Y a-t-il de la vie sur Titan, la plus grande lune de Saturne ? La probabilité est très faible mais la chimie qui se déroule dans cette atmosphère dense est complexe et la sonde Cassini, qui l'a frôlée, a détecté des molécules très actives, inattendues, capables de jouer un rôle clé dans une chimie prébiotique.

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    Titan se trouve en orbite autour de SaturneSaturne, à environ 1,3 milliard de kilomètres de notre étoile, donc loin, très loin de la zone habitable du Système solaire. Il n'en demeure pas moins un des astres qui captivent le plus les astronomesastronomes et les astrobiologistes du monde entier (de même qu'EnceladeEncelade, également autour de Saturne, Europe, autour de JupiterJupiter, et, bien sûr, Mars).

    Les raisons ? Ce satellite de quelque 5.150 km de diamètre est enveloppé d'une épaisse atmosphèreatmosphère dont la composition n'est pas sans rappeler celle de la Terre primitive... Pour les chercheurs qui aimeraient connaître les recettes ayant conduit à l'apparition du vivant, c'est donc comme s'ils avaient un laboratoire à leur portée : un monde où, dans ses brumesbrumes orangées, se développe une chimie prébiotiqueprébiotique. L'aubaine pour les scientifiques est que cela se passe près de chez nous et, peut-on imaginer, aussi ailleurs, autour de millions d'autres soleilssoleils.

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    Quand l'atmosphère de la Terre ressemblait à celle de Titan

    Sur ce satellite où la température moyenne est de -180 °C, les sources d'énergieénergie qui transforment l'azoteazote et le méthane, principaux composés de son atmosphère, sont les particules solaires et les particules énergétiques de la magnétosphèremagnétosphère de la géante Saturne. Ensemble, ils produisent une chimie organique complexe, à l'origine d'ingrédients précurseurs de la vie, comme cela a pu se passer sur Terre au début de son histoire.

    Comment produire des molécules organiques complexes ?

    Dans un article qui vient de paraître dans The Astrophysical Journal Letters, une équipe rapporte avoir découvert, par le truchement de l'instrument Caps (Cassini's Plasma Spectrometer) de la sonde Cassini -- lors de l'un de ses survolssurvols entre 900 et 1.300 km au-dessus de la surface de TitanTitan --, des moléculesmolécules carbonées chargées négativement (des anionsanions) dans l'ionosphèreionosphère. Il y a encore quelques années, personne ne s'attendait à trouver de telles molécules dans ce milieu. En effet, très réactifsréactifs, les anions étaient supposés se recombiner rapidement. Or, ces anions peuvent produire des molécules organiques plus complexes, clés d'une chimie prébiotique.

    Illustration des particules organiques générées dans l’atmosphère dense de Titan. Tout en haut, figurent les principales sources d’énergie : la lumière du Soleil (<em>Sunlight</em>, en anglais sur le schéma) et les particules énergétiques (<em>Energetic particles</em>). L’azote moléculaire (<em>Nitrogen</em>) et le méthane (<em>Methane</em>) présents dans la haute atmosphère peuvent être dissociés (<em>dissociation</em>) ou ionisés (<em>ionization</em>). Ces processus, impliquant aussi du carbone et de l’hydrogène, conduisent à une chimie organique complexe (<em>Complex organics</em>) incluant les anions carbonés (en vert sur le schéma), de formules C<sub>n</sub>N<sup>-</sup> ou C<sub>n</sub>H<sup>-</sup>, et, vraisemblablement, des molécules comme le benzène (<em>Benzene</em>). Mais, dans cette région, leur évolution chimique (<em>Mysterious growth regime</em>) est difficile à identifier. À plus basse altitude, on trouve de grandes particules organiques (<em>Large organic particles</em>) et, enfin, la brume organique (<em>Organic haze</em>). © ESA

    Illustration des particules organiques générées dans l’atmosphère dense de Titan. Tout en haut, figurent les principales sources d’énergie : la lumière du Soleil (Sunlight, en anglais sur le schéma) et les particules énergétiques (Energetic particles). L’azote moléculaire (Nitrogen) et le méthane (Methane) présents dans la haute atmosphère peuvent être dissociés (dissociation) ou ionisés (ionization). Ces processus, impliquant aussi du carbone et de l’hydrogène, conduisent à une chimie organique complexe (Complex organics) incluant les anions carbonés (en vert sur le schéma), de formules CnN- ou CnH-, et, vraisemblablement, des molécules comme le benzène (Benzene). Mais, dans cette région, leur évolution chimique (Mysterious growth regime) est difficile à identifier. À plus basse altitude, on trouve de grandes particules organiques (Large organic particles) et, enfin, la brume organique (Organic haze). © ESA

    « Nous avons fait la première identification sans ambiguïté des anions carbonés dans une atmosphère planétaire, raconte Ravi Desai de l'University College de Londres (UCL), ce qui, selon nous, est un tremplin crucial dans la chaîne de production de molécules organiques de plus en plus grandes et complexes, comme celles des particules formant la brume de cette lunelune. Il s'agit d'un processus connu dans le milieu interstellaire mais, maintenant, nous l'avons vu dans un environnement complètement différent, ce qui signifie qu'il pourrait être un processus universel pour la production de molécules organiques complexes. » Alors, est-ce que cela pourrait se produire ailleurs ?

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    Exobiologie : Titan pourrait – théoriquement – abriter des cellules vivantes

    Pour son collègue de l'UCL, Andrew Coates, membre de l'équipe de l'instrument Caps et coauteur de l'étude, « la perspective d'une voie universelle menant aux ingrédients de la vie a des implications pour [...] la quête de la vie dans l'universunivers. Titan est un exemple local d'une chimie exotiqueexotique et passionnante dont nous avons beaucoup à apprendre ».

    Du cyanure de vinyle découvert dans l’atmosphère de Titan

    Autre découverte importante concernant Titan : le réseau de radiotélescopesradiotélescopes Alma a détecté de grandes quantités de cyanure de vinylevinyle (C2H3CN) dans l'atmosphère. Des simulations avaient montré il y a peu que cette molécule était le meilleur candidat pour former dans cet environnement des membranes cellulairesmembranes cellulaires stables. Sa présence était déjà suspectée grâce aux observations spectroscopiques de la sonde Cassini mais, cette fois, les chercheurs en ont acquis la certitude.

    Les modèles de transfert radiatif estiment que la concentration de la molécule est la plus élevée à environ 200 km d'altitude, en accord avec les modèles de photochimie. Les auteurs de l'étude publiée dans Science Advances n'excluent pas que des « pluies » entraînent du cyanure de vinyle vers le sol et, par conséquent, jusqu'aux mers et lacs de méthane liquide. Selon eux, la grande Ligeia Mare pourrait en contenir assez pour former jusqu'à dix millions de membranes par cm3.


    Des molécules prébiotiques pourraient se former dans l'atmosphère de Titan

    Article de Rémy DecourtRémy Decourt publié le 14 octobre 2010

    Une équipe internationale a montré que des molécules organiques complexes peuvent se former dans la haute atmosphère de Titan. Une avancée qui pourrait bien aider à comprendre comment la vie est apparue sur la Planète bleue.

    Une équipe de chercheurs (dont ceux du laboratoire de planétologie de Grenoble et du laboratoire atmosphères, milieux, observations spatiales de Versailles), menée par Sarah Horst du Lunar and Planetary Laboratory de l'université de l'Arizona, a simulé dans une enceinte les réactions chimiquesréactions chimiques susceptibles de se produire dans l'atmosphère de Titan. L'objectif était de voir les conséquences du rayonnement intense qui atteint les couches supérieures de cette atmosphère et de sa capacité à briser des molécules jusqu'alors considérées comme étant très stables, leur permettant ensuite de réagir pour former de nouveaux édifices moléculaires inattendus.

    Ces chercheurs ont découvert que les réactions chimiques à l'œuvre dans l'atmosphère de Titan génèrent des molécules organiques complexes comme des acides aminés et des bases nucléotidiques, qui sont les briques de base de la vie sur Terre. Les molécules découvertes sont les cinq bases nucléotidiques utilisées par toutes les formes de la vie sur Terre (cytosinecytosine, adénineadénine, thyminethymine, guanineguanine et uracileuracile) et deux petits acides aminésacides aminés, la glycineglycine et l'alaninealanine.

    Des synthèses de molécules organiques qui n’ont pas besoin de surfaces

    Cette expérience démontre qu'il est possible de fabriquer des molécules complexes sans apport d'eau liquideliquide et dans un milieu purement gazeux. Des molécules organiques peuvent donc se former sans qu'il existe de surface solidesolide disponible. Pour l'exobiologieexobiologie, une telle possibilité ouvre des perspectives intéressantes. Les hypothèses communément admises pour expliquer l'apparition des molécules primordiales de la vie terrestre font en effet appel à des phénomènes se déroulant à la surface de matériaux, comme les argilesargiles.

    Cette étude suggère que non seulement l'ionosphère de Titan pourrait être un réservoir de molécules prébiotiques qui pourrait servir de tremplin à la vie, mais peut également offrir de nouvelles perspectives sur l'émergence de la vie sur Terre. Cette vie se serait produite environ 3,8 milliards d'années auparavant dans les océans, demeurant à un stade unicellulaire (bactériesbactéries) pendant près de 3 milliards d'années, avant d'accéder au stade pluricellulaire il y a 800 millions d'années.

    La possibilité qu'un milieu atmosphérique riche en molécules organiques et dépourvu d'eau et d'oxygèneoxygène libre puisse conduire à la formation de petites molécules (dont les bases nucléiquesbases nucléiques et des acides aminés), laisse penser que la fameuse théorie de la soupe primordiale pourrait être revue.