Une récente étude suggère que les normes de masculinité et les orientations professionnelles associées aggravent l'état mental des hommes qui souffrent de dépression. Quelles sont ces normes et comment lutter intelligemment contre elles ?


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    Après trois années à mener leur étude et deux années pour en récolter les résultats, une équipe de chercheurs allemands du département de psychiatrie et de psychothérapie de l'université d'Ulm vient de publier une étude intitulée « Masculinity norms and occupational role orientations in men treated for depression » dans la revue Plos One.

    Avant de commencer, précisons bien que les explications fournies dans cet article relatent un facteur de risque psychologique particulier et qu'on ne saurait prendre cette hypothèse comme faisant consensus. De même, cette étude n'a pas vocation à démontrer une causalité mais bien une association. Il peut donc subsister des facteurs biologiques ou d'une autre nature venant polluer les associations, même si plusieurs facteurs de confusion ont été pris en compte et corrigés.

    Les fondements de l'étude 

    L'étude entend étudier l'impact des normes de masculinité et des orientations professionnelles associées chez les hommes traités pour dépression. Les observations faites ne sont donc valables que pour ce sous-groupe de la population allemande. Pour éclairer un peu les concepts de base de l'étude, le professeur Kilian Reinhold, auteur principal de l'étude, a répondu à nos questions. 

    Futura : Professeur Reinhold, pouvez-vous en premier lieu nous expliquer ce que sont les normes de masculinité ? 

    Professeur Reinhold : Les normes de masculinité sont des idées subjectives sur ce qui fait d'un homme un « vrai homme ». Cela se base sur le théorèmethéorème formulé par le sociologue William Isaac Thomas disant : « Si les hommes définissent les situations comme réelles, alors elles sont réelles dans leurs conséquences. ». De ce théorème découle l'hypothèse que les idées subjectives sur la masculinité ont un grand impact sur les actions quotidiennes des hommes, que ces idées soient ou non partagées par les autres.

    On imagine donc qu'il existe un lien entre la vie professionnelle et ces normes. Entre les idées subjectives des hommes sur ce qu'ils doivent être au travail et ce qu'ils sont vraiment ou les retours qu'ils ont de leur environnement. C'est ce que vous avez cherché à étudier ?

    Pr Reinhold : De la même manière, ce que l'homme et bien sûr la femme pensent de la façon dont ils devraient faire leur travail a un grand impact sur leur vie professionnelle. Nous savons, par des recherches antérieures que des idées particulières sur la masculinité sont associées à des idées spécifiques sur la vie professionnelle. Nous avons donc essayé de rassembler ces concepts afin de découvrir quelles combinaisons sont pertinentes pour le bien-être des hommes souffrant de dépression.

    Il y a un écart entre ce que les hommes pensent qu'ils devraient être et comment ils devraient travailler et ce qu'ils ressentent vraiment. © Wordley Calvo Stock, Adobe Stock
    Il y a un écart entre ce que les hommes pensent qu'ils devraient être et comment ils devraient travailler et ce qu'ils ressentent vraiment. © Wordley Calvo Stock, Adobe Stock

    Des dépressions plus graves

    Votre étude s'est intéressée à un sous-échantillon de la population masculine : les hommes en dépression. Que pouvez-vous conclure à la vue de vos résultats ? 

    Pr Reinhold : En résumé, à partir de nos résultats, nous concluons qu'il existe un effet négatif de combinaisons particulières de normes de masculinité et d'orientations du rôle au travail sur le bien-être des hommes souffrant de dépression. Il y a un écart entre ce que les hommes pensent qu'ils devraient être et comment ils devraient travailler et ce qu'ils ressentent vraiment.

    En effet, lorsqu'on lit vos résultats, on remarque que chez certains hommes, les normes de masculinité traditionnelles associées à des ambitions professionnelles élevées ou à une faible capacité adaptative, résultent en une dépression plus marquée. Comment expliquez-vous cela ? 

    Pr Reinhold : Cette différence peut résulter non seulement de l'expérience personnelle - le fait qu'ils ne soient pas aussi durs et intelligents qu'ils le devraient pour eux - mais aussi de l'expérience collective, du fait que les sociétés modernes n'apprécient tout simplement plus certaines caractéristiques de la masculinité traditionnelle. De même, dans la vie professionnelle moderne, les qualités traditionnelles, telles que l'assertivité, l'ambition et l'engagement, peuvent être moins sollicitées que la créativité, le sens de la coopération et les soi-disant compétences générales.

    Comment aller mieux ? 

    Existe-t-il des solutions pour aller mieux, pour combattre intelligemment cette masculinité malsaine qui induit des états dépressifs plus sévères ? J'imagine que ce n'est pas simple de combattre des idées aussi ancrées ? 

    Pr Reinhold : Les idées normatives étant généralement développées au cours du processus de socialisation, elles deviennent partie intégrante de la personnalité et donc très résistantes au changement. Pour la plupart des gens, il est plus facile d'ajuster leur perception du monde à leurs idées sur le monde que l'inverse. Au hasard, pensez à un homme tel que Donald Trump.

    Pourtant en lisant votre étude et ses conclusions, on se rend compte que tout n'est pas perdu. Prendre du recul sur ces normes en prenant garde à ne pas abandonner certaines ambitions et en travaillant sur les capacités adaptatives peut se traduire en un véritable mieux-être pour ces hommes ? 

    Pr Reinhold : Il y a une chance, en particulier si les hommes ont déjà accepté d'avoir besoin d'une aide professionnelle. Je ne suis pas thérapeute, mais plusieurs de mes coauteurs le sont et nous avons discuté de ces questions de manière approfondie. À mon avis, l'étape la plus importante de ce processus est d'aider ces hommes à comprendre la force de leurs idées sur la masculinité et le rôle professionnel associé. Enfin, leur apprendre à bien gérer leur équilibre émotionnel et leur offrir des moyens de recentrer leur image par rapport à ce que les autres attendent vraiment d'eux semble primordial.