Utilisé dans les matières plastiques, notamment dans les biberons, le bisphénol A, un perturbateur endocrinien notoire, serait également dangereux pour la fonction intestinale, même à des doses très faibles. C'est ce que montre une étude menée chez le rat par une équipe française de l'Inra.

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    Outre les modèles en verre, on trouve des biberons en plastique sans bisphénol A. © Mil / Flickr - Licence Creative Common (by-nc-sa 2.0)

    Outre les modèles en verre, on trouve des biberons en plastique sans bisphénol A. © Mil / Flickr - Licence Creative Common (by-nc-sa 2.0)

    La liste des méfaits du bisphénol A, ou BPA, continue de s'allonger au fil des études qui lui sont consacrées. La dernière en date vient d'être publiée dans la revue des Pnas par une équipe de l'Inra (Institut National de la Recherche Agronomique) de Toulouse. Menée chez le jeune rat et sur des cultures de cellules, elle s'est intéressée aux effets de ce produit sur l'intestin, ce qui, semble-t-il, n'avait jamais été fait.

    L'équipe réunie autour de Eric Houdeau a mis en évidence trois effets nocifs : un risque plus grand d'inflammation des parois digestives, une réduction de la perméabilité des parois du côlon et une augmentation de la sensibilité à la douleur. Le plus étonnant est que ces effets apparaissent pour des doses dix fois inférieures à la dose journalière admissible communément adoptée. En fait l'intestin est sensible à des concentrations mille fois inférieures à celles que l'on prend en compte pour d'autres organes.

    Jusque-là, les études avaient porté sur les glandes endocrines, productrices d'hormones, après injection de BPA par voie intraveineuse, l'intestin n'étant considéré que comme une simple voie d'entrée dans l'organisme. L'histoire des sciences et celle, bien étrange, du bisphénol Abisphénol A expliquent assez bien cette impasse. Découvert à la fin du XIXème siècle, le BPA (une petite moléculemolécule constituée de deux phénols, dits « aromatiquesaromatiques ») montre des propriétés voisines, mais beaucoup plus faibles, de celles d'une hormone sexuelle femelle, l'œstradiol, de la famille des œstrogènesœstrogènes. Quelques décennies plus tard, on envisage même un temps d'en prescrire aux femmes enceintes pour éviter les fausses couchesfausses couches. Les chimistes, eux, parviennent à polymériser cette molécule pour réaliser des matières plastiquesmatières plastiques, polycarbonates et résines époxyépoxy. Voilà comment une molécule aux effets biologiques connus, utilisable comme un médicament, est devenue un constituant de multiples objets en plastique, dont les biberons et l'intérieur des canettes de sodas et de jus de fruit.

    L'intestin, un organe sensible

    Aujourd'hui, l'industrie en produit trois millions de tonnes par an dans le monde. On sait par ailleurs qu'il peut migrer dans les liquidesliquides à son contact et il n'est donc pas étonnant de le retrouver dans les urines chez 90% des habitants des pays développés.

    Officiellement, le bisphénol A est un « perturbateur endocrinienperturbateur endocrinien », c'est-à-dire une substance qui modifie d'une manière ou d'une autre l'équilibre hormonal de l'organisme. En l'occurrence, le BPA mime l'action d'un œstrogène. Son action féminisante sur la faunefaune d'eau douceeau douce est suspectée et, chez l'homme, ses effets ont logiquement été d'abord recherchés sur le système endocrien, l'ensemble des glandes qui produisent les hormones. L'action du BPA a jusque-là été considérée comme insignifiante. Pourtant, de nombreuses études, notamment chez les rats, ont montré des effets nocifs multiples sur plusieurs fonctions, testiculaires, ovariennes, pancréatiques, mammaires...

    Quant à l'intestin, il a longtemps semblé hors de portée d'une action éventuelle du BPA puisque cet organe n'était pas censé être sensible à l'action d'une hormone. Or, depuis une dizaine d'années, on sait qu'il comporte des récepteurs hormonaux, en particulier aux œstrogènes. Il restait donc à vérifier l'action du bisphénol A sur la fonction intestinale, ce que vient de faire l'équipe de l'Inra, avec le résultat que l'on sait.

    Il reste bien sûr à mener des études chez l'être humain, en particulier épidémiologiques. Le sort du BPA n'est donc pas encore scellé. L'industrie chimique a peut-être, toutefois, intérêt à lui chercher dès à présent un substitut. Déjà interdit au Canada dans les biberons, il est sur la sellette aux Etats-Unis et en Europe. En France, l'Afssa (Agence française de sécurité sanitaire et des aliments), qui l'avait déclaré inoffensif en 2008, a annoncé récemment qu'elle s'apprête à examiner de nouveau ce dossier. L'un des auteurs de l'étude de l'Inra fait d'ailleurs partie du groupe d'experts chargés de ce travail...