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    Imaginez une belle journée de septembre dans les Alpes du sud Tyrol, en 1991. Tout près de la frontière entre l'Italie et l'Autriche, un couple d'Allemands, Erika et Helmut Simon s'adonnent à leur passe-temps favori : la randonnée. Ils viennent de franchir le sommet de Similaun et s'apprêtent à gravir le col de Tisenjoch. Mais les deux randonneurs vont faire une rencontre inattendue.

    Sur le chemin, Erika aperçoit au loin une mare glacée. Rien d'étonnant à cette altitude, plus de 3.000 mètres. Tout autour, la neige brille sous les rayons du Soleil.

    Reconstruction des chaussures d'Ötzi par Anne Reichert. © Anne Reichert, Wikipedia CC by-sa 4.0

    Reconstruction des chaussures d'Ötzi par Anne Reichert. © Anne Reichert, Wikipedia CC by-sa 4.0

    Mais de cette mare semble dépasser quelque chose... Sans doute encore des détritus songe le couple, abandonnés par des randonneurs peu scrupuleux du respect de la nature pourtant si belle dans cette région. En s'approchant, la promenade des Allemands prend une tournure bien différente.

    Le point rouge indique le lieu de la découverte d'Ötzi, près du refuge du Hauslabjoch. © Kogo, GNU Free Documentation License, Version 1.2

    Le point rouge indique le lieu de la découverte d'Ötzi, près du refuge du Hauslabjoch. © Kogo, GNU Free Documentation License, Version 1.2

    Car de cette mare n'émerge pas des détritus mais bel et bien un corps humain dont la moitié supérieure dépasse de la glace. Il est allongé sur le ventre, un bras en travers de la poitrine. Sa peau est nue et a pris une couleur ambrée. De toute évidence, le pauvre homme repose ici depuis bien longtemps.

    Aussitôt, les autorités sont prévenues. Il n'est pas rare de découvrir le corps d'un alpiniste trop aventureux ou malchanceux, ici dans cette partie des Alpes. Cet évènement fera très certainement partie des faits divers des canards locaux.

    Ötzi lors de son dégagement, avec Hans Kammerlander (à gauche) et l'alpiniste Reinhold Messner (à droite). © Kutschera W. et Müller W., <em>Isotope language of the Alpine Iceman investigated with AMS and MS, Nuclear Instruments and Methods in Physics Research</em>, 2003.

    Ötzi lors de son dégagement, avec Hans Kammerlander (à gauche) et l'alpiniste Reinhold Messner (à droite). © Kutschera W. et Müller W., Isotope language of the Alpine Iceman investigated with AMS and MS, Nuclear Instruments and Methods in Physics Research, 2003.

    Très rapidement, des tentatives de dégagement du corps sont mises en œuvre, peu scrupuleuses d'ailleurs, car à coups de bâtons de ski et de piolets, abîmant au passage une partie de l'Hibernatus. Un marteau-piqueur pneumatiquepneumatique est également amené sur place en hélicoptère. Ce n'est que le 23 septembre qu'une équipe « officielle » de sauvetage du corps est organisée, sous la houlette des Autrichiens car on pense alors qu'il a été retrouvé non pas en Italie mais en Autriche. Sous l'œilœil des caméras, le corps du malheureux est finalement dégagé, installé sans trop de ménagement dans une caisse, cassant son humérushumérus lors de l'opération, puis transporté par hélicoptère jusqu'à l'institut médico-légale d'Innsbruck.

    L'Hibernatus découvert dans la région de l’Ötzt

    Le corps de l'Hibernatus, qui prend rapidement le nom d'Ötzi, car découvert dans la région de l'Ötzt, semble en bon état. Il est vrai qu'il a bénéficié de conditions favorables à sa conservation. Le corps a en effet été repêché dans une large dépression qui lui a sans aucun doute permis d'éviter les assauts du glacierglacier qui la recouvrait : celui-ci est passé dessus sans l'emporter ni le disloquer. Également, les conditions climatiques de septembre 1991 ont eu pour effet de faire fondre une partie de la glace dans laquelle était emprisonné le corps, permettant sa découverte. C'est donc grâce au hasard de la nature que le corps d'Ötzi a pu être conservé et retrouvé.

    Lorsque le corps de ce que l'on croit être encore un alpiniste arrive à Innsbruck, les médecins prennent rapidement conscience de l'importance de la découverte. Car l'Homme est sans aucun doute bien plus vieux qu'on ne pensait. Le célèbre archéologue Konrad Spindler remarque en effet que la hache ramassée auprès d'Ötzi date de toute évidence de la préhistoire, estimant son âge à environ 4.000 ans. Cette annonce fait alors grand bruit. Ötzi n'est plus un alpiniste malchanceux mais bel et bien une momie datant de la préhistoire, une découverte exceptionnelle.

    Cette annonce ne pouvait qu'attirer une foule de scientifiques désireux d'en apprendre davantage sur cet Homme des glaces. Aussi, dès 1992, Ötzi fait l'objet de nombreuses analyses afin de percer ses mystères, et en particulier celui de son âge.

    La momie d'Ötzi est conservée à Bolzano, en Italie. Les autres musées, comme ici à Quinson (France) doivent donc se contenter de proposer des reconstitutions de l'Homme des glaces. © 120, Wikipédia, CC by-sa 3.0

    La momie d'Ötzi est conservée à Bolzano, en Italie. Les autres musées, comme ici à Quinson (France) doivent donc se contenter de proposer des reconstitutions de l'Homme des glaces. © 120, Wikipédia, CC by-sa 3.0

    Le recours à la datation au carbone 14

    Faute de précisions sur l'âge de ce respectable ancêtre, les scientifiques durent employer une méthode bien connue, celle de la datation au carbone 14, un isotope du carbone 12 dont la demi-viedemi-vie de 5 730 ans permet, grâce à des courbes d'échantillonnageéchantillonnage de concentration de 14C dans l'atmosphèreatmosphère, de donner une datation cohérente en mesurant le ratio 14C/12C. Cette méthode a permis de donner un âge plus précis à Ötzi, probablement mort entre 3239 et 3105 avant Jésus-Christ. D'autres datations selon cette même méthode ont été effectuées sur divers objets en boisbois qui accompagnaient Hibernatus (nous y reviendrons). Elles ont apporté une fourchette totalement cohérente, permettant d'ancrer définitivement Ötzi dans une période reculée de l'Histoire.

    Revenue du fond des âges, il s'agit encore aujourd'hui de la plus ancienne connue à ce jour, fière de ses 5.300 ans d'ancienneté. Elle nous repousse alors jusqu'à une période plutôt mal connue des archéologues, la transition entre la fin du Néolithique et les tout débuts des âges des métauxmétaux, et plus précisément ici, l'Âge du cuivreÂge du cuivre, le Chalcolithique. Si le Néolithique a constitué une véritable « révolution » pour l'Homme avec la sédentarisation des populations, l'apparition de l'agricultureagriculture, de l'élevage mais également de la poterie, le Chalcolithique marque la naissance de l'utilisation du cuivre, qui se généralisera progressivement, vers 3.500 ans avant Jésus-Christ.

    L'Homme des glaces devient donc un précieux témoin de cette époque transitoire entre la pré- et la protohistoire. L'étudier allait donc nécessiter une impérieuse prudence dans sa manipulation : Ötzi, afin d'être protégé des attaques microbiennes, est conservé dans une chambre maintenue à une température de -6 °C et à un taux d'humidité d'environ 98 % afin de recréer les conditions naturelles au sein desquelles il a été préservé des assauts du temps.

    Aussi, il est impensable d'ouvrir le corps pour pratiquer une autopsieautopsie « standard ». C'est ici que l'imagerie médicale va apporter son concours, et révéler des faits particulièrement étonnants, sur son état de santé bien sûr, mais également sur la mort de ce pauvre Homme des glaces.