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Comment mieux résoudre les problèmes du quotidien d'une population très nombreuse et très disparate, disposant d'un pouvoir d'achat très faible et d'un accès limité à des ressources essentielles comme l'électricité ou l'eau ? Devant l'impossibilité de donner des réponses globales à l'échelle d'un pays-continent peuplé de 1,2 milliard de personnes, des entrepreneurs sociaux indiens ont développé une stratégie d'adaptation au cas par cas, à l'échelle de l'économie locale, qu'on désigne sous le nom d'innovation frugale. Elle se fonde sur des petites innovations pratiques pour concevoir des équipements qui satisfont leurs besoins, quand l'industrie classique échoue à concevoir un produit adapté à leurs conditions matérielles de vie.
Quelques exemples : l'absence d'accès à l'électricité prive les campagnes indiennes des bienfaits du réfrigérateur ? Mansukh Prajapati, un potier désormais célèbre, conçoit un modèle en argileargile, qui ne consomme pas d'électricité, mais permet de conserver les aliments plusieurs jours. Une révolution sanitaire parce qu'elle permet la conservation de tout ce qui n'est pas consommé le jour même, mais aussi sociale, car elle libère les femmes de la tâche de collecte quotidienne d'aliments frais. Mitticool, son entreprise, développe bien d'autres produits, comme des filtres à eau en argile.
Au Kenya, des entrepreneurs sociaux ont imaginé un moyen astucieux de recharger les téléphones portables : en pédalant, tout simplement. Lorsqu'on sait que dans ce pays, 30 % des transactions se font par paiement mobilemobile, on voit l'intérêt pour une population qui n'a le plus souvent aucun accès aux banques. Les grands industriels emboîtent le pas. Nokia a conçu un chargeur de mobile à fixer sur un vélo, entraîné par la roue. En Chine et au Brésil, le fabricant d'équipements électriques Legrand conçoit et fabrique des disjoncteurs modernes, à bas coût, performants et conformes aux usages locaux, pour équiper des programmes de logements sociaux.
Le Mac 400, un appareil simple, bon marché et léger pour réaliser des électrocardiogrammes. Il est dépourvu de fonctionnalités accessoires, mais les résultats qu’il fournit sont suffisamment précis. © Anandic Medical Systems
La pratique de l’innovation frugale est aussi utile dans les pays riches
Cette innovation bottom-up profite donc également aux industries de pointe. C'est en constatant que le prix de ses électrocardiographes était trop élevé pour que l'usage s'en généralise en Inde, que l'américain GE a conçu et fait fabriquer en Chine le MAC 400, un électrocardiographe réduit à l'essentiel (absence d'écran, de clavier, etc.)), mais parfaitement fiable et fonctionnel, disponible pour un prix dix fois inférieur à ses modèles classiques. Autre projet novateur, toujours dans le domaine médical : pour lutter contre l'épidémieépidémie de diabètediabète en Inde, aggravé par l'éloignement d'une grande partie de la population des centres hospitaliers, le docteur Mohan, diabétologue reconnu, a eu l'idée d'un service de télédiagnostic par satellite. Le satellite existait, son accès a été fourni gratuitement par le gouvernement. Restait à former un réseau de personnes pour arpenter le terrain : une solution typique de l'innovation frugale.
Cette approche modeste de l'innovation est bien un nouveau paradigme, qui pourrait révolutionner nos économies occidentales. Développer des produits efficaces et bon marché pour les pays émergentsémergents puis les vendre aussi dans les pays riches : c'est ce que l'on appelle désormais l'innovation inversée (ou reverse innovation en anglais). Le MAC 400 de GE, conçu pour les marchés indiens et chinois, est désormais disponible en Europe. La Logan de Renault, destinée aux marchés émergents, est un succès commercial indéniable en France et dans les autres pays européens. La frugalité est en marche...