, est une succession de 21 figures de chevaux, aurochs et rhinocéros. © Claude Valette, Flickr

    Pour étayer son hypothèse, Kedar et ses collègues ont simulé par ordinateurordinateur l'effet des torches sur les concentrations d'oxygène dans des espaces clos tels que ceux des grottes du Paléolithique, et ont constaté que les niveaux d'oxygène dans les couloirs et passages étroits diminuaient rapidement à moins de 18 %, le seuil connu pour induire l'hypoxie chez l'Homme. Ceci pourrait expliquer certains dessins étranges, dont l'inspiration semble être plus symbolique que figurative. « On voit couramment des répétitions de motifs dans l’art rupestre, qui sont révélatrices d'une intention communicative plutôt que purement décorative », confirme dans le journal Haaretz David Whitley, un expert en ethnographie et en art rupestre, qui n'a pas participé à l'étude. Le panneau des chevaux, dans la grotte Chauvet en France, en est un bon exemple avec sa succession de 21 figures.

    Communiquer avec « l’esprit de la grotte »

    Bien entendu, les premiers humains n'avaient aucune idée de l'explication scientifique derrière tout cela. Plutôt que leur propre condition, ils auraient attribué leur état second à la nature de la grotte elle-même. « L'idée est qu'ils sont entrés [ndlr : dans les entrailles des grottes] parce qu'ils croyaient qu'il y avait quelque chose, comme des esprits dans les mursmurs, avance Yafit Kedar. C'est pourquoi ils se sont aventurés aussi loin dans la grotte ».

    L'article cite d'ailleurs d'autres exemples de civilisations qui attribuent aux grottes des pouvoirs magiques. Les Mésopotamiens pensaient ainsi que, lors de la mort, l'âme quitte le corps et descend vers un monde souterrain à travers les fissures du sol. Les Cherokees percevaient également les grottes et les crevasses comme des portails vers un autre monde, expliquent les auteurs dans Haaretz.

    Cette hypothèse ne tient évidemment pas pour les grottes bien ventilées avec une large ouverture. On ne saurait aussi trop vous déconseiller de reproduire la grotte de Lascaux dans votre cave mal aérée. Vous risquez tout bonnement l'évanouissement plutôt que l'œuvre d'art.

     

    Grotte Chauvet : l'art pariétal dans toute sa splendeur

    Rhinocéros à grande corne de la grotte ChauvetŒuvre pariétale représentant des chevaux, des aurochs et des rhinocérosReprésentation paléolithique de chevaux et d'un couple de félinsLe panneau des chevaux de la grotte ChauvetDessin pariétal de cerf mégacérosOssements d'ours dans la Salle Hillaire de la grotte ChauvetGravure de cheval dans la Salle Hillaire de la grotte ChauvetPeintures rouges de la grotte ChauvetRéplique de la grotte Chauvet en préparationAlain Dalis, en charge de la reproduction de la grotte ChauvetPréparation de la réplique de la grotte ChauvetLe préhistorien Gilles Tosello étudie la réplique de la grotte ChauvetPréparation du panneau pariétal des chevauxPanneau de la Salle du Fond de la grotte Chauvet
    Rhinocéros à grande corne de la grotte Chauvet

    Rhinocéros à grande corne, dessiné sur un des mursmurs de la grotte Chauvet, Ardèche, France.

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