Le Cnes réfléchit déjà à l’après 2040 et au lanceur qui sera mis en service dans un contexte de l’utilisation de l’espace très différent de ce qu'il est aujourd’hui. L’orbite basse devrait devenir un enjeu économique et géopolitique majeur, convoitée aujourd’hui par l'émergence de nouveaux usages scientifiques, commerciaux et institutionnels. Ce futur lanceur marquera une véritable rupture technologique et capable de fréquents allers-retours en orbite basse. Les explications de Nathalie Girard, chef de projet Concepts avancés au Cnes.


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    Alors que le développement d’Ariane 6 touche à sa fin avec un vol inaugural prévu dans le courant de l'année 2022, le Cnes a d'ores et déjà entamé des études pour faire évoluer ce lanceur vers 2030. L'équipe lanceur du Cnes réfléchit également au lanceur d'après-demain, à l'horizon 2040. Provisoirement baptisé Ariane Ultimate, ce lanceur devrait marquer une « véritable rupture technologique sur la propulsion, et par ricochet sur l'architecture des lanceurs », nous explique Nathalie Girard, chef de projet concepts avancés au Cnes.

    Si les évolutions futures d’Ariane 6, que prépare ArianeWorks, ont pour but de réduire les coûts de l'accès à l'espace d'au moins 50 % et introduire différentes technologies liées à la réutilisation, avec Ariane Ultimate, le Cnes « fait le pari d'une rupture technologie très significative, que ce soit en termes de conception du lanceur, de scénario des missions de lancement et de neutralité carboneneutralité carbone ». En effet, et la démarche est à souligner, le Cnes s'engage à « concevoir ce lanceur avec un objectif d'une réduction maximale des impacts environnementaux ».  Ce lanceur « éco-conçu » a donc pour but de réduire son impact sur l'environnement à « tous les moments du cycle de sa vie ». La réutilisation totale et la réduction de la masse des structures « sont un des leviers pour y parvenir ».

    Ariane Ultimate représentera une rupture par rapport aux précédentes générations de lanceurs. Il s’agit de trouver les idées et technologies pour répondre à ces objectifs et à ces usages futurs

    « Ariane Ultimate représentera une rupture par rapport aux précédentes générations de lanceurs. Il s'agit de trouver les idées et technologies pour répondre à ces objectifs et à ces usages futurs », commente Nathalie Girard. Ariane Ultimate intègre enfin des réflexions sur l'avionique et les logicielslogiciels qui pourront bénéficier des avancées technologiques qui se profilent, comme les processeurs many cores ou l'ordinateur quantique dont la puissance de calcul inédite sera très utile dans le développement du lanceur, notamment pour « résoudre les problèmes d'optimisation, trouver les meilleures combinaisons possibles d'architecture du lanceur et le calcul des trajectoires de retour d'orbite et d'atterrissage ».

    Un lanceur cantonné à l’orbite basse et au LEO Hub

    Ce futur lanceur doit anticiper le développement économique de l'orbite basse et des nouveaux usages qui commencent à émerger. Une situation nouvelle qui pousse le Cnes à se projeter sur ses « nouveaux usages de l'espace dans les prochaines décennies tels qu'on peut les imaginer à cet horizon : par exemple, la nécessité de fortes cadences pour rejoindre les orbites basses qui pourront servir de hubshubs d'échange vers les orbites plus hautes, la Lune ou vers Mars ». 

    Pour répondre à ces besoins identifiés, parmi les premières pistes explorées, « l'hypothèse d'une réutilisation totale et un lanceur mono-étage (single stage to orbit, SSTO) sont celles qui ont notre préférence aujourd'hui ». Moins cher, plus simple, plus performant et plus facile à récupérer, « ce type de lanceur à un seul étage serait un peu le graal ! ». Par rapport à un lanceur traditionnel, qu'il soit consommable ou partiellement réutilisable, « un lanceur mono-étage est plus facile à utiliser. On gagne en fiabilité, en performance et en coût d'utilisation forcément réduit par rapport à un lanceur traditionnel, que la réutilisation accentue ». Les opérations de lancement, de récupération et de remise en état, sont également simplifiées, ce qui participe à « proposer un système de lancement à coût de lancement marginal, quasi nul ». Ce concept  de lanceur mono-étage est d'autant plus attrayant, que « le Cnes n'a pas identifié de points bloquants majeurs ».

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    Cependant, un lanceur mono-étage n'est pas envisageable actuellement, notamment parce que « les matériaux que nous utilisons ne nous permettent pas de diminuer assez la masse structurelle du lanceur » et que la performance des « moteurs n'est pas suffisante pour accéder à l'orbite basse avec un SSTO » .

    Pour alléger les structures, les premières recherches s'orientent donc vers le développement de nouveaux matériaux plus légers et extrêmement résistants comme les « nanotubes de carbonenanotubes de carbone, le graphènegraphène, ou des matériaux architecturés rendus possibles par la fabrication additive ». Cette technique, très prometteuse, permet de « fabriquer des matériaux avec des structures particulières et donc potentiellement très légers et résistants ».

    Concept de lanceur mono-étage à l'étude au Cnes. L'Ariane du futur devra alléger sa structure : les premières recherches s’orientent vers le développement de nouveaux matériaux plus légers et résistants. En outre, elle sera conçue<i> </i>avec un objectif de réduction maximale de ses impacts environnementaux. © Cnes
    Concept de lanceur mono-étage à l'étude au Cnes. L'Ariane du futur devra alléger sa structure : les premières recherches s’orientent vers le développement de nouveaux matériaux plus légers et résistants. En outre, elle sera conçue avec un objectif de réduction maximale de ses impacts environnementaux. © Cnes

    De nouveaux ergols qui n'existent pas à l'état naturel 

    L'autre voie de recherche concerne la propulsion « avec de nouveaux ergolsergols à haute densité énergétique qui permettraient de réduire drastiquement la masse et le coût sur le lanceur ». Le Cnes vise de nouveaux ergols polyazotés à haute énergieénergie qui sont des « moléculesmolécules constituées d'atomesatomes d'azoteazote que l'on assemble d'une façon particulière qui n'existe pas dans la nature ». Le principal intérêt de ces molécules est que l'on n'a « pas besoin d'ajouter un oxydant pour obtenir un gazgaz fortement énergétique, comme c'est le cas aujourd'hui ». Cela se traduit par un gain pour la masse et simplifie la structure du lanceur car un seul réservoir est nécessaire. Ces ergols ont aussi comme autre intérêt qu'ils sont « stockables à température et pressionpression ambiante », contrairement aux ergols d'Ariane 5Ariane 5 & 6 qui sont stockés et utilisés à l'état liquideétat liquide à des températures très négatives (hydrogènehydrogène à - 250 °C et oxygèneoxygène à - 180 °C.). Les études montrent que cela marche et tout l'enjeu aujourd'hui est de « les synthétiser en laboratoire puis de les fabriquer ».

    Les études montrent que cela marche et tout l’enjeu aujourd’hui est de « les synthétiser en laboratoire puis de les fabriquer »

    Ce futur lanceur sera très différent dans son utilisation par rapport aux lanceurs actuels. Il sera conçu pour « faire des allers-retours fréquents en orbite basse rendus nécessaires par cette nouvelle économie du LEOLEO Hub ». Cette stratégie permet d'avoir les « scénarios de missions les plus simples possibles car Ariane Ultimate se cantonnera aux orbites les moins énergétiques ». Lors du retour sur Terre, les contraintes  thermiques sont moins fortes de sorte que cela permet « d'avoir un lanceur plus facilement récupérable et une remise en état limitée car le lanceur est moins sollicité lors de la phase de rentrée atmosphérique ».

    Autre objectif : la diminution du coût de l’accès à l’espace 

    Pour amener les satellites sur des orbites plus hautes ou à destination d'autres endroits du Système solaireSystème solaire, l'idée est que les « charges utiles déposées sur orbite basse par Ariane Ultimate soient prises en charge par un remorqueur spatial (Space tug) qui les amènera sur leur orbite définitive, orbite géostationnaireorbite géostationnaire ou sur une trajectoire de rendez-vous avec la Lune ou Mars par exemple ». Concernant la phase du retour d'orbite, plusieurs options sont à l'étude dont « l'atterrissage vertical avec rallumage des moteurs (le toss-back, qu'utilise SpaceXSpaceX) ou l'atterrissage à l'horizontale comme un avion ».

    Quant aux performances d'Ariane Ultimate, que ce soit le nombre de réutilisation ou les capacités de transport, « il est trop tôt pour les figer ». Contrairement au développement d'Ariane 5 et d'Ariane 6Ariane 6 qui répondent à des besoins de performances clairement identifiés en début de programme, les « performances d'Ariane Ultimate seront adaptées en fonction des choix technologiques et architecturaux de ce lanceur ». Cela dit, le Cnes a tout de même des objectifs chiffrés en tête et « vise plus ou moins une dizaine de vols et une vingtaine de tonnes en orbite basse mais ce ne sont pas ces paramètres qui définiront Ariane Ultimate ».

    Pour comprendre cette incertitude, il faut garder à l'esprit que la « diminution du coût de l'accès à l'espace est l'objectif principal » de sorte que l'architecture et la conception du lanceur « peuvent évoluer en fonction des technologies retenues, du moment qu'elles répondent aux besoins identifiés en terme de scénario de missions  ».