D'où vient le mal de dos chronique ? Quelles sont ses causes ? Tant de questions dont on pense souvent que les réponses sont bien tranchées : mauvaise posture ou « faux » mouvement. Pourtant, ces facteurs biomécaniques jouent un rôle très faible dans la chronicisation de la douleur. Préparez-vous à déconstruire les plus grandes idées reçues sur le mal de dos auxquelles vous adhérez.


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    « Tiens-toi droit ! », « Attention à ton dosdos quand tu te baisses », « Corrige ta posture en dix jours grâce à cet exercice », « De toute façon, j'aurai mal toute ma vie à cause de ma cyphose ». Qui, parmi nous, n'a pas été victime d'une seule idée reçue sur le mal de dos et plus précisément sur les douleurs lombaires ? Rares, voire inexistants, sont celles et ceux qui y ont échappé. Moi-même, avant de me poser la question et de faire quelques recherches, j'étais pétri de bon nombre d'entre elles. Ces dernières sont très répandues. PisPis encore, elle se propage à travers notre système de santé. Dans cet article, je vous propose de remettre en question ce que vous pensez savoir au sujet du mal de dos et de vous laisser guider par les données scientifiques. Pour m'aider au travers de ce sujet sinueux et complexe, j'ai interrogé Éric Bouthier, kinésithérapeutekinésithérapeute, spécialisé dans le traitement des douleurs chroniques.

     Mauvaise posture, « faux » mouvements, nerfs coincés ? Comment expliquer le mal de dos chronique ? © Malte Luk, Pexels
     Mauvaise posture, « faux » mouvements, nerfs coincés ? Comment expliquer le mal de dos chronique ? © Malte Luk, Pexels

    L'hégémonie de l'hypothèse biomécanique

    Nous pensons tous que les douleurs lombaires que nous avons sont dues à une mauvaise posture, à des faux mouvementsmouvements, à des nerfs coincés ou à d'autres choses encore plus farfelues. Et pour cause, l'hypothèse biomécanique de la douleur est l'une des plus répandues. « Historiquement, le champ de la gestion de la douleur vient d'un modèle très biomédical. C'est-à-dire que l'on a l'habitude de  rechercher une cause unique qui expliquerait la douleur. L'exemple typique est celui de la posture avec la tête en avant et les épaules enroulées, qui provoquerait des douleurs. Si l'idée est simple et séduisante, rien ne permet d'affirmer que c'est vrai », explique Éric Bouthier. 

    Un facteur pas aussi important qu'on ne le pensait 

    Et pourtant, la cause biomécanique apparaît désormais comme un facteur peu important dans la persistance de la douleur. « Les contraintes biomécaniques peuvent participer à engendrer des douleurs. Mais les données scientifiques que nous possédons aujourd'hui sont unanimes : ce sont surtout les facteurs psycho-sociaux (comme l'anxiété, la dépression ou une vision négative de ce qu'il nous arrive) qui favorisent l'apparition et la persistance des douleurs », assure le kinésithérapeute. 

    Alors que nous disent ces données scientifiques ? Premièrement, les corrélations entre posture et douleur sont éparses. « Étant donné l'importance que l'on donne habituellement à la posture dans l'explication de la douleur, on devrait voir des corrélations fortes et persistantes apparaître. Or, ce n'est pas le cas. Les personnes qui se tiennent "mal" ne semblent pas avoir plus de douleurs que les autres », explique Éric Bouthier. Deuxièmement, les essais cliniques visant à corriger la posture ou à améliorer la stabilité lombaire apportent des bénéfices, mais pas pour les raisons auxquelles on pense. « Il y a plusieurs revues systématiques dans la littérature qui démontrent clairement que les programmes d'exercices améliorent les symptômes cliniques. Pour autant, les symptômes s'améliorent sans que la "cible" des exercices (posture, abdominaux, etc. ) ne change réellement. C'est donc que l'explication est à chercher ailleurs », détaille Éric Bouthier.

    Avec ces deux éléments, nous avons des arguments assez forts pour mettre en doute l'hypothèse biomécanique. L'absence de corrélation persistante d'un côté qui met en péril l'existence même du phénomène dans le pire des cas, au moins son caractère nécessaire, suffisant et prépondérant. L'absence de prédictibilité de l'autre qui vient porter un coup sévère à la relation de causalité présumée. Bien sûr, les tenants de cette hypothèse pourront toujours trouver des hypothèses auxiliaires auxquelles se raccrocher. Sauf que d'autres études ont apporté des preuves convaincantes pour expliquer autrement le phénomène de la douleur persistante du bas du dos.

     D'autres études apportent des preuves convaincantes et donnent un autre éclairage sur le phénomène de la douleur persistante du bas du dos. © 1STunningArt, Adobe Stock 
     D'autres études apportent des preuves convaincantes et donnent un autre éclairage sur le phénomène de la douleur persistante du bas du dos. © 1STunningArt, Adobe Stock 

    L'important se trouve surtout dans la tête du patient  

    Pour tenter d'expliquer la douleur, il faut quitter le monde des théories biomédicales et aller voir du côté des théories bio-psychosociales et des théories en neurosciences. Une autre hypothèse avancée est que ce sont les représentations des patients, ce qu'ils pensent de leur douleur, leur état de stressstress, d'anxiété, etc. qui vont contribuer à l'installation durable de cette dernière. Qu'en est-il alors pour cette hypothèse ? 

    Contrairement à l'hypothèse biomécanique, les corrélations sont assez fortes et cohérentes entre les cohortescohortes. « Plusieurs études épidémiologiques suggèrent que les attentes des patients, leur estime d'eux-mêmes, leur représentation de leur corps, de leur douleur, souvent influencée par des professionnels de santé, l'anxiété, la dépression, le niveau socio-économique... bref autant de facteurs psychosociaux qui sont fortement corrélés à la chronicisation de la douleur », précise Éric Bouthier. 

    Toujours à rebours de l'hypothèse biomécanique, des essais d'interventions existent et donnent de bons résultats, bien qu'encore légers, concernant la taille d'effet. « Il existe plusieurs approches comme la thérapie cognitive fonctionnelle qui montre un léger bénéfice au-delà d'une prise en charge classique. Elle repose sur trois piliers. Le premier est de donner du sens à la douleur du patient : pourquoi ça fait mal ? Le deuxième est de travailler sur l'exposition progressive au mouvement, à l'exercice ou à la situation qui pose problème [comme cela se fait en thérapiethérapie cognitive comportementale pour traiter les phobiesphobies, ndlr]. Enfin, on va aider la personne à retourner vers des activités qu'elle aime et qu'elle apprécie en développant un plan d'action personnalisé afin de lui permettre de bouger à nouveau, développe ce spécialiste dans le traitement des douleurs chroniques avant de conclure : quoi qu'il en soit, la prise en charge de la douleur chronique est destinée à être de plus en plus pluridisciplinaire avec, par exemple, un médecin, un kinésithérapeute, un psychologue, un diététiciendiététicien, etc. »

     La prise en charge de la douleur chronique nécessiterait de plus en plus une approche pluridisciplinaire. © Phovoir
     La prise en charge de la douleur chronique nécessiterait de plus en plus une approche pluridisciplinaire. © Phovoir

    Comment ces facteurs se matérialisent-ils ? 

    Si vous avez l'esprit scientifique et que vous êtes un fervent partisan du matérialisme méthodologique, vous vous dites certainement que tout ça est bien sympathique, mais comment ce qui se trouve dans ma tête - mes pensées, mes représentations, mes croyances - peut agir sur des mécanismes biochimiques et électriques qui déterminent le signal de la douleur. C'est une très bonne question. Nous n'allons pas y répondre de façon précise, cela demanderait d'aller faire un tour du côté de la philosophie de l'esprit.

    En revanche, nous savons que l'ensemble de ces facteurs psychosociaux sont corrélés à des variations physiologiques. « Le système nerveux centralsystème nerveux central adapte son niveau de sensibilité en fonction de tous ces facteurs. Par exemple, face à l'anxiété ou au stress que peuvent générer de fausses croyances, le système nerveux central va en quelque sorte se mettre en alerte plus facilement. Le cerveaucerveau s'intéresse alors de près à ce qu'il se passe dans le corps, focalise l'attention dessus et modifie le fonctionnement du corps pour bien le protéger. Il en résulte plus de douleurs et plus de difficultés au quotidien, ce qui entretient les facteurs psychologiques (comme l'anxiété, la peur de bouger ou l'incapacité à agir sur sa douleur). Et la boucle est bouclée avec le fait que beaucoup de thérapeutes entretiennent ces mythes et utilisent une sémantique peu appropriée pour communiquer sur la douleur avec leurs patients. Il reste un énorme travail à réaliser de ce côté-là », déplore Éric Bouthier. 

    Pour en savoir plus, vous pouvez visiter le site d'Éric Bouthier.