À travers les siècles, le cinabre a été exploité par les civilisations anciennes pour la qualité de son pigment. Mais ce minéral de couleur rouge permet d'extraire une substance hautement toxique : le mercure. Sur un site archéologique du sud de l'Espagne, des dizaines de femmes ayant vécu durant l'âge de bronze ont inhalé ou absorbé une quantité ahurissante de mercure, provoquant des hallucinations et d'autres effets corporels indésirables...


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    L'utilisation de substances hallucinogènes est une pratique bien plus ancienne que ce que l'on pourrait imaginer. Dans l'Espagne préhistorique, des groupes de femmes appartenant à une communauté sédentaire auraient eu recours à une substance particulière lors de communions rituelles. Dans un article publié le 5 mars, le site du Smithsonian revient sur une étude menée sur des ossements vieux de 5 000 ans retrouvés dans le sud de la péninsule ibérique. En inhalant la poudre d'un minéral, le cinabre, les femmes entraient dans une transe hallucinée ayant produit un véritable empoisonnement sur le long terme.

    Communier avec les dieux grâce... au mercure

    C'est sur le site de Valencina, à proximité de Séville, que les archéologues ont fait leur étrange découverte. Un groupe de chercheurs se penche sur l'analyse de 170 échantillons, prélevés sur 70 êtres humains et 22 animaux exhumés sur ce lieu datant de l’âge de bronze. Détaillant leurs découvertes dans le Journal of Archaeological Method and Theory, les universitaires expliquent que les individus étudiés présentent un taux anormalement élevé de mercure dans leurs tissus. Une proportion si grande qu'elle pourrait s'avérer mortelle.

    Fragment de cinabre, reconnaissable à sa teinte rouge, extrait en Espagne. © CC by-sa 4.0, Lamiot, Wikimedia Commons
    Fragment de cinabre, reconnaissable à sa teinte rouge, extrait en Espagne. © CC by-sa 4.0, Lamiot, Wikimedia Commons

    Autre détail pourtant capital, les individus les plus contaminés étaient enterrés dans des tombes marquées comme appartenant à des élites locales, entre 2900 et 2650 avant J.-C. Mais pourquoi ces corps avaient-ils subi un tel niveau de contaminationcontamination ? L'étude indique que la « toxicologietoxicologie du mercure est complexe à établir », mais elle provient notamment de l'exploitation du cinabre. Ce minéral rouge est utilisé depuis au moins le Néolithique, tant pour le pigment qu’il offre, que pour ses caractéristiques esthétiques et bien évidemment le mercure qu'il contient. En broyant le cinabre, la poudre recèle du mercure natif, qui aurait été ingéré accidentellement. Pour les chercheurs, la thèse d'une utilisation volontaire est aussi une piste à explorer. Sans avoir connaissance de la toxicité de la substance, les femmes de la communauté auraient pu ingérer le mercure sciemment pour profiter des effets hallucinogènes, à des fins possiblement rituelles. Une hypothèse corrélée avec la documentation actuellement disponible sur l'utilisation du mercure chez les civilisations anciennes.

    Outre la dépouille et les pigments rouges sur la photo, on observe que l'individu était probablement haut placé dans la société : plusieurs artefacts dont des objets en ivoire l'accompagnent dans la tombe. © José Peinado Cucarella
    Outre la dépouille et les pigments rouges sur la photo, on observe que l'individu était probablement haut placé dans la société : plusieurs artefacts dont des objets en ivoire l'accompagnent dans la tombe. © José Peinado Cucarella

    Une médecine magique aux effets dévastateurs

    De la Chine ancestrale à l'Égypte des pharaons, le mercure a été utilisé sur plusieurs continents. Souvent comme pigment, donc, mais aussi comme un moyen de chasser les mauvais esprits en raison de ses propriétés mystiques. Chez les médecins grecs, le mercure était utilisé pour soigner certains maux. Difficile de déterminer l'effet immédiat sur les patients absorbant la substance, mais les archéologues ont néanmoins réussi à déterminer que les quantités ingérées par les individus retrouvés en Espagne ont infligé d'importants dommages corporels. L'étude évoque notamment des plaques irritantes sur l'épiderme, une perte des cheveux, des convulsionsconvulsions et d'autres symptômes bien peu enviables... Autant d'éléments qui surprennent quant à la présence durable du mercure et de son exploitation à travers le monde, il y a déjà plusieurs millénaires.