Un États-Unien de 61 ans se présente aux urgences pour cause de vertiges. L’éthylomètre révèle une alcoolémie de 3,7 g/l. Pourtant, l’individu promet qu’il n’a pas bu une goutte d’alcool. Menteur ou victime d’un syndrome rare ? La deuxième hypothèse, évidemment !

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    Drôle d'histoire que celle qui est récemment arrivée à un Texan. Ce sexagénaire était ivre alors même qu'il affirmait n'avoir rien bu. D'où venait cet alcoolalcool qui lui gâchait la vie ? Les résultats de cette enquête sont parus dans l'International Journal of Clinical Medicine.

    Le contexte : ivre sans boire d’alcool

    En novembre 2009, un homme se présente aux urgences d'un hôpital texan. En revenant de l'église, il raconte souffrir de vertiges importants. Les symptômes classiques d'une intoxication alcoolique. L'éthylomètreéthylomètre est sans appel : 3,7 g d'alcool par litre de sang, soit 7 fois plus que ce qui est autorisé en France pour conduire (0,5 g/l). Aurait-il abusé du vin de messe ? Le sexagénaire nie les faits, mais le personnel médical doute de sa bonne foi. Pourtant sa femme, infirmière, confirme les propos de son mari.

    Un cas étrange qui interpelle Barbara Cordell, du Panola College et Justin McCarthy, gastrogastro-entérologue dans la ville de Lubbock. Et si ce patient disait vrai ? En discutant avec lui, ils apprennent que l'homme a subi une opération du pied qui l'a obligé à prendre par la suite un traitement antibiotique. Depuis, il disait se sentir mal après avoir bu deux bières et ressentait même l'ébriété sans avoir consommé d'alcool.

    C'est alors que son épouse, intriguée par la question, a expliqué avoir mené ses propres recherches et suppose que son mari souffre du syndrome de fermentation intestinale, un trouble rare et très peu documenté. Alors, en avril 2010, le protagoniste est invité à revenir pour participer à une petite expérience afin de vérifier l'hypothèse.

    L’étude : les levures de la bière dans les intestins

    Il est placé dans une chambre et interdit de visite. Ses affaires sont fouillées de manière à s'assurer qu'aucune fiole d'alcool n'y est cachée. Ainsi isolé durant 24 h, le patient reçoit une alimentation riche en sucres, avec notamment des friandises. Toutes les deux heures, l'alcoolémie est évaluée par un éthylomètre. Verdict : son taux d’alcool dans le sang est monté jusqu'à 1,2 g/l. Des prélèvements révèlent la présence dans ses intestins d'une levurelevureSaccharomyces cerevisiae.

    La levure <em>Saccharomyces cerevisiae</em> est un champignon unicellulaire circulaire très familier et surtout non pathogène. Sauf dans certains cas... © AJC1, Flickr, cc by nc sa 2.0

    La levure Saccharomyces cerevisiae est un champignon unicellulaire circulaire très familier et surtout non pathogène. Sauf dans certains cas... © AJC1, Flickr, cc by nc sa 2.0

    Ce champignonchampignon unicellulaire est célèbre car il est aussi bien utilisé par les boulangers pour faire lever le pain que par les brasseurs pour alcooliser la bière (d'ailleurs, cerevisiae et cervoise ont la même étymologie). Retrouvée fréquemment, cette levure n'est normalement pas pathogènepathogène car elle ne fait que transiter dans le tube digestiftube digestif. Malheureusement pour cet Américain, les antibiotiquesantibiotiques utilisés après son opération ont probablement débarrassé son tube digestif d'une bonne partie de sa flore intestinaleflore intestinale. Le champignon a donc profité du vide pour coloniser les lieux.

    Ainsi, à chaque fois que cet homme consommait sucré (friandises, pâtes, pommes de terrepommes de terre, soda, etc.), les levures transformaient le glucoseglucose en éthanol pour produire l'énergieénergie nécessaire à leur métabolismemétabolisme. Voilà pourquoi l'alcoolémie montait parfois en flèche. Six semaines de régime sans sucre combiné à un antifongiqueantifongique ont eu raison des levures. 

    L’œil extérieur : une maladie rare, des conséquences importantes

    Dans la littérature scientifique, seules quelques situations similaires ont été rapportées. Dans les années 1970, une bonne douzaine de cas ont été décrits dans deux études. Mais sur les 30 dernières années, on en dénombre moins qu'il n'y a de doigts sur une main. Évidemment, dans un premier temps, les médecins sont un peu stupéfaits, car il est bien plus fréquent d'avoir affaire à des personnes alcoolodépendantes qui se cachent pour boire. Ici, ce n'est pas le cas. Cependant, il peut arriver que le traitement soit le même : certains patients, notamment une adolescente de 13 ans, ont eu droit à une cure de désintoxication pour apprendre à supporter le manque.