Au-delà de nos regards, quelle relation le monde animal entretient-il avec l'humain ? Comment parviennent-ils à communiquer avec nous ? Pour décortiquer les dessous de ces relations, deux éthologues ont accepté de répondre à nos questions : Sarah Jeannin et Cédric Sueur.
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Chiens, chats, chèvres, chimpanzés... Si nous les regardons avec nos yeuxyeux d'humains, eux aussi nous observent avec leurs yeux d'animaux. « On fait de l'anthropomorphisme, le chien fait du cynomorphisme, ainsi de suite », souligne Cédric Sueur, maître de conférencemaître de conférence en éthologie à l'Institut pluridisciplinaire Hubert Curien. Ce qui signifie que chaque espèce va déchiffrer les actions de l'autre au travers de ses propres perceptions et sa subjectivité.
Sans accès à un langage interespèce, les scientifiques sont contraints de faire « des inférences » sur le comportement ou les pensées d'un animal, rapporte Sarah Jeannin, psychologue et docteure en éthologie. « Chaque espèce émet des hypothèses. On déduit des choses à partir du comportement de l'autre, avec le risque d'être confronté à des interprétations erronées puisqu'on ne peut ni confirmer ni infirmer ce que l'on pense. »
Alors, la science accumule des connaissances. Pour interpréter au mieux. Dans ce but, différentes techniques sont à disposition des chercheurs : l'analyse comportementale, évidemment, mais aussi l'eye-tracking ou l'IRMIRM. « On regarde quelles zones du cerveaucerveau s'activent, si ce sont les mêmes zones que chez l'humain, décrit Sarah Jeannin. Par exemple, on sait que les zones dédiées à la reconnaissance des visages humains chez les chiens ne sont pas les mêmes que celles activées lorsqu'ils regardent des visages de congénères. »
Comment l'humain est-il perçu ?
Au sein de chaque espèce animale, les individus ne perçoivent pas l'humain de la même façon. Les individus d'une espèce chassée dans un lieu vont craindre l'humain, tandis que la même espèce adoubée ailleurs recherchera la présence humaine. « C'est ce qu'il se passe avec les macaques japonais », précise Cédric Sueur qui rappelle que « la plupart des mammifèresmammifères sont capables d'une reconnaissance individuelle ».
Malgré cela, il arrive qu'une espèce entière assimile l'humain à un concept particulier. Les dauphins, par exemple. « Ils viennent voir des humains quand ils sont blessés, comme s'ils savaient qu'on peut les soigner », relève l'éthologue. En amassant ce type d'informations, les chercheurs saisissent davantage les capacités animales. Ce qui conduit à « mieux interagir avec les animaux » et, à terme, à « mieux les intégrer dans nos sociétés ».
« Apprentissages par essai-erreur »
Bien qu'un même problème persiste : nous n'avons ni accès à leur langage ni accès à un langage commun -- à de rares exceptions près, quelques primates pouvant apprendre la langue des signes. « Il y a des stratégies comportementales qui se mettent en place où le chien réalise que l'humain n'a pas compris ce qu'il voulait dire », soutient Cédric Sueur.
Mais cela reste « des apprentissages par essai-erreur » où l'animal teste des solutions jusqu'à en dénicher une qui fonctionne... Ou une à ne pas refaire. Car la plupart des espèces n'ont pas de notion de moralité. « Chez les primatesprimates, il y a des prémices de moralité. Mais chez le chat ou le chien... Il a fait quelque chose de mal, il est puni, donc il sait qu'il ne doit pas recommencer. » Et ça s'arrête là.
Ce stratagème s'applique aussi à la communication. « Les miaulements du chat ont été développés pour communiquer avec l'être humain, ils apparaissent très peu entre chats », évoque Sarah Jeannin. Quant aux chiens, ils ont par exemple appris à regarder l'humain dans les yeux. « Ils savent que, de cette manière, ils captent votre attention. Il se met en face de vous parce qu'il sait que, s'il est derrière ou sur le côté, vous n'allez pas forcément prêter attention à lui. Si vous n'écoutez pas, il se met à aboyer. Il développe un panel de comportements pour communiquer avec l'humain. »