Sur la voie qui mène à la résolution de la crise climatique, il pourrait bien se dresser un obstacle inattendu. Des experts suggèrent en effet que des aspects de l’évolution humaine qui nous ont conduits à dominer la Terre pourraient désormais nous empêcher de relever les défis environnementaux mondiaux comme le changement climatique.


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    Comment se fait-il que malgré la menace qui se précise chaque jour un peu plus, nous ne parvenions (toujours) pas à surmonter la crise climatique, et plus largement environnementale, à laquelle nous faisons face aujourd'hui ? De plus en plus de chercheurs se posent la question. Et des biologistes de l'université du Maine (États-Unis) apportent, dans la revue Philosophical Transactions of the Royal Society B, une réponse pour le moins surprenante. Selon eux, il existe des caractéristiques centrales de l'évolution humaine qui pourraient empêcher notre espèce de résoudre les problèmes environnementaux mondiaux de type changement climatique.

    L’évolution humaine contre le réchauffement climatique

    Les travaux des chercheurs de l'université du Maine montrent comment, au cours des 100 000 dernières années, les groupes humains qui se sont formés ont peu à peu appris à dominer -- au moins en apparence -- la planète grâce à des outils et à des systèmes qui leur ont permis d'exploiter davantage de types de ressources, avec plus d'intensité et à plus grande échelle. Des pratiques agricoles, des méthodes de pêche, des infrastructures d'irrigation, des technologies énergétiques et des systèmes sociaux pour gérer l'ensemble. Ce faisant, l'humanité a considérablement accru son empreinte sur l'environnement. Car celui que les scientifiques appellent processus d'adaptation culturelle à l'environnement a facilité l'expansion des groupes humains à l'échelle mondiale.

    « Le changement culturel est plus rapide que l'évolution génétique. C'est l'un des principaux moteurs de l'évolution humaine, précise Tim Waring, biologiste évolutionniste, dans un communiqué. Au cours des 100 000 dernières années, cela a été une bonne nouvelle pour notre espèce dans son ensemble. Le tout, également, grâce à de grandes quantités de ressources et d'espace disponibles ». Aujourd'hui, nous manquons de ressources. Et d'espace. Nos adaptations culturelles ont donné naissance à de dangereux problèmes environnementaux. Ils nous mettent en danger. Tout comme ils mettent en danger notre accès aux ressources futures.

    Les caractéristiques d’un développement durable

    En cherchant les points communs aux systèmes humains durables du passé, les chercheurs ont découvert qu'ils ont tendance à se développer seulement après que les groupes ont, d'une certaine manière, échoué à maintenir leurs ressources ou leur environnement. Par exemple, les États-Unis ont réglementé les émissionsémissions industrielles de soufresoufre et de dioxyde d'azoteazote en 1990, mais seulement après que celles-ci ont provoqué des pluies acidesacides. Cette tendance est problématique lorsqu'il est question de réchauffement climatique. Dans ce cas précis, nous devons en effet impérativement résoudre le problème avant que les changements deviennent trop importants. Nous n'avons pas le droit à l'échec.

    Les chercheurs notent aussi que ce sont des sociétés à l'échelle des problèmes de protection de l'environnement qui, au fil de l'évolution, sont parvenues à résoudre lesdits problèmes. Pour lutter efficacement contre la crise climatique, il faudra donc probablement mettre en place de nouveaux systèmes réglementaires, économiques et sociaux à l'échelle mondiale. « Or nous n'avons pas de société mondiale coordonnée qui pourrait mettre en œuvre de tels systèmes, explique Tim Waring. Nous pouvons toutefois imaginer des traités de coopération pour relever ces défis communs. Le problème n'est pas réellement là ».

    Les dimensions de la gestion environnementale créent un paysage attractif pour l’évolution humaine à long terme. Les défis de la durabilité environnementale (lignes courbes) nécessitent un niveau minimum de coopération dans une société d’une certaine taille spatiale minimale. Des voies potentielles alternatives conduisent l’humanité vers des résultats évolutifs différents à long terme. Dans la voie B, la compétition entre les sociétés pour des ressources environnementales communes crée une sélection culturelle entre les groupes et des conflits de plus en plus directs. La voie A, une coopération croissante entre les sociétés, facilite l’émergence de traits culturels mondiaux pour préserver les bénéfices environnementaux partagés. © <em>Philosophical Transactions of the Royal Society B</em>
    Les dimensions de la gestion environnementale créent un paysage attractif pour l’évolution humaine à long terme. Les défis de la durabilité environnementale (lignes courbes) nécessitent un niveau minimum de coopération dans une société d’une certaine taille spatiale minimale. Des voies potentielles alternatives conduisent l’humanité vers des résultats évolutifs différents à long terme. Dans la voie B, la compétition entre les sociétés pour des ressources environnementales communes crée une sélection culturelle entre les groupes et des conflits de plus en plus directs. La voie A, une coopération croissante entre les sociétés, facilite l’émergence de traits culturels mondiaux pour préserver les bénéfices environnementaux partagés. © Philosophical Transactions of the Royal Society B

    Résoudre de faux problèmes plutôt que lutter contre le réchauffement climatique

    Ce que les chercheurs pointent du doigt, c'est un problème autrement plus profond. Le fait que dans un monde rempli de groupes sous-mondiaux, l'évolution culturelle de ces groupes a tendance à résoudre les problèmes qui profitent à leurs intérêts, retardant ainsi l'action sur les problèmes mondiaux. Pire, l'évolution culturelle entre les groupes aurait tendance à exacerber la concurrence pour les ressources et pourrait ainsi conduire à des conflits directs entre les groupes, voire à un dépérissement humain à l'échelle mondiale.

    Nous allons devoir aller contre l’évolution.

    « Cela signifie que les défis mondiaux comme le changement climatique sont beaucoup plus difficiles à résoudre qu'on ne le pensait auparavant, déplore Tim Waring. Ils ne constituent pas seulement la chose la plus difficile que notre espèce ait jamais faite. C'est plus que ça. Parce que des éléments centraux de l'évolution humaine nuisent probablement à notre capacité à les résoudre. Pour résoudre les défis collectifs mondiaux, nous devons nager à contre-courant. Aller contre l'évolution ».

    Comprendre l’évolution culturelle pour vaincre le changement climatique

    Des travaux complémentaires seront nécessaires pour valider cette hypothèse. Mais si les conclusions des chercheurs s'avèrent correctes et qu'il se confirme que l'évolution humaine tend à s'opposer aux solutions collectives aux problèmes environnementaux mondiaux, il deviendra urgent de trouver des solutions se basant justement sur ces nouvelles connaissances à approfondir.

    Pour nous donner de l'espoir, les chercheurs rappellent l'exemple encourageant du Protocole de Montréal qui a permis de limiter les gazgaz appauvrissant la couche d'ozonecouche d'ozone. Pour vaincre le réchauffement climatique, il faudra toutefois aller plus loin. Vers des systèmes plus intentionnels, pacifiques et éthiques d'autolimitation mutuelle qui s'appuient sur des réglementations du marché et des traités exécutoires. Objectif : lier toujours plus étroitement les groupes humains à travers la planète en une même unité fonctionnelle.