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À quelques encablures de Porto Rico, des singes vivent sur une petite île, Cayo Santiago, à l'abri des prédateurs, car ils sont les seuls grands animaux sur leur territoire, et sans devoir chercher leur nourriture, puisque des humains la leur apportent obligeamment depuis 75 ans. Une vie de rêve, en quelque sorte. Quoique...
« Alors que cette île pourrait être leur paradis, ils en ont fait leur propre enfer », explique l'un des scientifiques dans le film Primates des Caraïbes, en lice au festival Pariscience, à la fois sobre, solidesolide et d'une force étonnante. Car il s'agit bien d'une expérience scientifique, racontée par Jean-Christophe Ribot, réalisateur et documentariste passionné de science et, explique-t-il lui-même, « intéressé par les questions de sociétés et de relations entre les individus ».
Une société sous l'œil des scientifiques
L'histoire commence en 1938, avec le débarquement de 400 macaques rhésus (Macaca mulattaMacaca mulatta)) achetés en Inde par le primatologue Clarence Ray Carpenter. Le but était d'étudier comment se construira cette nouvelle société, en suivant chacun de ses individus. L'expérience, imitée depuis en d'autres endroits du monde, se poursuit toujours. Des chercheurs, généticiensgénéticiens, primatologues et sociologues, s'installent régulièrement sur l'île pour observer leur vie, leurs relations, leurs amours, leurs amitiés et leurs guerres. Rappelons que les macaques sont des primates sociaux, qui interagissent fortement entre eux et forment des alliances dans des sociétés très hiérarchisées.
Pour Claude-Anne Gauthier, primatologue au Muséum national d'histoire naturelleMuséum national d'histoire naturelle et qui sera présente pour accueillir ce film au festival Pariscience, « ces expériences en semi-liberté sont précieuses. On peut suivre les individus sur de longues périodes, et même, avec une certaine probabilité, connaître ses géniteurs. On peut y observer des comportements imperceptibles en milieu naturel, parfois un regard ou un clignement d'œilœil. Et puis, l'argentargent et le temps manquent souvent, aujourd'hui, pour de longues expéditions en forêt. »
Filmées il y a quelques années sur l'île Cayo Santiago par Dario Maestripieri (qui fait partie des scientifiques intervant dans le film de Jean-Christophe Ribot), des femelles rhésus sont ici observées en compagnie de petits. Elles adorent les regarder et attirent leur attention par des cris spéciaux. © Dario Maestripieri, University of Chicago
Chester le chef et Tony la terreur
En deux ans, à raison de séjours de deux semaines sur cette île, Jean-Christophe Ribot a suivi les chercheurs pour filmer les singes et leur petit monde. Les drames et les moments de bonheur que l'on y voit ressemblent tant à nos expériences humaines que la tentation de faire le parallèle avec notre société vient immédiatement. « Le risque d'anthropomorphisme est d'autant plus grand que le cinéma cherche à ce que le spectateur s'identifie au personnage, analyse Jean-Christophe Ribot. C'est pourquoi j'ai installé une certaine distance et d'abord montré ce que font les scientifiques. »
On voit ainsi des éthologues comptabiliser les interactions et les visualiser sur de grands graphes générés par ordinateurordinateur. Deux macaques en émergentémergent : 85-B, alias Chester, le dominant du plus grand groupe, champion des relations sociales, et 07-D, dit Tony, réputé pour sa violence et ses bagarres incessantes, isolé socialement mais qui tente de séduire la femelle du chef. Et l'on découvre une société clanique, avec sept groupes, aux habitudes différentes. Dans le plus grand, on est souvent agressif. Dans celui numéroté « S » et qualifié de « hippie » par les chercheurs, on est plus cool.
La bande annonce du film Primates des caraïbes, réservée aux anglophones. © Jean-Christophe Ribot, Mosaïque Films, Deep Bay Film, Arte France
Un film loin de la dérive de l’anthropomorphisme
Ce sont les scientifiques eux-mêmes qui emploient ces termes. « Pour qualifier les comportements, nous utilisons les mots de tous les jours, commente Claude-Anne Gauthier. Le terme "réconciliation", par exemple, est employé dans son sens commun et il recouvre une réalité, très importante chez les primates. »
Si le film de Jean-Christophe Ribot n'est pas une séquence de téléréalité simiesque mais bien un documentaire sur des expériences scientifiques, il n'en suscite pas moins des réflexions sur nous-mêmes. « Je cherche à ce que le spectateur se pose cette question : "Je projette des choses sur ces situations, pourquoi ?" C'est là, selon moi, que se distinguent les Hommes, quand ils analysent leurs propres comportements et leurs propres pensées. » On ne sort pas indemne de ce film, qui sera présenté au festival Pariscience, et ce soir sur Arte (à 22 h 50), en version 52 mn. Ses images reviendront sans doute souvent devant les yeux de ses spectateurs...