30 à 50 % des doctorants abandonnent leur projet de thèse. 12 à 24 % souffrent de dépression contre 5 à 7 % de prévalence en population générale. Comment expliquer cet état de fait ? Est-ce que toutes les thèses se déroulent mal ? Que faire avant de prendre la décision de se lancer dans une telle aventure ?
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Ce n'est pas un stéréotype : les doctorants, comme les internes en médecine, sont une population à risque concernant la dépression, l’anxiété et les idées suicidaires. Une récente revue de la littérature parue dans Scientific Report estime la prévalence de la dépression à 24 % et de l'anxiété à 17 %. Des chiffres hautement supérieurs à ce que l'on observe chez le commun des mortels. Néanmoins, cet état de fait ne veut pas dire que l'expérience que constitue le doctorat est affreuse. Parfois, elle peut être satisfaisante et épanouissante. Pourtant, même dans ces cas-là, des influences nocives persistent. Avant de se lancer, il faut donc se poser les bonnes questions et récolter les informations adéquates. Enfin, des efforts considérables doivent également être réalisés du côté des institutions et du ministère chargé de l'Enseignement supérieur et de la recherche (ESR).
Un environnement hostile
Dans la revue de la littérature susmentionnée, les variables qui corrèlent avec la dégradation de la santé mentale chez les doctorants sont nombreuses : problèmes avec le projet de thèse et/ou avec le superviseur, pressionpression à la productivité, doute sur ses compétences, perspectives de carrière incertaines, conditions de vie précaires, stress financier, manque de sommeil, sentiment d'être dévalué, isolationisolation sociale, difficultés à maintenir une vie en dehors de la thèse et sentiment d'isolation et de solitude. L'ensemble de ces points se retrouve dans les témoignages des doctorants et des anciens doctorants que nous avons interrogés.
Mathilde Maillard, actuellement doctorante en ingénierie biomédicale et fondatrice du podcast Bien dans ma thèse, ajoute qu'il existe une forte inégalité entre les disciplines et les écoles doctorales : « certains paramètres comme la pression à la publication ou l'accès à des formations sur la gestion du stress et des émotions dépendent de ces deux variables. Cette hétérogénéité est inadmissible. »
Une culture de la difficulté
Après avoir énuméré tous ces facteurs potentiels et mutuellement non exclusifs, la revue pointe un « paradoxe » : seulement un quart des doctorants demandent de l'aide durant cette période. Mathilde Maillard nous confirme cet état de fait : « la plupart des étudiants ne parlent pas vraiment des problèmes qu'ils rencontrent avec leurs encadrants ou plus largement au sein de leurs projets. Il y a une impression générale qui conduit à penser qu'éprouver de grandes difficultés est quelque chose de normal. »
Une culture qui semble perdurer même après la thèse : « une thèse génère énormément de pression, un rythme infernal, un oubli de soi et des autres et une fatigue qui ne va qu'en s'accumulant. Mais on tient en se disant qu'on fait ça pour avoir le métier qu'on aime par la suite. Jusqu'à ce qu'on nous apprenne qu'il n'y a pas de postes ou qu'il n'y en a qu'une poignée. Que pour eux, il va falloir se battre et continuer de travailler comme pendant la thèse. Il faut littéralement donner sa vie à la science », témoigne Solène (par souci d'anonymat, le prénom a été modifié)), doctorante en génétique.
La santé mentale, ce tabou
Avec toutes ces informations disponibles depuis quelques années, on pourrait s'attendre à ce que les institutions aient mis en place des moyens pour résoudre ces problèmes. En réalité, il semble que ce soit encore assez mal vu que d'évoquer des problèmes de santé mentale durant le doctorat, conformément à la culture de la difficulté. Mathilde Maillard pointe également du doigt un problème de taille : le manque d'évaluation des encadrants. « Il subsiste une surprotection du personnel encadrant au sein des universités. À mon avis, cela devrait être l'inverse. Ce sont les doctorants qui sont soumis à un stress sans précédent, avec de moins en moins de postes disponibles et souvent un manque d'information et d'accompagnement concernant tous les débouchés possibles, là où les chercheurs pérennisés sont à l'abri », lance la doctorante.
Dans le même temps, elle nous informe qu'une enquête vient d’être lancée par le collège doctoral sur le bien-être des doctorants et l'évaluation des encadrants. Preuve s'il en est que les choses avancent dans le bon sens, au moins de ce côté-là. Soucieuse d'être nuancée, Mathilde Maillard nous précise que si la France est loin d'être le pays le plus en avance en matièrematière de prise en compte de la santé mentale, il ne semble pas être le dernier : « En Grande-Bretagne, les programmes mis en place pour prévenir les problèmes de santé mentale et soutenir les doctorants sont géniaux », raconte la doctorante avant de dresser un portrait nettement moins glorieux de l'autre côté de l'atlantique, « au Canada ou aux États-Unis, il y a des examens renforcés pour poursuivre en doctorat. Si les étudiants échouent, leurs projets de thèse peuvent être stoppés. Cela contribue à rajouter du stress et de la pression déjà omniprésents ».
Un cruel manque d’informations
Tout ce que nous venons d'évoquer concerne le moment où les étudiants ont les deux pieds dans le doctorat. Pourtant, comme le veut le célèbre adage « mieux vaut prévenir que guérir », c'est en amont que, presque, tout se joue. C'est dans cette optique que Mathilde Maillard à créer Bien dans ma thèse, à savoir faciliter l'accès à l'information concernant le doctorat : « À la fin de mon master, j'étais terrorisée par le monde du travail. J'ai eu le luxe de choisir mon lieu de thèse parmi trois écoles doctorales sur lesquelles je me suis renseignée. J'ai fait le choix d'un bon encadrement plutôt que de choisir mon sujet de prédilection et je ne regrette absolument pas ce choix », affirme la doctorante.
En plus des efforts que les institutions doivent absolument réaliser, l'accès à l'information semble être un des leviers les plus importants et cela même en amont des études supérieures. Mathilde Maillard nous explique qu'elle ne s'imaginait pas à quel point le doctorat, dans les domaines SHS notamment, pouvait entraîner parfois les étudiants dans des situations aussi précaires et avec des encadrements pouvant être parcellaires. Au fil des épisodes de Bien dans ma thèse et après la création d'un discorddiscord réunissant plus de 1.500 doctorants à travers la France, elle nuance grandement son propos : « Même après un master, les débouchés peuvent être difficiles dans le domaine des SHS. Souvent, l'enseignement dans le supérieur est un choix par conviction et par passion pour ces étudiants, et pour y accéder, c'est le doctorat. Cependant, la passion pour ce métier ne devrait pas justifier tous les sacrifices et les difficultés que rencontrent ces étudiants. Le manque de financement et de soutien du gouvernement de plus en plus important dans ces domaines participe grandement au mal-être général. »
Si les sciences humaines et sociales souffrent d'un manque de financement et de débouchés, d'autres domaines affrontent les déboires des règles du jeu industriel. « Quand je suis allée dans un laboratoire de biologie pour les besoins de ma thèse qui est très interdisciplinaire, j'ai été surprise de constater qu'il cachait les données de leurs travaux, même lors des congrès. Dans ce champ disciplinaire, la compétition semble être accrue de même que la pression à la publication », déplore Mathilde Maillard.
Voir le verre à moitié plein
Tout cela ne donne guère envie de se lancer dans l'aventure du doctorat. Sans nier ces problèmes et les efforts colossaux qui doivent être réalisés pour les régler, Mathilde Maillard souhaite insister sur ce que le doctorat apporte de positif : « Un doctorat permet de développer des compétences humaines et professionnelles importantes (soft skills, encadrement, enseignement, gestion de projet, gestion du stress, communications...) et ouvre la voie vers de nombreux débouchés. Si on est bien informé et que c'est vraiment ce que l'on veut faire, il ne faut pas hésiter : même si c'est parfois difficile et éprouvant, c'est une superbe expérience. »
Pourtant, tout reste à faire. Étrangement, du côté du ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche, tout semble aller pour le mieux. En effet, si on en croit la ministre de l'ESR, Frédérique Vidal, du soutien a été apporté à la recherche, ParcourSup ne laisse plus de place au hasard et la France occupe une place de choix au classement de Shanghai. En guise de conclusion, nous nous proposons d'évaluer brièvement ces trois affirmations.
Un soutien sans précédent à la recherche
Cette affirmation est fausse. Pour plus de détails, nous renvoyons à cet article de nos confrères de France Culture. Concernant les étudiants, la dépense moyenne par étudiant en université diminue depuis 2013. Le comble reste encore que le graphique est disponible sur le site du ministère.
La médaille de bronze au classement de Shanghai
Cette affirmation est vraie. Pour autant, les critères qui sont utilisés par ce classement font l'objet de nombreuses critiques. Par exemple, la santé mentale des doctorants et des chercheurs en général n'est pas prise en compte dans la notation.
Parcoursup évite le tirage au sort
Cette affirmation est trompeuse. Le système Admission Post-Bac ne laissait pas plus de place au hasard que Parcoursup. Pour plus de détails, nous vous renvoyons à une vidéo explicative et critique de David Louapre de la chaîne Science étonnante.