Quel rapport entre les ondes gravitationnelles de la théorie de la relativité générale d'Einstein se propageant dans le tissu de l'espace-temps et l'existence de l'Humanité ? La nucléosynthèse avec des flux de neutrons produits par des explosions de kilonovae, avance aujourd'hui un groupe de physiciens. Voilà de quoi alimenter quelques questions autour du principe anthropique, ou plus sobrement, de l'exobiologie.


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    Le regretté Hubert Reeves avait l'habitude de dire que nous étions des poussières d’étoiles. Il se posait des questions en rapport avec ce que l'on appelle le principe anthropique qui, sous ses différentes formes, interroge sur les liens entre les formes des lois de la nature, les objets qu'elle contient et l'apparition de formes de vie complexes, Homo sapiensHomo sapiens en particulier.

    Certains font remarquer que si l'on changeait un peu certaines de ces lois, la vie ne pourrait apparaître, comme si un réglage fin de l'Univers avait été effectué dans ce but. D'autres invoquent l'idée d'un multivers avec des variations aléatoires de certaines des lois de la physique, de sorte que l'existence de la vie dans une partie de ce multivers n'est pas plus une preuve d'un tel réglage que ne l'est l'habitabilité de la Terre dans le monde variable des exoplanètes.

    Une nouvelle pièce à ce débat vient d'être apportée par John R. Ellis du Kings College de Londres et ses collègues dans un article que l'on peut trouver en accès libre sur arXiv. John Ellis a été un des pionniers de l'exploration des théories de grande unificationthéories de grande unification, encore appelée GUT (pour Grand Unified Theory en anglais), des théories supersymétriques et de tests possibles de la théorie des supercordes et de la gravitation quantique.

    Dans le travail aujourd'hui publié, il ne s'interroge pas sur une nouvelle physique pour unifier la relativité générale et la mécanique quantique ou encore les forces et les particules de matièrematière. Il explore certaines des implications de la théorie de la nucléosynthèsenucléosynthèse des éléments plus lourds que le lithiumlithium.

    Le saviez-vous ?

    Le physicien Georges Gamow pensait que tous les éléments avaient été synthétisés au début de l’Univers dans le cadre de la théorie du Big Bang. Mais au milieu des années 1950, Margaret Burbidge, Geoffrey Burbidge, William Fowler et Fred Hoyle ont démontré ensemble que ces éléments, à l'exception de l'hydrogène, de l'hélium et du lithium effectivement produits pendant le Big Bang, prenaient en fait naissance au cœur des étoiles à partir de réactions de fusion thermonucléaire. Il en résulta un article légendaire depuis lors pour les nucléaires, publié en 1957 sous le nom de B2FH d'après les initiales de ses auteurs.

    La théorie de la nucléosynthèse stellaire qui décrit la production des noyaux dans les étoiles jusqu'au fer est bien assise depuis cette époque. Mais les débats continuent quant à l'origine des éléments plus lourds, comme les noyaux d'or, de plomb et d'uranium. Il est certain que plusieurs d'entre eux peuvent être produits par les intenses flux de neutrons qui accompagnent les explosions d'étoiles massives sous forme de supernovae SN II. Ces neutrons sont capturés par les noyaux plus légers dans lesquels ils peuvent se désintégrer par radioactivité bêta en protons. On parle d'addition de neutrons par un processus rapide (r process, en anglais), mais ce processus peut être lent (s process, s comme slow).

    Toutefois, il est difficile d'expliquer les abondances de noyaux lourds et de leurs isotopes riches en neutrons dans l'Univers observable. C'est pourquoi certains ont proposé que la nucléosynthèse de ces noyaux lourds se soit également effectuée de façon importante lors de collisions entre étoiles à neutrons au sein de systèmes binaires.

    Des éléments lourds aux origines multiples

    On savait déjà depuis longtemps que le carbonecarbone, l'oxygèneoxygène et l'azoteazote, des éléments clés des moléculesmolécules organiques, sont synthétisés dans des étoilesétoiles massives qui explosent en supernovaesupernovae. Mais, pour aller au-delà des noyaux de ferfer il faut notamment disposer de flux de neutronsneutrons importants conduisant à des injections rapides de neutrons dans des noyaux plus légers. Une partie des neutrons ajoutés va alors se désintégrer en protonsprotons via la radioactivitéradioactivité bêtabêta en donnant des noyaux plus lourds que le fer. Sont également produits beaucoup d'isotopesisotopes, c'est-à-dire des noyaux possédant un plus grand nombre de neutrons que de protons.

    Mais les Homo sapiens ne sont pas seulement principalement constitués d'hydrogènehydrogène, de carbone et d'oxygène, mais aussi de nombreux oligo-élémentsoligo-éléments supplémentaires (il existe au total 20 éléments essentiels à la vie humaine.) Ceux dont le numéro atomiquenuméro atomique est inférieur à 35 sont produits dans des supernovae mais pour certains autres au-delà, on a du mal à expliquer leurs abondances uniquement par les flux rapides de neutrons accompagnant ces explosions d'étoiles.

    De quelles étoiles viennent notre carbone, notre fer, notre azote, etc. ? Jennifer Johnson propose une nouvelle lecture du tableau périodique afin d’y voir plus clair. L’astronome a retracé la source pour la plupart des éléments chimiques car oui, ceux-ci ont été produits dans des conditions différentes. Alors, d'où viennent-ils ? En bleu foncé, du Big Bang ; en orange, de la fusion d’étoiles à neutrons ; en jaune, de la mort d’étoiles peu massives ; en rose, des rayonnements cosmiques ; en vert, d'étoiles massives qui explosent en supernovae ; en bleu clair, d'explosions de naines blanches. © Jennifer Johnson
    De quelles étoiles viennent notre carbone, notre fer, notre azote, etc. ? Jennifer Johnson propose une nouvelle lecture du tableau périodique afin d’y voir plus clair. L’astronome a retracé la source pour la plupart des éléments chimiques car oui, ceux-ci ont été produits dans des conditions différentes. Alors, d'où viennent-ils ? En bleu foncé, du Big Bang ; en orange, de la fusion d’étoiles à neutrons ; en jaune, de la mort d’étoiles peu massives ; en rose, des rayonnements cosmiques ; en vert, d'étoiles massives qui explosent en supernovae ; en bleu clair, d'explosions de naines blanches. © Jennifer Johnson

    On a de bonnes raisons de penser que ces éléments, comme l'or et le platineplatine, sont surtout produits lors de collisions d'étoiles à neutronsétoiles à neutrons et les kilonovae qui accompagnent ces collisions. On obtient alors une densité de neutrons libres suffisamment élevée, estimée à environ 1024 par centimètre cube, et à des températures  de l'ordre d'un milliard de KelvinsKelvins, de sorte que l'on obtient la moitié des éléments plus lourds que le fer via les flux rapides de neutrons de ces collisions.

    Iode, brome et uranium, des clés de l'apparition d'Homo sapiens ?

    Aujourd'hui, John Ellis et ses collègues attirent l'attention sur le fait que l'iodeiode, nécessaire aux hormoneshormones clés produites par la thyroïdethyroïde, et le bromebrome, utilisé pour créer des échafaudageséchafaudages de collagènecollagène dans le développement et l'architecture des tissus, doivent aussi être synthétisés lors des collisions d'étoiles à neutrons.

    Ils font remarquer aussi qu'une partie de la chaleurchaleur qui rend le manteau terrestremanteau terrestre convectif - ce qui intervient dans les processus de la tectonique des plaques - provient de la désintégration radioactive du thoriumthorium et de l'uraniumuranium. Or, on sait que la tectonique des plaquestectonique des plaques agit comme un régulateur du climatclimat de la Terre sur une longue échelle de temps. Elle intervient dans le cadre du cycle du carbonecycle du carbone.

    Le gaz carboniquegaz carbonique produit par le volcanismevolcanisme peut se retrouver piégé dans des carbonates produits par l'érosion des roches par des pluies acidesacides, carbonates qui vont être injectés dans le manteau par la subductionsubduction de plaques tectoniques, carbonates encore qui vont libérer leur carbone qui sera ensuite craché par le volcanisme sous forme de CO2. Cette boucle tend à maintenir constant sur l'échelle des millions d'années le taux de gaz carbonique dans l'atmosphèreatmosphère et donc à éviter un emballement de l'effet de serreeffet de serre comme celui qui s'est produit sur VénusVénus.

    Maintenant, si des étoiles à neutrons peuvent entrer en collision pour finalement donner des isotopes de l'iode, du brome, de l'uranium et du thorium en abondance, c'est parce qu'elles perdent de l'énergieénergie sous forme d'ondes gravitationnellesondes gravitationnelles lorsqu'elles forment un système binairesystème binaire. Nous le savons sans l'ombre d'un doute grâce aux détecteurs Ligo et Virgo qui ont mis en évidence de tels événements.

    Pour John Ellis et ses collègues, cela suggère que nous sommes non seulement des poussières d’étoiles mais des créations indirectes de l'existence des ondes gravitationnelles...