b) il faut que la géographie du site soit propice au confinement de la biomasse formée, sans quoi il ne peut y avoir d'accumulation visible d'algues.
Si l'on conçoit facilement que les lagunes, communiquant peu avec la mer, fournissent de façon statique un tel confinement, il faut faire appel à la notion moins évidente de confinement dynamique par la marée pour expliquer la présence de marées vertes sur les estrans macrotidaux très ouverts vers le large : Ménesguen et Salomon (1988) ont montré par modélisation mathématique que le confinement des algues en suspension dans l'eau pouvait se produire dans les zones où la dérive résiduelle de marée, c'est à dire la dérive nette au bout d'une période de marée (12h25mn), était quasi-nulle en raison de la topographie du fond. Alors que la présence d'une forte dérive résiduelle vers le large peut disperser au fur et à mesure nutriments et algues produites dans un site fortement enrichi (ex : baie de Goulven en Finistère-nord), l'absence de chasse vers le large pourra au contraire transformer en gigantesque bac de culture un site pourtant moins enrichi (ex : baie de Lannion en Côtes d'Armor).
L'apport récent des scientifiques dans la compréhension de ces phénomènes écologiques complexes s'est en effet opéré pour beaucoup grâce aux modèles mathématiques, capables de
représenter simultanément la dynamique des principaux processus intervenant dans l'eutrophisation d'un site (brassage horizontal et vertical par les courants, dépôt-remise en suspension, absorption des nutriments par les algues en croissance, reminéralisation de la matière
organique détritique, etc...). Ces outils sont très utiles pour :
1°) prévoir quels seront les effets de l'augmentation en cours des apports azotés issus de l'agriculture
2 °) estimer à quel niveau il conviendrait de ramener ces apports si l'on voulait restaurer la qualité de sites particulièrement touchés par l'eutrophisation.
A l'initiative du Conseil Général des Côtes d'Armor, une étude poussée de deux sites de Bretagne-nord, les baies de Lannion et de Saint-Brieuc, a permis l'élaboration par IFREMER (Ménesguen, 1998) d'un modèle numérique du phénomène de "marée verte" ; dans le cas de la baie de
Lannion, par exemple (fig.7), les conclusions pratiques suivantes ont pu être tirées :
a - Ce sont bien les apports de nitrate par les rivières qui sont responsables de la prolifération massive d'ulves sur ces sites, puisque la suppression de tous ces apports réduit la marée verte de 95%.
b - Les apports des 2 principales rivières de la zone, le Léguer situé au nord et le Douron situé à l'ouest, n'ont aucune influence sur la biomasse d'ulves produite dans la partie sud de la baie, où se trouve la plage de Saint-Efflam envahie par les ulves (cf. fig.3)
c - Cette très importante marée verte de la plage de Saint-Efflam est en fait causée pour les 3/4 par les seuls apports de nitrate du Yar, petite rivière débouchant directement sur cette plage. La réduction de moitié des apports de nitrate du Yar diminuerait déjà cette marée verte de 31%. Pour atteindre un abattement de 50% de la marée verte, il faudrait revenir à des concentrations de 10 mg/l NO3 dans le Yar, à comparer aux 35-40 mg/l NO3 d'aujourd'hui.
Ainsi, le modèle mathématique permet de mettre en évidence la dépendance non-linéaire des effets observés en fonction des actions menées. La figure 8 montre que, pour la petite marée verte qui occupe l'estuaire du Douron, juste à l'ouest de la plage de Saint-Efflam, il ne sert à rien de faire des efforts de réduction des apports de nitrate sur le bassin versant de la petite rivière Dourmeur, si l'on
n'a pas simultanément opéré une très forte réduction des apports de nitrate par la rivière principale, le Douron. On notera par ailleurs que depuis longtemps, en fait depuis que la concentration en nitrate du Douron a atteint 20 mg/l, le site est saturé et produit déjà son maximum d'
algues vertes, ce qui permet d'avertir les pouvoirs publics et l'opinion qu'il ne faut hélas espérer aucun effet visible des 50 premiers pourcents de réduction de la teneur actuelle du Douron en nitrate, ce qui serait pourtant déjà un effort énorme !
On voit donc que les études scientifiques menées depuis une douzaine d' années ont largement contribué à expliquer le mécanisme qui aboutit aux marées vertes, et les modèles mathématiques ont même permis d'établir très précisément des recommandations quantitatives pour les objectifs de qualité à respecter sur les cours d'eau concernés quasiment cours d'eau par cours d'eau.